La femme commença par pleurer. Lloyd restait fidèle à la tradition des agents gouvernementaux en costumes noirs, lunettes noires en moins : imperturbable. Comprenant visiblement qu’il n’était guère sensible aux pleurs féminins, la femme opta pour une autre stratégie, et lui déballa une histoire qu’elle venait probablement d’inventer à l’instant, en se présentant comme une espèce de victime. Lloyd sentit sa patience être mise à rude épreuve, même si son comportement semblait conforme aux minces informations qu’il avait pu réunir sur elle. Si les caméras de sécurité du centre commercial avaient toute grillé, l’armure rouge, elle, était toujours opérationnelle, et disposait d’enregistrements audios, que Lloyd, ainsi que d’autres personnes, avaient écouté. Cette fille lui apparaissait comme terriblement immature, mais disposant en elle d’un pouvoir assez terrifiant. Il l’écoutait à moitié, lorsqu’il l’entendit conclure sa tirade en demandant à ce que le collier lui soit retiré. Elle s’assit en tailleur sur son lit, faisant mine de bouder. Lloyd reprit un peu de café.
« Bien... Si j’en crois votre version des faits, vous êtes une innocente femme qui faisait ses courses, quand un type lui est sauté dessus... Puis une femme en armure rouge a tenté de vous tuer sans raison, vos vêtements ont fondu comme par magie, et vous ne comprenez rien à ce qui se passe. »
C’était un simple résumé, afin de s’éclaircir la gorge. Lloyd commença à ouvrir le dossier devant lui.
« A dire vrai, Mlle Heaven, nous avons récolté peu d’informations sur vous... Mais suffisamment assez pour que vous ne soyez pas totalement une inconnue. Et je pense que ce n’est pas la première fois que vous avez votre petite... Comment appeler ça ? Une crise de rage ? De démence ? Une manifestation excessive de vos capacités paranormales ? Peu importe le nom, en fait, on en revient toujours au même point... Et, soit dit en passant, à votre place, j’éviterais de trop me manifester auprès des autorités japonaises. Si jamais les Japonais apprennent que votre joli minois et votre tempérament de gamine dissimulent une bombe radioactive sur pattes, vous finirez emmurée dans un sarcophage de plomb, et balancée au fin fond de l’océan. »
Il se racla la gorge, et, après cette parenthèse, reprit :
« Nous avons analysé votre sang. A partir de là, nous avons réussi à remonter votre existence... Parents inconnus. Vous avez été recueillie dans un orphelinat, et êtes légalement devenue pupille de l’État. Des agents ont trouvé des notes, des dossiers, qui vous concernent. Vous y êtes décrit comme une jolie dame, qui fait tourner la tête des hommes... Ce que je veux bien croire. De nombreuses demandes en adoption de la part de différentes familles, mais aucune n’a abouti. Nous savons tout, et à la fois rien sur vous, Mlle Heaven. Par exemple, nous savons que vous avez provoqué la mort de tout un orphelinat, et que votre pouvoir est à double tranchant. Un examen de santé nous a révélé que le compte à rebours de votre existence était plus court que d’autres. »
Une belle formule pour dire qu’elle était malade, et qu’elle avait un cancer. Lloyd referma lentement le dossier. On pouvait dire que l’équipe avait bossé vite, mais, comme il le savait, sa cellule existait pour répondre à ce type de problèmes, et la rapidité de réaction était fondamentale.
« Croyez-le ou non, mais vous n’êtes pas en détention. Nous avons prévu de vous libérer. Voyez cette pièce comme... Une sorte de cellule de dégrisement, en quelque sorte. »
La comparaison était un peu osée, mais résumait bien l’idée. Lloyd soupira légèrement.
« Ce que je veux comprendre, c’est ce qui vous a poussé à vous transformer en bombe radioactive. Ce que je veux, Mlle Heaven, c’est avoir la certitude qu’on peut vous relâcher en nous assurant que vos crises soient contrôlées. Je me doute bien que votre seule préoccupation, en ce moment, est d’essayer de sortir de là, mais... Essayez de penser plus loin que cette pièce. Si nous voulions vous retenir, et vous neutraliser, vous seriez en train de discuter avec les poissons, ou d’être enterrée avec les vers, quelque part dans un désert du Nouveau-Mexique. »
Il se tut un peu, se raclant encore la gorge, avant de parler sur un ton cérémonieux
« Soyez franche avec moi, et je vous ôterai ce collier. En personne, précisa-t-il. Dites-moi ce qui vous est arrivée dans ce centre commercial. Là-dedans, j’entends... » fit-il, en désignant sa propre tête du doigt.