On en fait, des bêtises ... ( Pv )

... Ce soir, elle était surexcitée. Inutile de tenter de contrôler Alys dans ces moments-là ; seule la folie régissait sur son comportement. Ainsi, la jeune fille se permit une nouvelle folie : en plein préparatif pour une cérémonie dont elle avait oubliée le nom, elle disparue. Les autres prêtresses présentes - qui comptaient sur l'aide de cette furie - l'injuriérent tandis qu'elle prenait une porte dérobée ... Elle n'avait qu'une envie : partir sur Terre. Là-bas, les gens savaient vivre ... Ils n'étaient ni prétentieux comme les dieux Olympiens, ni soumises comme la panoplie de prêtresses, juste un parfait équilibre de cela. Alys, donc, quitta Olympe sur la pointe des pieds, et se retrouva ... A Seikusu.

Elle adorait cette cité, et passait son temps à la découvrir et à s'y perdre.

Ce qui lui arriva, d'ailleurs ... Elle se pauma dans les ruelles, et entra par hasard dans un bar. Il faisait déjà nuit, et elle préférait se mettre à l'abri, surtout vêtue comme elle l'était ... Elle portait sa tenue habituelle : micro-short, collants violets fashants, chaussures à talons vernies, et un corset noir et violet ciselé de dentelles en guise de haut. Ses seuls bijoux étaient un immense collier de perles blanches, enroulé plusieurs fois autour de son cou. Et lorsqu'elle rentra dans ce bar, on lui offra immédiatement un verre, puis deux, puis trois ... Malibu, Passoa et Manzana furent dégustés, et quand l'alcool monta ...

- Youplaboum ♥

Guidée par l'alcool, elle attrapa un chapeau, qui était déjà sur la tête de quelqu'un, et le posa au sommet de son crâne en souriant, se mettant à danser dans un éclat de rire, totalement déjantée.

- Hihi ! ♥

Merde. Quelle putain de journée. Deux heures plus tôt, Dmitry avait assisté à l'agression d'une jeune femme dans une ruelle sombre paumée dans un quartier malfamé, impuissant. Une prostituée bas de gamme et deux racailles sans envergure. Elle était sans défense, et ils l'ont roué de coups. Le russe est alors intervenu. Il a sorti son colt et a hurlé à la femme de détaler vite fait. Elle a obéi. Il voulait pas qu'elle voit ça. Il s'est bien occupé d'eux notre petit Dmitry. Le premier loubard s'est pris une balle de .45 dans les tripes et il s'est mis à se tortiller sur le goudron comme un poisson hors de son bocal, vomissant du sang et suppliant le démon. Aucun pardon. Le coup s'est logé dans l’occipital et il s'est arrêté de bouger, définitivement. C'était pas joli à voir... L'autre a été plus malin, il a essayé de se tirer quand il a vu que la situation dégénérait. Bang. Le type rampait à ses pieds baignant dans sa propre hémoglobine, la jambe trouée de part en part, tentant désespérément de lui échapper. Dmitry s'est avancé, lui a écrasé les doigts et a collé le canon sur sa tempe. Il lui a fait promettre de ne plus jamais toucher une femme et d'avertir tous ses amis que s'ils les revoyaient trainer dans le secteur, ils étaient morts. L'autre s'est mis à chialer et il s'est enfuie aussi vite qu'il pouvait avec sa blessure. Il avait dû avoir la peur de sa vie. Tous les mêmes.

A ce moment, Dmitry n'avait qu'une envie : noyer ses idées dans l'alcool. Il leur avait réglé leur compte mais ça n'avait pas suffi à évacuer toute sa frustration. Par chance, il connaissait un bar sympa dans le centre-ville, il était déjà passé par là plusieurs fois. Le gérant était un bon bonhomme, toujours dans le droit chemin. Un mec qui faisait tourner son petit commerce pour faire vivre sa famille. Une fois, le russe est venu débarrasser le patron de deux types qui essayaient de lui extorquer du fric. On lui avait rien demandé et pourtant, il a aidé. Quand on lui a dit pourquoi, il a simplement répondu: "J'aime bien ce bar. Et puis, tu mérites pas qu'on t'emmerde, toi."; un brave type l'air de rien. Mais c'est pas pour autant qu'il est tendre avec tout le monde.

