-C’est une honte que tu te sois arrogée les pouvoirs de tes aïeux!
C’est la dernière phrase qu’Arès lui avait dite avant de se détourner d’elle. La relation entre les deux divinités guerrières n’avait jamais été emprunte de douceur, car conçue bien malgré lui, Chryséis incarnait l’arrogance même de sa mère et sa duperie. Mais au fond, si elle aurait pu reprocher Arès son manque d’amour paternel, elle se souvenait qu’il n’était pas le seul dieu à considérer son existence comme étant illégitime. Héra et son frère Oneiros étaient encore les seuls Dieux à tolérer encore sa présence, mais depuis ce jour, Chryséis évitait assidument toutes les fêtes et rites sacrés. Encore tout récemment, elle ne s’était pas présentée pour offrir ses félicitations à Oneiros pour son ascension à son rang de Divinité, et Héra ne lui avait toujours pas pardonné cet affront. Cette dernière discussion avec Arès remontait déjà à plusieurs années, mais rien n’avait changé. Son exil social se prolongeait et, le croyait-elle également, son désir ardent de se retrouver à nouveau aux côtés de ses proches et de les tenir à nouveau dans ses bras.
Au sommet du Mont Goliath, le Pic Septentrional de l’Olympe, Chryséis se sentait comme si elle était au sommet du monde. Son temple creusé à même la montagne faisait face à la Terre des Mortels, et devant elle, les nuages se défilaient lentement, dévoilant par moment les territoires Ashnardiens. Normalement, cet endroit était plutôt calme, mais comme une fois à chaque année depuis qu’elle avait dévoré Typhon, Chryséis relâchait son contrôle sur ses terribles pouvoirs. L’exercice était particulièrement épuisant, car si retenir ses pouvoirs lui bouffait une bonne partie de son énergie, les relâcher la consumait entièrement, car c’était ses propres forces qu’elle devait chasser hors d’elle, et contrairement aux magiciens typiques qui peuvent arrêter le flux de la magie, une fois qu’elle relâchait son contrôle, elle ne pouvait le reprendre qu’une fois qu’elle était vidée de ses pouvoirs.
Elle déchainait déjà ses pouvoirs depuis deux bonnes heures lorsqu’une aura importune dérangea la Déesse en pleine séance de relâchement. Elle ne pouvait pas arrêter le flux de son pouvoir, mais au moins, elle pouvait toujours se déplacer. Dehors, le vent soufflait de toutes ses forces, l’orage tonnait de fureur et la pluie torrentielle assaillait le Nord de l’Olympe. Malgré le fait qu’elle en soit l’origine, regarder la destruction qu’elle causait laissait place à une certaine tristesse dans le cœur de la puissante créature. Elle leva alors la tête en direction de cette énergie aussi chaotique et incohérente qu’une tempête, remplie de contradictions encore plus improbables les unes que les autres.
-Mania, descend de là immédiatement.
Mania. Pour beaucoup de divinités, elle est née grâce à la folie des champs de bataille. Elle incarnait tout ce que la folie pouvait bien porter; tantôt l’enfant brisé par la destruction, plus tard le tueur sanguinaire qui trouvait un plaisir sexuel dans les bains de sang, et un autre jour la femme suicidaire et autodestructrice. Les psychanalystes qui auraient eu la malchance d’examiner cette femme n’auraient probablement jamais été capable de mettre un nom à sa condition mentale; elle était la folie pure et simple, voilà tout. Chryséis la considérait surtout comme une vieille amie qui la guidait lorsqu’elle prenait les armes. Elle se sentait proche de Mania, de la même façon qu’elle se sentirait proche de sa petite sœur. En fait, elle se demandait parfois si cette divinité n’aurait pas un peu traficoté avec la tête de sa mère, Raven, et l’aurait fait sombrer dans la déchéance. Enfin, le passé appartenait au passé.
-La tempête va encore prendre de l’ampleur. Rentre immédiatement si tu ne veux pas te salir et être forcée de prendre un bain avec le savon qui pique les yeux.