Les débuts furent difficiles pour Bâal. Un jour il était un puissant démon, se faisant passer pour un dieu, et le lendemain, rien de plus qu'un vulgaire vagabond démoniaque dans une époque futuriste. Même un parasite comme lui avait besoin d'un temps d'adaptation dans les rues. Pour achever le tout, le monde était à présent envahit de tas de choses toutes plus flippantes les unes que les autres, et les humains de cette fichue ville devaient faire avec les vampires, les loups-garous et bien d'autres encore. Difficile de croiser quelqu'un sans se demander si on a à faire à un bizarroïde ou non. Justiciers, super vilains... ouais ce monde-là a de quoi dépayser. Le démon ne se laissait toutefois pas abattre. Tuer deux trois personnes pour se faire une garde-robe fut simple. Mentir pour trouver un logement aussi. Il s'y réfugia alors et durant de longs mois, il travailla à rattraper le temps perdu, tout en nourrissant l'espoir qu'un jour, il trouverait un moyen de se hisser plus haut dans ce monde.
Ce soir-là en était un comme les autres, ou presque. Soirée de pleine Lune, seulement, de sombres nuages voilaient le ciel. Un orage de chaleur, comme il y en a des tonnes dans ce genre d'endroit, se préparait. Bientôt, ce serait pluie à gogo, éclair à tout va et pas un chat dans les rues. Fichus crétins, comme si l'eau de la pluie risquait de les tuer. Bâal en profita pour sortir. Tant pis si les éclairs de l'orage peuvent montrer au monde sa véritable nature, il y a trop longtemps qui vit cloitré dans cette pièce.
Un moyen de tester ses connaissances sur ce monde là. Tenue vestimentaire d'abord. Un jean sombre, un peu plus ample que d'ordinaire, des chaussures larges. Une ceinture, et un simple débardeur blanc. Là où il va, inutile de passer un costard. Il ajoute, par-dessus un manteau long, lui tombant derrière les genoux. Pile ce qu'il faut pour l'endroit qu'il compte visiter ce soir.
Sans un mot pour le réceptionniste de l'hôtel moisi où il crèche, le démon sort, son pas lent le conduit au bord du trottoir et il hèle un taxi. Une course d'une petite dizaine de dollars qui fait grincer les dents du chauffeur. Tant pis pour sa tronche, tout le monde n'a pas envie de se taper dix mille bornes dans un taxi pourri. Direction les coins sombres des docs. Une adresse bien précise : Quai 4 entrepôt deux. De loin, c'est un endroit normal, un entrepôt de marchandise lambda. Seulement, il y a une file d'attente, et deux gorilles qui trient les gens. À une quinzaine de mètres de là, un cercle de gueulards qui regardent quatre types se foutre sur la gueule comme des chiffonniers. Et le pire, c'est qu'on parie sur les vainqueurs, ce qui arrache un petit rire de Bâal.
Ce dernier fend la foule, et double les gens dans la file d'attente les uns après les autres, tant pis s'ils ne sont pas contents. Il se pointe devant les deux gros bras, qui le laissent passer sans problème. Ouais, Bâal est un démon qui est fait pour ça : tromper. En le voyant, on voit un type sympa, un peu sombre qu'on imagine être un gros charmeur. Son sourire se fait plus large alors qu'il descend les marches qui le conduisent vers les tréfonds de l'entrepôt. Une cave au plafond bas, peut être deux mètres cinquante de haut. Faut pas être clostro, c'est sûr. Des tas de gens s'entassent là. Ambiance métalo-trash. Des enceintes qui gueulent une musique surpuissante, des tas de types qui s'amusent dans des pogos. Quelques libertins se tripotent dans l'étroit couloir qui mène vers les toilettes.
" D'enfer " souffle le démon en se frayant un chemin vers le bar. Car oui, il y a un bar. Derrière lequel deux types à crète rouge servent des doses de chevaux aux nanas et pigeonnent les types complètement déchirés qui payent des consommations dont ils ne voient pas la couleur. Le démon se permet une halte pour sonder la pièce. Il y a de tout ici, vraiment, du camé à l'ivrogne en passant par les punks et les hardos. Mais pas que. Il y a sûrement deux trois vampires, peut être des goules et d'autres saloperies infernales dans le genre.. Le démon agite doucement la tête de droite à gauche, et se décide à aller se passer un coup d'eau sur le visage. Direction les toilettes.
Une salle dégueu, pour changer. Quelques cabines, et un lavabo long de quelques mètres devant des miroirs brisés. Le démon ricane, tandis que dans la salle, un nouveau bruit fait son apparition.Des hurlements. Le démon, seul face à son reflet, chantonne doucement, comme s'il se régalait de cette mélodie terrifiante. Les enceintes cessent de cracher leur son. Les hurlements cessent petit à petit, et finalement, il n'y a plus que des gémissements pour troubler un silence étrange. L'odeur ferreuse remonte aux narines de Bâal, qui n'a pas souri ainsi depuis des siècles. Lentement, il revient sur ses pas, regagnant la salle.
Les gens sont toujours là... mais moins actifs que précédemment. C'est tout simplement une boucherie. Des corps à droite à gauche. Dommage que l'humain ne soit pas un met apprécié par tous, parce que Bâal tenait là une vraie charcuterie. D'un coup de pied, il bouscule un type mort, debout contre le mur. Il n'y a que deux survivants à ce massacre. Le démon, et une autre personne. Sans doute la responsable de tout ceci, alors, avec un sourire resplendissant le démon vient heurter ses paumes, applaudissant la prouesse.
" Alors là, bravo ! Je n’avais pas entendu de gens piailler comme ça depuis la bataille des Thermopyles ! "
Il marque une courte pause et lorgne autour de lui.
" C'est ta manière de dire que tu n'aimes pas la musique qu'ils passent ici ? Enfin tu tombes à pique ! J'allais justement me commander un Bloody Mary"