Il se pointa avec son allure dégingandée et son vieux trench-coat maculé de la poussière des chemins, le chapeau baissé, broyant du noir, et demanda un Jack Daniel's au patron. Sec bien sûr. A quoi bon boire de l'alcool et se griller des neurones et se niquer le foie si c'est pour boire de la pisse de chat avec de la flotte ou à autre chose ? Il aimait pas qu'on coupe de l'alcool fort. Il le disait tout le temps. C'était un des trucs qu'il ne supportait pas. Au premier verre, tout allait bien. Au second, on commençait à ressentir les effets secondaires. Au troisième, on avait plus les idées très clairs; et au quatrième, on arrêtait de compter. On se laissait emporter, on oubliait ses soucis pour quelques heures.

Soudain, Dmitry ressentit un grand vide. Quelque chose n’allait pas. Il réagit lentement, complètement groggy, avant de se rendre compte qu'on lui avait piqué son borsalino. Bordel ! Ce chapeau était le truc qui comptait le plus au monde pour lui ! C'était le seul souvenir qu'il avait de son mentor. Il se leva maladroitement, manquant de renverser son verre et jeta un regard vitreux à la salle. Il avait pas les idées très claires à ce moment-là. Une femme se trémoussait au milieu du bar, avec sa précieuse coiffe sur le crâne et elle avait l'air aussi ivre que lui. Il ne distinguait pas grand-chose, mais elle devait être jeune. Elle était plutôt belle et bien formée, mais Dmitry n'y avait même pas fait attention. Tout ce qui l'importait, c'était récupérer son bien. Il avança vers elle et posa une main ferme sur son épaule.

- Mademoiselle, je crois que ceci m'appartient...

Alys était dans sa bulle ... Une bulle qu'on ne pouvait briser, habituellement. Hébétée par l'alcool, rendue aussi stupide qu'une adolescente qui découvre le monde de la nuit, la jeune prêtresse se pensait aussi immortelle qu'une déesse. Oui, elle en était une, d'ailleurs ! L'alcool lui offrait l'impression qu'elle était une déesse, une sorte d'entité immortelle, qui avait le pouvoir sur tout et n'importe quoi, et ... Une main ? Quand Alys sentit une main sur son épaule, et sursauta dans un petit cri aigu. Le chapeau manqua de choir, et elle faillit se ramasser sur le sol avec la grâce d'un lamantin. Une de ses main se posa sur le rebord du chapeau, tandis qu'elle fixait le jeune homme, immobile.

Elle cligna plusieurs fois des yeux, comme pour vérifier s'il existait.

- Chou ? ♫

Il ne faut pas oublier une chose, avec Alys : elle est incapable de retenir quoi que ce soit. Sa mémoire n'est plus, depuis son accident, et elle a la fâcheuse habitude de nommer tout le monde "Chou" avec un air aussi naïf qu'attendrissant.

Bref. Elle retira le chapeau doucement, le gardant contre elle cependant, le serrant entre ses mains sans oser lui tendre ...

- Je suis désolée ... ♥ Tu le veux ?

Elle lui tendit le chapeau et, au moment où il tendit la main, elle le ramena contre elle, joueuse. Oui, elle était bien ivre ... Et ne voulait pas lui rendre son chapeau. Un sourire immense naquit sur ses lèvres, tandis qu'elle prenait un air aussi sérieux que possible, un sourcil arqué, le dos droit. Alys avait la tête qui lui tournait un peu, et se sentait hilare comme jamais.

- Tu me donnes quoi, en échange, Chou ? ♥

Elle étouffa un rire, maintenant le chapeau contre elle, ne quittant pas cet inconnu du regard.

- Humpf...

