«
Par ici... La salle de Kaneo-sensei est là... »
Ne disant rien, Nathan sortit les mains dues poches de son jean, et suivit l’homme à travers les couloirs du lycée, se demandant ce qu’il fabriquait ici. Officiellement, la police, devant la hausse de la délinquance, développait tout un panel consacré à la prévention, de manière à éviter que les adolescents ne finissent par avoir des problèmes judiciaires. L’un des aspects de cette politique de prévention consistait notamment à aller dans les collèges et les lycées, afin de faire des exposés sur les risques auxquelles la population adolescente nippone était confrontée. Concrètement, il s’agissait de leur donner des chiffres, et leur exposer ce qu’ils risquaient en fumant, tant d’un point de vue médical, que judiciaire. Le Japon était un pays particulièrement strict à l’égard des stupéfiants, et même du tabac. Les politiques publiques étaient assez strictes, ce qui s’expliquait sans mal : le Japon était l’un des pays où il y avait le plus de fumeurs, concurrençant la Russie et les Etats-Unis. Il y avait historiquement une forte déréglementation du tabac, qui avait finalement amené les pouvoirs publics à réagir, allant même jusqu’à interdire le tabac sur les lieux publics. Seikusu, fort heureusement, était moins sévère que ne l’était Tokyo ou Hiroshima, et Nathan pouvait donc, quand il ne buvait pas, s’en griller quelques-unes. Il ne venait tout de même pas pour faire un exposé sur le tabac, mais sur la drogue. C’était son tour, tout simplement. Il avait avec lui un ordinateur-portable, qui lui permettrait de faire passer quelques diapositives, afin d’inciter les jeunes à cesser de fumer.
Autant dire que le flic n’était guère enchanté à cette idée. Quitte à ne rien faire d’utile, il préférait rester chez lui à boire, plutôt que de s’ennuyer à perdre son temps à déblatérer des conneries devant des jeunes qui n’en auraient, fondamentalement, rien à foutre. Il suivait l’un des surveillants du lycée, dans un élégant costume. Nathan regarda par les fenêtres du couloir en marchant. Mishima... Il connaissait ce lycée de réputation. C’était la bête noire de la Brigade des Mœurs, qui essayait depuis longtemps de fermer ce dernier, mais sans aucun succès. Réunir des preuves était difficile, et l’administration bénéficiait de hauts soutiens, qui mettaient toujours des bâtons dans les roues des inspecteurs, se débrouillant pour mettre sur cette enquête des flics démotivés, sans ambition, des minables. S’approchant de la porte, le surveillant tapa contre cette dernière, puis entra, s’inclinant respectueusement devant Kaneo-sensei. Immédiatement, les élèves se levèrent, bien sagement au garde-à-vous, dans leurs uniformes scolaires.
«
C’est bon, vous pouvez vous rasseoir, lâcha Kaneo, avant de se tourner vers le surveillant.
-
Je vous présente Joyce-san, l’intervenant dont je vous ai entretenu. -
Ah, je vois... Pile à l’heure... C’est une qualité que j’apprécie. »
Nathan haussa les épaules, et le surveillant resta sur place, afin d’installer l’ordinateur-portable. Nathan regarda les élèves. Tous l’observaient poliment, même si certains discutaient entre eux à voix basse. Nathan réfléchit un peu. Il n’y avait visiblement pas de fortes têtes, mais il avait de l’entraînement. Personne n’était visiblement en état de manque, personne n’avait de pancarte «
DROGUÉ » sur le front, mais il savait pertinemment que la plupart des jeunes se droguaient, ayant une addiction plus ou moins forte... Et que les junkies ne venaient pas tous des banlieues défavorisées.
«
Bien... Nous allons arrêter le cours, alors. Vous penserez à faire, pour la prochaine fois, les exercices 3, 4, et 5. »
Nathan se retourna vers le tableau. Il portait un jean avec une simple veste, et vit un écran bleu, celui du vidéoprojecteur. «
NO SIGNAL » s’affichait en blanc dans un petit rectangle en bas à droite. Le surveillant se débrouilla, et lança un diaporama fait sous PowerPoint. On vit alors, en gros,
l’enseigne de la police nationale japonaise. Nathan se racla alors la gorge, mettant court aux murmures, et se mit à parler.
«
Bonjour, jeunes gens. -
Bonjour, inspecteur ! » lui répondit-on en chœur.
Kaneo s’était assis sur une table isolée.
«
Comme vous le savez, je travaille pour la police, et j’ai été désigné pour faire de la prévention... Pour commencer, vous l’avez sûrement remarqué, mais je ne suis pas Japonais. Je suis un gaijin, alors, si vous voulez poser des questions, n’hésitez pas. Ce sera même plus vivant. »
Il n’y eut naturellement aucune question, et Nathan commença.
«
Je suis inspecteur de police, et j’ai mon bureau au commissariat central de Seikusu... Vous savez, le grand bâtiment noir... C’est sympa, j’ai plutôt une belle vue. »
Il se retourna vers eux, et écarta alors sa veste. Les regards louchèrent presque tous sur son
holster, abritant son arme de service.
«
Il y a plusieurs manières de reconnaître un policier. La plus évidente, c’est l’uniforme. La plus fiable, c’est son insigne. Mais, en définitive, la seule qui compte vraiment, c’est ceci, fit-il en posant sa main sur son pistolet.
C’est un Glock 19. Une arme assez intéressante. »
Nathan ouvrit alors son holster, et sortit son
Glock, avant d’appuyer sur un bouton qui retira le chargeur. Il l’attrapa d’une main, et le rangea dans sa ceinture, s’assurant d’avoir l’attention de tout le monde. Kaneo, le professeur, clignait des yeux, légèrement surpris, se demandant à quoi ce cirque rimait.
«
Je suis venu ici pour vous dire ce qui vous attend vous vous rapprochez des mauvaises personnes, si vous vous éloignez de la protection fournie par les hommes comme nous pour rejoindre les autres. Et, si vous vous engagez sur cette voie, il faudra plus qu’un sourire pour savoir se défendre. Il faudra aussi savoir tenir une arme. »
Nathan ménagea une petite pause, sachant qu’il avait acquis l’attention d’une bonne partie de la classe.
«
J’ai envie de voir ce que vous valez comme possible futur gangster. Qui a envie de tenir cette arme ? Comme vous l’avez vu, elle n’est pas chargée. »
Ce n’était pas orthodoxe, mais Nathan, après tout, était un
gaijin. Il pouvait lire la stupéfaction dans les yeux des élèves. A leur place, il l’aurait probablement été, si on lui avait proposé de tenir un flingue en plein cours. C’était le genre de truc dont on irait ensuite rapidement se vanter sur Twitter. Il y avait presque même de quoi obtenir un petit article dans la rubrique «
Faits divers ».