Tidor Le temps de merde qui s’abattait sur Sylvandell contraignait Tidor à devoir rester dans l’un des bourgs des plaines. Le Commandeur se trouvait depuis une journée à Motte-la-Vallée, une bourgade comprenant un peu moins d’un millier d’âmes, ce qui en faisait l’une des plus grandes villes de ce petit royaume montagnard. Motte-la-Vallée disposait d’une petite fortification en bois entourant cette ville, plantée au pied de la capitale de Sylvandell. En raison des conditions climatiques, l’accès à la ville était restreint, réservé uniquement aux marchandises. On ne pouvait passer que par l’énorme monte-charge qui permettait d’accéder à la capitale de la ville. Tidor était donc coincé à Motte-la-Vallée, sans pouvoir rejoindre le château, et en profitait pour boire, jouer, et forniquer avec quelques paysannes dans des grandes humides où l’eau suintait entre les planches de bois. Ce n’était pas le pied, mais c’était toujours mieux que rien.
Tidor revenait d’une longue mission, qui lui avait pris plusieurs mois, et l’avait amené dans la redoutable jungle de Zerrikania, l’un des coins les plus dangereux du monde, avec des abominations qu’on ne trouvait nulle part ailleurs Il avait du s’y rendre pour accomplir une difficile quête, consistant à mettre la main sur différents ingrédients, afin de permettre à une guilde d’alchimistes ashnardiens de pouvoir fabriquer de nouveaux élixirs et potions nécessaires pour les équipements militaires. La prime était conséquente, Tidor y avait participé. Archer hors pair, le Commandeur était parti pour Zerrikania, et en était revenu fatigué. A bout de nerfs, même.
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Tout ça pour me taper une saloperie de putain d’averse à la con...*
On entendait parfois l’orage éclater en haut. Ce soir, il se tenait à l’une des plus grandes auberges de la ville, alternant entre concours de boissons entre ivrognes, pugilats dans le coin, et pokers. Il venait justement de rétamer un pugiliste, l’envoyant s’écraser contre le mur, lorsqu’il vit une belle jeune femme, une étrangère, se faire interpeller par cinq hommes. Il reconnut Marc et Benoît, deux garçons de ferme qui avaient voulu être ses écuyers, oubliant, en ce sens, qu’un Commandeur n’avait pas d’écuyers. Tidor fronça les sourcils, et s’approcha de la porte de sortie de l’auberge. Ces types n’étaient pas vraiment de mauvais bougres, mais l’alcool leur faisait vite tourner la tête. Ils ne savaient pas se contrôler, et Tidor, bien qu’il soit un guerrier, était aussi un Commandeur. A Sylvandell, un Commandeur avait des attributions judiciaires, pouvant rendre immédiatement justice quand il constatait, de ses yeux, une infraction. C’était presque un pouvoir discrétionnaire, qui confirmait toute l’importance que la Commanderie Noire avait à Sylvandell.
Tidor entendit des bruits de combats, mais, en sortant, il ne s’attendait clairement pas à cette scène. Marc était au sol, gémissant de douleur, allongé dans la boue, et deux de ses potes s’étaient cassés à toute allure. Il vit Benoît se ruer vers la femme, qui l’assomma également. Restant dans son coin, l’archer observa la scène, bras croisés, sous la porche.
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Elle est douée, cette fille...*
Pour assommer quelqu’un comme Marc, une force de la nature qui abattait des arbres chez lui avec une énorme hache, il fallait avoir une sacrée force de combat. Malheureusement pour la jeune femme, une patrouille, qui passait à proximité, arrêta les pugilistes. Les rixes n’étaient pas autorisés, et Tidor n’intervint pas. Il pleuvait, et il ne voulait pas se faire tremper. L’archer retourna dans l’auberge, monta dans sa chambre, et enfila une capuche. Les pugilistes, dont la jeune femme, allaient être conduites dans les cachots exiguës de Motte-la-Vallée, dans une grotte. En tant que Commandeur, Tidor avait aussi le pouvoir de recruter des individus potentiels au sein de la Commanderie Noire. Et, de ce qu’il avait vu, cette femme avait l’air d’avoir un bon potentiel.
Enfilant un manteau noirâtre avec une capuche, Tidor sortit dans la pluie battante, et rejoignit les cachots, avançant le long des rues silencieuses et boueuses. Avec les éclairs, Motte-la-Vallée ressemblait à une ville maudite, et la campagne de Sylvandell, si paisible, donnait l’impression d’être le décor d’un conte d’horreur, hanté par les vampires, les goules, et les garkains. Tidor rejoignit les cachots, près de la caserne de Motte-la-Vallée. Des feux brûlaient le long de petites tours en bois à l’entrée d’une grande caverne plantée au pied de la montagne. En hauteur, on pouvait apercevoir quelques-unes des lumières de la partie basse de Sylvandell. Tidor entra dans la caserne, n’ayant aucune difficulté à passer.
«
Que désirez-vous, Monseigneur ? demanda l’officier responsable de la prison.
-
Une patrouille a arrêté des pugilistes se battant devant l’auberge il y a quelques minutes. -
C’est exact. -
Où sont-ils ? -
Dans la salle commune. Ils seront libérés demain, Monseigneur, comme en dispose la... -
J’aimerais parler à l’un d’entre eux. Conduisez-moi là-bas. -
B-Bien, Monseigneur... répliqua l’homme, un peu surpris par cette remarque.
Veuillez me suivre. »
L’officier s’avança dans un couloir sombre. Il y avait peu de cellules ici, les cachots se situant surtout dans la capitale de Sylvandell. On n’enfermait dans des cachots que les prisonniers coupables de petites infractions, comme une rixe sur la voie publique. L’officier s’approcha de la salle commune. Il y avait surtout des saoulards, des fous, des geignards, qui passaient une nuit pour dégriser. Tidor repéra rapidement la femme qu’il recherchait, aisément reconnaissable. Si elle était aussi forte que belle, elle pourrait être très intéressante.
«
Cette femme-là. Libérez-là. »
L’officier acquiesça. Deux gardes entrèrent dans la cellule, et Tidor s’avança entre eux. Il était trempé, ses bottes étaient maculées de boue, et il s’avança vers la femme, avant de retirer sa capuche.
«
Je m’appelle Tidor. Je suis un Commandeur au service de Sylvandell, et du Roi Tywill Korvander. J’ai vu la manière dont vous avez mis une raclée à ces jeunes impertinents dehors. »
Marc était là, mais il était allongé sur le sol, se tenant l’estomac, toujours perclus de douleur. Tidor ne lui accorda qu’un bref regard, avant de regarder la femme.
«
J’aimerais m’entretenir avec vous, si vous n’y voyez aucun inconvénient. Ne vous inquiétez pas, vous n’avez aucune raison d’avoir peur... Je trouve, à vrai dire, que vous avez un coup de poing plutôt puissant, et j’aimerais me renseigner sur vous. »
Inutile de trop en dire d’emblée. Avant de savoir si elle pouvait rejoindre la Commanderie, il fallait d’abord se renseigner sur elle. Tidor voulait juste pouvoir parler avec elle. Il ne comptait pas discuter dans les cellules, mais, si elle était d’accord, il pourrait sans problème rejoindre le manoir du baron en charge de la baronnie de Motte-la-Vallée. L’endroit serait nettement plus agréable que cette cellule humide et sombre.