 Chou ? Quel surnom absurde allait-il se coltiner encore ? Dmitry poussa un grognement gêné. La gamine ne voulait pas lâcher prise apparemment... Elle avait l'air surexcité, sans doute l'emprise de la boisson. Ça déclenchait ce genre de crise parfois. Lui restait imperturbable, même avec les idées floues il en aurait fallu plus que ça pour qu'elle l'emporte dans son petit jeu. Il desserra son emprise, s’effondra sur le siège le plus proche et posa sa tête entre ses mains. Foutu mal de crâne. Il releva le visage, plongeant ses yeux dans le regard de la jeune femme. Il prit son temps afin de pouvoir tenir des propos décents.

- Désolé petite, mais je ne crois pas avoir quelque chose à t'échanger sur moi... Tu ferais mieux de rentrer chez toi et de prendre du repos, tu as l'air d'en avoir besoin.

Il laissa s'échapper un soupir. Et puis qu'est-ce qu'elle foutait là aussi, en pleine nuit, dans un bar du centre-ville ? Elle n'avait pas l'air d'être une habituée des pubs, ni de tenir à l'alcool. Suffisait de voir son euphorie totale au bout de quelques verres... Elle devait être totalement paumée et de surcroit elle ne savait pas sur qui elle était tombée cette fois ! Il fallait se rendre à l'évidence : elle était têtue comme une mule et s'il ne voulait pas lui forcer la main, la seule façon de récupérer son borsalino chéri serait de capituler. *Pourquoi elles tombent toujours sur moi les filles bizarres ?*

- Bon... Qu'est-ce que tu veux que je fasse pour récupérer mon chapeau ?

Pas très glorieux pour un démon de céder aux exigences d'une gamine qui le prenait pour son nouveau jouet, mais Dmitry aurait été incapable de faire preuve de fermeté à cet instant. Ou peut-être faisait-il preuve d'affection, aussi inconcevable que cela puisse paraitre ? Hum. Mettons ça sur le compte du whisky. Toujours est-il qu'il était là, devant elle, à se demander quelles idées saugrenues allait-elle encore avoir.

Ah, il capitulait ! Chouette. Alys, ne lâchant pas le chapeau, s'approcha de lui avec la lenteur d'une effluve de fumée, pour venir se placer, debout, face à lui. Elle avait dit cela sans vraiment réfléchir ... Que pouvait-elle lui demander, en échange de ce qu'elle lui avait pris ? Rien. T'es conne, y'a rien. Dans ces moments-là, Alys se détestait ... Son impulsivité venait la foutre dans ses situations saugrenues, bien trop souvent. L'adolescente fit tourner le chapeau entre ses doigts, pensives, puis elle repensa à ce qu'il lui avait dit. Alys inspira un grand coup ... Rentrez chez moi ? C'était peut-être le mieux à faire ... S'allonger, s'apaiser un instant lui permettrait de se sentir mieux, sans doute ...

Mais elle n'avait pas de chez elle. Juste un lit, dans une chambre minuscule et mal éclairée, aux murs fins comme du papier. Elle avait repeint les murs sans aucun scrupule, faisant bondir les couleurs de l'arc-en-ciel de part et d'autre de sa chambre, mais cela n'avait rien changée. En Olympe, Alys n'était rien. Rien. Alors, elle se plaça à genoux face à lui, et posa le chapeau sur les genoux de cet inconnu. Ce qu'elle allait dire, elle n'aurait sans doute jamais osé le dire sans l'aide de l'alcool.

- Hébergez-moi ... Je ne veux pas retourner là-bas.

Elle semblait parler d'un lieu terrible ... Mais cette voix instable, ce regard perdu n'était pas simulé. Elle ne voulait pas aller en Olympe, elle voulait juste se cacher un peu, ne pas avoir à subir les brimades et les moqueries qu'on lui réservait "là-haut". Elle releva les yeux vers lui, un moment ... Qui était-il ? Elle s'en foutait grandement. Il ne lui importait qu'une chose : trouver un refuge.

- S'il vous plaît ...

