Les portes d’entrées étaient toutes condamnées par des planches en bois clouées. Il y avait très certainement dans les environs une entrée secrète, mais ni Delirium, ni Salvation, n’avaient envie de s’amuser à la chercher. Plusieurs des portes étaient bloquées par des éboulements. Salvation déblaya donc une entrée à l’aide de sa magie. Fermant les yeux, afin de mieux concentrer ses flux magiques, elle tendit l’une de ses fines mains vers les planches en bois, qui ne tardèrent pas à se décoller. La télékinésie était l’un des nombreux talents de Salvation, et elle ne posait guère de difficultés devant de simples planches moisies. Delirium entra ensuite. Les deux femmes pénétrèrent dans un endroit extrêmement poussiéreux et sombre. Un endroit abandonné et relativement sinistre, avec des lézardes dans les murs, des toiles d’araignée, et des morceaux de bois.
« Il nous faut trouver un passage vers les cryptes du monastère... C’est toujours là que les rats se terrent... »
Salvation menait désormais la marche, utilisant sa perception de la magie pour se repérer. Elle sentait une espèce de fort puits magique en profondeur, comme si plusieurs mages procédaient à une espèce de cérémonie. Ceci ne pouvait que l’encourager à avancer encore plus. Les deux femmes débarquèrent ainsi dans une cour intérieure désolée. L’endroit avait jadis du être assez paisible, avec quelques parterres de fleur, mais les siècles avaient permis à la végétation de pousser partout. La fontaine au centre ne produisait plus de l’eau depuis bien longtemps, et celle qui traînait à l’intérieur était sale, couverte de ronces et de feuilles. Un arbre ancestral qui se trouvait au centre du monastère avait poussé de façon désordonnée, laissant de grosses branches aller jusqu’à taper les toitures de l’arcade qui entourait le petit jardin. Un potager ravagé dans un coin attestait encore de l’écoulement du temps. Les plantations étaient pourries.
Delirium et Salvation marchaient sur les graviers, quand Salvation s’arrêta, sentant une présence. Plusieurs présences, plutôt, qui venaient de l’intérieur du petit bâtiment. Tournant la tête à droite et à gauche, Penelo ne tarda pas à voir plusieurs espèces d’individus dans des robes sombres et poussiéreuses avancer vers elles. Des espèces de zombies qui ressemblaient tous à des corps décomposés. Certains n’étaient plus que des squelettes, mais d’autres avaient encore un peu de peau ratatinée ici et là. Leurs yeux lumineux illustraient le fait qu’une magie les avait réveillés. Une magie nécromancienne. Une magie noire. A cette idée, Penelo sentit un infime bourdonnement traverser son cerveau. Assez désagréable, cette sensation ne dura fort heureusement pas plus d’une seconde, et elle tendit ensuite une main vers l’un des moines fantômes, envoyant une puissante onde de choc. Le corps du moine se souleva, et explosa en plusieurs morceaux en rencontrant un pilier. Sous la puissance de l’impact, les os éclatèrent et se disloquèrent.
« Au moins, on sait ce qui est arrivé aux moines... Ces types doivent nous prendre pour des touristes » estima Penelo.
Delirium poussa un sourire amusé. Pour une guerrière qui avait déjà réussi à affronter un mammouth, affronter des squelettes n’était pas très dangereux. Les moines tenaient des bâtons de combat, indiquant sans doute que, dans leur ancienne vie, ils avaient aussi été portés vers les arts martiaux. Néanmoins, leur absence de muscle en faisait de biens piètres combattants. Les mages se trouvant dans les profondeurs du monastère croyaient sans doute avoir affaire à de simples visiteurs qu’il était facile d’effrayer. Ils allaient rapidement déchanter. Salvation lança des ondes de choc vers les moines zombies, les soufflant comme des quilles. Ils étaient néanmoins assez nombreux, et l’aide de Delirium ne fut pas trop. Rapide et sauvage, la guerrière avait sorti ses épées. Les os étant très vieux, ils étaient aussi extrêmement fragiles, et les coups d’épée les tranchaient sans difficulté. Les meilleurs squelettes étaient les ossements des anciens soldats. Les moines n’étaient, fondamentalement, pas bien dangereux.