L'alcool la rendait plus instable que jamais ... De folle furieuse hilare, elle était passée à gamine perdue et terrifiée ... What else ? Son avenir en Olympe était sans doute la chose la plus flippante à laquelle elle avait été confrontée au cours de sa courte vie. Ces soirées sur Terre étaient de minces et éphéméres échappatoires ... Pfff. Alys passa sa main dans son épaisse chevelure noire, se recoiffant quelque peu, essayant de retrouver sa dignité, noyée dans l'alcool.

En attendant, son regard ne décrochait pas de celui de l'inconnu, comme pour appuyer ses propos. Pour cette nuit, il lui fallait un refuge quelconque ... Tout, sauf Olympe.

C'était troublant de la voir passer en quelques minutes de l'état de folâtre déchainée à celui d'enfant désorienté. Ce regard... Il ne savait pas d'où elle venait et ça lui était égal. La gamine semblait vraiment terrorisée à l'idée d'y retourner, il ne pouvait pas la laisser là. Et puis si elle n'avait pas d'autre endroit où dormir, elle serait plus en sécurité chez lui que nulle part ailleurs. *Bordel Dmitry, tu deviens un sentimental ! Reprend-toi !* Ouais. Notre russe n'était pas un modèle de bienséance. Pourquoi sur tous les types qui traînent dans les bars avait-il fallu que cette gamine le choisisse, lui, un putain de psychopathe qui massacre des criminels comme une machine, baise sans retenue et s'habille avec des fringues d'une autre époque ? Merde. Elle était vraiment trop attendrissante... Il était comme ça Dmitry : il provoquait des raclures dix fois plus nombreuses que lui et était incapable de tenir tête face à une belle femme. *Bah... Qu'est-ce que j'ai à perdre après tout ? Un peu de compagnie ne me pourra pas me faire de mal.*

- Bon, tu as gagné, je ne peux pas t'abandonner ici.

Ces dernières semaines, Dmitry logeait dans un appartement avec tout le confort moderne à trois cents mètres du bar. Pas très grand, pas non plus d'un luxe Olympien, mais c'était un palace pour un type comme lui quand on connaissait les planques malfamés et les hôtels miteux qu'il avait fréquenté quand il traquait quelqu'un. A vivre dangereusement on se retrouve dans des situations pas toujours très confortables...
Il se retourna vers le comptoir et déposa quelques billets.

- J'paie pour la fille aussi. Garde la monnaie. Et désolé pour tout ce grabuge...

Dmitry se leva, son trench sur l'épaule et posa son borsalino sur la tête de la gamine. *Mouarf, elle le porte bien aussi.* Il tendit la main pour la relever.

- Je m'appelle Dmitry.

Aussitôt, sur le visage d'Alys, se traça un sourire rassuré. Elle ressemblait décidement trop à ces petites adolescentes qu'un rien traumatise ... Un jour, il lui faudrait grandir. J'ai le temps ... Son âge lui servait d'excuse pour couvrir la multitudes de bêtises qu'elle faisait, après tout ... On la traitait d'irresponsable, d'insouciante indécrottable, et elle répliquait que c'était logique, car elle n'avait que 18 ans. Et puis, son accident lui était très utile aussi ... Mais là, il aurait pu l'envoyer se faire foutre, ignorant tout de la vie de cette gamine fluorescente et surexcitée qu'elle était. Une pichenette, et il l'aurait envoyé paitre ... Mais non. Il avait accepté, allez savoir pourquoi. Et la confiance d'Alys, immédiatement, s'empara de lui.

Oui, elle faisait facilement confiance. C'était un des plus grands défauts, sans doute, né de son insouciance profonde. Elle le salua d'un hochement de tête profond, comme elle le faisait quand elle était forcée de saluer un dieu - elle avait tenté de faire la bise à l'un d'eux, mais s'était mangée une jolie paire de claques en contrepartie - en bonne prêtresse qu'elle était ... Ce genre de réflexes, malgré ses troubles de mémoires, resteraient sans doute à jamais gravé en elle.

- Je vous remercie ♫

Un ton un peu plus enjoué ... Mais pas aussi survolté qu'il y a quelques minutes. Alys accepta cette main, et se releva en cherchant un équilibre à peu près digne de ce nom ... Et porta la main au borsalino qu'il avait posé sur sa tête. Son sourire gagna aussitôt en puissance.

- Je me nomme ...

L'adolescente fronça les sourcils. Putain ... Elle oubliait si facilement son nom. Elle plongea sa main dans sa poche, pour en sortir un morceau de papier, sur lequel elle avait inscrit son prénom, au cas où ...

- ...  Alys. A-L-Y-S ... Je m'appelle Alys.

Dit-elle rapidement, un peu gênée. Elle se sentait toujours obligée d'épeler son prénom, de crainte qu'on le confonde avec l'habituelle " Alice ". Et puis, elle n'aimait pas Alice au pays des Merveilles. Elle releva les yeux vers l'homme face à elle, et resta interdite. Comment s'appelait-il, déjà ? Foutue mémoire ... Néanmoins, elle maintint son sourire. La simple idée de ne pas avoir à dormir en Olympe lui faisait un bien fou ... I'll survive.

Dmitry haussa un sourcil et eut un rire nerveux, imaginant mal que l'on puisse oublier son propre prénom. Alys...  Sans doute n'aimait-elle pas que l'on confonde avec Alice, pensa-t-il. Il connaissait ça aussi, les gens avaient tendance à l'appeler Dimitri.

Il sortit le premier, invitant la jeune femme à le suivre. La lune était à son premier quartier; un léger brouillard flottait comme une écharpe dans le vent. Les lumières de la ville scintillaient tel une quantité d'étoiles. Un vent frais lui flattait le visage. La tenue d'Alys n'était guère des plus adaptées pour un temps comme celui-ci, aussi, sans demander plus son avis, il posa son trench sur ses épaules. Le froid n'était pas une plaie pour lui. Il fouilla dans sa poche et sortit une cigarette, son briquet dans l'autre main. Il la déposa entre ses lèvres et l'alluma. Après un bref instant silencieux, Dmitry leva le doigt en direction d'une rue adjacente.

- C'est par là, on y sera sous peu.

Il jeta un regard à Alys et emboîta le pas. Une sensation d'amertume persistait. Mauvais idée Dmitry, pensa-t-il. T'es pas un bienfaiteur et tu l'seras jamais. T'aurais mieux fait de la laisser s'demerder. Tu sais comment ça se finit. Toujours.

- Ta gueule.

Les dents serrées, lèvres pincées, il avait dit ça comme s'il répondait à un intervenant invisible que seul lui pouvait voir.

Ils arrivèrent devant l’hôtel. Certes, il payait pas de mine vu comme ça. La façade était si vermoulue que l'on craindrait qu'elle s'écroule en claquant la porte. On distinguait encore les traces d'un incendie qui avait eu il y a quelques années. Heureusement, l'intérieur était plus accueillant. Le russe salua Kenji, un homme d'une cinquantaine d'année qui s'occupait de l’accueil. Il récupéra les clés et monta les marches quatre à quatre, vérifiant qu'Alys suivait le rythme.

- Voilà, c'est ici...

Clac. Il tourna la clé et ouvrit la porte, cédant le passage à son "invitée".

- Bon... fait ici comme chez toi. Tu dormiras dans la chambre, j'irais sur le divan. Si tu veux prendre une douche, il y a des serviettes propres dans l'étagère du haut de la salle de bain. Si tu veux manger sers toi dans le frigo. Demande moi ce que tu veux.

C'était pas souvent qu'il recevait de la visite "amicale". Il se plaça derrière le mini-bar et se servit un verre d'un excellent fût de vin de Malaga. Il avait peu aménagé la chambre d’hôtel. Un frigo presque vide, un divan complètement défait, une table où s'amoncelait des verres et des bouteilles d'alcool autours d'un cendrier à moitié rempli et deux meubles qui prenaient la poussière, visiblement sans utilité. Seul détail personnel : des héliotropes s'épanouissaient sur le rebord de la fenêtre. Pour certains, ces fleurs signifiaient la cruauté, d'autres y voyait la puissance de Dieu. Un doux euphémisme pour quelqu'un comme lui. Un domicile plus usuel qu'autre chose, mais on y vivait bien et il s'y sentait chez lui.