Au bout de plusieurs minutes, tous les corps purent retourner à la paix.
« Nous avons perdu trop de temps, lâcha Salvation.
- Kath’ Eith’ Thrin’ acquiesça Delirium dans sa langue natale.
- Marchons vers l’église. »
Les deux femmes marchèrent donc. Delirium rangea ses épées. L’excitation l’amenait toujours à revenir à sa langue natale, incompréhensible pour le commun des mortels, ou presque. Salvation luisait d’une lueur blanche, un halo de magie entourant son corps. Signe de son impatience et de sa nervosité, elle lévitait en avançant, forçant Delirium à avancer plus rapidement pour la suivre. Les deux femmes arrivèrent ainsi dans la nef de l’église, Salvation pulvérisant la porte à double battant menant dans la nef. Les vitraux étaient généralement tous brisés, de même que les bancs, et elles furent accueillies par de nouveaux moines squelettes.
Énervée, Salvation fit briller ses mains, et envoya une nouvelle onde de choc vers les moines. Plusieurs furent soufflés par la déflagration, mais Salvation, réalisant qu’elle consommait trop de magie, se calma, et reposa pied à terre. Sentir la magie noire provoquait en elle une excitation fiévreuse qui la forçait à se surestimer. Elle laissa Delirium s’amuser avec les moines squelettes, ce que cette dernière fit avec un certain plaisir, poussant des rugissements bestiaux et des cris de joie un peu inutiles en évitant les attaques des moines, et en attaquant également. Ces squelettes ne ressentaient pas la douleur, ni la peur, ni la rage et la colère. Ils étaient guidés par une volonté invisible, écrasante, et les vaincre ne fut pas très difficile, même si cela prit plusieurs minutes. Salvation en profita pour s’asseoir en tailleur, et pour méditer, restaurant l’énergie magique qu’elle avait gaspillée. Une fois le combat terminé, Salvation se releva.
« Allons-y. Il doit y avoir un escalier quelque part... Allons chercher dans la sacristie. »
La porte menant à la sacristie avait été défoncée il y a probablement des années. Le tabernacle au centre de la pièce n’était plus qu’un amoncellement de tas de bois, mais Penelo trouva, dans un coin, une porte avec un escalier en colimaçon descendant dans les profondeurs du monastère. La magie noire émanait de là, et elle serra les poings, avant de tourner la tête vers Delirium.
« Ils sont en bas... »
Salvation commença à descendre l’escalier, résistant à la tentation de léviter. Maintenant qu’elle se rapprochait, elle pouvait sentir différentes signatures magiques, plus ou moins puissantes. Il n’y avait pas qu’un seul nécromancien, comme elle l’avait cru, mais plutôt tout un groupe. Son corps se mit à en trembler d’excitation. Les deux femmes atteignirent ensuite la crypte, où une porte menait sur un sombre couloir avec de nombreuses tombes, et autant de squelettes pour tenter de les retarder. Salvation ignorait ce que ces types faisaient, mais ils avaient visiblement besoin de temps. Il devait donc probablement s’agir d’une invocation. En tout cas, elle ne voyait ce qui pouvait susciter la réunion d’un troupeau de mages noirs que la volonté d’invoquer un gus. Une ancienne divinité, un puissant démon, etc... Qui avait sûrement les mêmes et classiques arguments : l’apocalypse, la fin du monde, etc... Les démons manquaient malheureusement cruellement d’imagination pour leurs motivations. Soit détruire le monde, soit le gouverner. Néanmoins, il valait mieux, si c’était encore possible, essayer d’empêcher que cette invocation n’arrive à son terme.
« On a déjà perdu trop de temps. On se grouille ! » lança-t-elle.