- Désolé pour le bordel, j'avais pas prévu de recevoir quelqu'un ce soir...

Il rassembla les verres et les déposa dans l'évier, remettant à plus tard la tâche pénible qui consistait à faire la vaisselle. Il roula sa veste en boule et l'envoya voler sur une chaise, puis s'avança vers la pièce d'à coté.

- C'est ici que tu dors.

Cet endroit où il admettait peu de monde avait tout l'air d'un bazar, tant il contenait de choses hétéroclites. Une grande armoire se tenait à gauche de la porte; une table, près du lit, supportait un fouillis de papier, se mêlant à divers ouvrages entamés, vieux journaux et une lampe que l'on ne voyait même plus. Sur la commode reposait une radio grésillant que son propriétaire n'avait pas pris la peine d'éteindre, le tout éclairé par un lustre qui pendait au milieu de la pièce. Un peu de poussière et on aurait pu croire que personne n'était venu ici depuis plusieurs semaines. Cependant, et ce malgré le désordre, le tout conservait une certaine classe, sans exubérance et frivolités qui horripilaient Dmitry.

- Et bien, je te laisse t'installer. Je te sers quelque chose ?

Entendez par là de l'eau ou du soda, estimant qu'elle avait déjà eu sa dose d'alcool pour la soirée.

Le trench sur le dos, l'odeur de la cigarette qui venait la narguer, la fraicheur des rues ... Alys ne percevait que quelques détails de ce qui l'entourait. Tout autour d'elle semblait tanguer dangereusement, si bien qu'elle ne se sentait pas à l'aise, sur ses talons hauts. Elle clopinait, se sentant à demi-vivante, le corps partagé entre une ivresse qui la faisait planer loin du sol, et cette douleur qui griffait les muscles de ses jambes. Le trench, trop grand pour elle, laissait passer de longs filets d'air, mais il lui apportait un certain réconfort qui la fit sourire de manière béate pendant toute la durée de la marche. Son attention était concentrée sur cet équilibre précaire qu'il lui restait, après tous ces verres ... La jeune fille ne fit cependant aucune erreur, et n'émit aucun son durant le trajet.

Quand il arrivérent devant la bâtiment qui abritait la demeure de Dmitry, tout alla très vite ; le temps qui lui avait semblé long quand elle marchait, semblait avoir accéléré violemment, au point de la faire grimacer. L'alcool avait une emprise dangereuse sur cette ingénue qui se pensait immortelle, malgré sa fragilité. Son premier réflexe fut de s'asseoir sur le lit, sage comme une image. Son regard déambula dans toute la pièce ... Je suis dans un rêve ?

-Hihi ♫

Un petit rire l'agita pendant un moment, avant qu'elle ne parvienne à prononcer :

- Coca ... Tu as ?

Son sourire ne voulait pas flancher, décidemment ... Par contre, pour ce qui était de sa raison ... Cela faisait bien longtemps qu'elle avait foutue le camp. Sans doute en même temps que sa mémoire. Elle tomba en arrière sur le lit, rebondissant doucement, et étala ses bras sur le tissu ... La pièce, autour d'elle, semblait bouger, remuer, s'avancer puis reculer, comme pour l'avaler. Immédiatement, l'adolescente ferma les yeux, se plaquant les mains sur le visage, comme une enfant effrayée.

Quand elle entendit les pas de Dmitry, elle ne retira pas les mains de son visage, restant immobile.

- Tu parlais ... à qui, dans la rue ?

Elle ne se souvenait pas de ce qu'il avait dit. Mais il avait parlé, elle s'en souvenait. Et puis, ça l'intriguait, et ça lui permettait de penser à aute chose que cette pièce qui tanguait.