Après son arrivée soudaine et brutale sur Terra, sa rencontre désagréable avec les Tekhanes et sa confrontation très spéciale avec Lloyd, Jack avait enfin retrouvé sa liberté. Aux commandes de
Lina, il avait aussi acquis du malicieux Terranide ses premières connaissances sur les failles, connaissances qui lui permettraient désormais de repérer celles-ci et de les sélectionner selon leurs destinations potentielles. Il avait repris son voyage avec la conscience de pouvoir trouver quantité de ces failles sur cette étrange planète, et avec l’assurance de trouver un chemin sûr vers la Base de Nmemnys en prenant son temps.
Volant haut au-dessus des nuages, il tâchait de ne pas se faire repérer et de repérer toute menace potentielle, se tenant aussi à distance des menaces aériennes rôdant à travers le vaste supercontinent de la planète. Il avait repéré des formes de vie spectaculaires faisant écho à d’anciennes légendes de son monde et d’ailleurs, et il se demandait à quel point l’abondance de failles sur ce monde avait contribué à brasser la vie via celui-ci à travers moult espaces et dimensions. Il y en avait pour une vie d’études !
Mais il n’était pas là pour étudier. Il cherchait un chemin vers sa destination, et vers l’endroit qui ressemblait le plus à une maison en-dehors de ses missions actuellement. Il espérait revoir Jessica en y arrivant, et pouvoir passer un peu de temps avec elle avant de repartir, ou avant qu’elle disparaisse, à nouveau, de manière inattendue.
Cependant, une chose que Jack Marston ne savait pas faire était de fermer les yeux face à la terreur et la violence. Ce monde était riche en affrontements et en tragédies. Il l’avait vite compris et en obtenait des témoignages au retour des scans de ses senseurs. Partout, il pouvait trouver des troupes en marche, des affrontements armés, des attaques de monstres et les vestiges de bien d’autres. Ici, la vie coûtait cher, et elle se payait par sa sueur et par son sang. Les gens d’ici devaient être particulièrement rudes. La plupart du temps, les deux camps se défendaient bec et ongles mais, parfois, des massacres avaient clairement été commis.
Et, cette fois, il assistait aux prémisses d’un tel massacre. Son dernier scan lui remontait la présence d’un groupe dispersé en ayant encerclé un autre. Ils étaient armés sommairement, de masses et de filets et d’autres objets contondants et restreintes. Ils semblaient vouloir s’emparer de l’autre groupe, qui n’était doté que de quelques outils semblant destinés à la cueillette. C’est, en tout cas, ce qu’il retirait de la synthèse reçue sur son ordinateur. Et si Jack ne comprenait pas pourquoi ils pourraient vouloir les capturer, son flair lui dit que ça n’avait rien de bon. Il détectait bien des individus armés similaires à ceux qui étaient menacés, et qui se regroupaient lentement. Mais ils étaient loin. Trop loin. Quoi qu’il arrive, le temps que les renforts armés soient sur place, des innocents souffriraient.
Il essaya de détourner le regard, serra les dents… Puis il vira soudainement de bord et piqua du nez vers le sol.
« Putain, Jack, t’es trop con… De quoi tu t’mêles… »L’éclaireur, empâté mais agile, descendit jusqu’au sol en un éclair et ralentit brutalement, causant un raffut en décélérant équivalent à un violent coup de tonnerre.
Plus loin dans la forêt, Knut Bois-Flotté, fameux esclavagiste de son état, géant maigre et scarifié couvert de maille, notoire pour son usage très délibéré de la trique et de sa bite, sursauta et scruta les bois après ce soudain éclairement d’air. Miraculeux survivant d’un naufrage en pleine tempête, il octroyait sa vie préservée à ses prières à ses dieux, et était un homme très superstitieux. Ce soudain éclair par un ciel si clair l’angoissait soudainement, lui donnait le présage d’une menace surnaturelle. Figé, les yeux écarquillés, il entendait, du bout de l’oreille, ses hommes chuchoter entre eux, et il se trouva en proie à un énième dilemme. Il avait promis à ses soudards la saisie facile d’une bande d’esclaves en fuite de longue date. Personne ne les attendait plus et ils étaient techniquement tout à eux, bons pour revente et pour usage. Ils avaient hâte d’y être. Ils y étaient presque. Et, encore une fois, leur chef s’apprêtait à revenir sur sa parole à cause d’un putain d’augure de shaman en papier. Cette fois, ça ne passerait probablement pas.
« … Chef ? »« Raaah ça va ! » éructa-t-il en s’efforçant de rester discret, les proies étant proches.
« On y va. »Son second donna le signal. Les soudards s’avancèrent, affirmèrent leur prise sur leurs armes, approchèrent à couvert des Elfes occupés joyeusement et indolemment à leur cueillette hivernale tardive et, en arrivant sur eux, les prirent d’assaut. L’attaque fut brève et violente, déchirante. Les Elfes, en réalisant la situation, étaient déjà faits. Plusieurs avaient été capturés ou assommés par les esclavagistes et ceux qui restaient étaient suspendus aux frondaisons, vulnérables et la cible de frondeurs cherchant à les faire tomber. Les autres cherchèrent, pour certains, à fuir, mais ils étaient encerclés. Il y eut des cris déchirants de désespoir et de terreur, car presque tous les cueilleurs étaient des femmes, et elles savaient quel sort les attendait entre les mains de brutes humaines telles que celles leur mettant la main dessus. Une des Elfes porta sa serpe à sa gorge, mais se fit empêcher de mettre fin à ses jours à la dernière seconde, hurlant de colère et de frustration, en sanglots, tout en se faisant plaquer dans le sol riche d’humus et ficelée par une corde rêche.
Le raid était un succès absolu. Knut n’avait même pas eu à lever la main et il observait la scène avec un certain soulagement. Finalement, tout allait bien.
Tout allait bien.
Puis, un nouveau coup de tonnerre.
Knut se figea après un sursaut violent qui fit craquer ses articulations usées. Ses yeux exorbités virent une silhouette se démarquer de celle d’un arbre. Sombre, caparaçonnée dans une sorte d’armure, elle lui fit l’effet d’un démon vengeur envoyé par les dieux pour quelque méfait commis. Déjà, un de ses hommes avait été foudroyé, la marque fumante, encore chaude de l’impact d’un éclair, marquant sa poitrine. L’esclavagiste trembla et s’ébranla. Ce n’était pas un démon. C’était un dieu !
« Votten ! Votten ! » brailla-t-il dans sa langue, nom d’un dieu de son cru que lui seul connaissait.
Nul ne comprenait, tandis qu’il tournait les talons et fuyait, instinctivement suivi, la seconde suivante, par plusieurs de ses hommes.
De son côté, Jack vit le géant emmaillé fuir sa ligne de mire et constata la retraite désorganisée. Il remarqua aussi l’hésitation de la plupart des bandits, et l’instinct violent du reste qui se mettait en marche, les brutes tournant leur attention et leurs armes contre lui. Il dirigea instinctivement vers un adversaire faisant tourner une fronde, se préparant à le frapper, et le frappa d’une balle électromagnétique explosive. C’était du gros calibre pour la mission, mais il n’avait pas pris le temps de juger la bonne mesure de la réponse à donner. Il allait faire avec ça, et peut-être compter sur l’effet psychologique pour s’en sortir seul face à la masse. La plupart étaient armés pour le corps-à-corps et lui pouvait enchaîner les coups de loin. Ils s’élançaient très vite, mais il avait la gâchette souple.
BOM ! BOM ! BOM ! BOM ! … BOM!Chaque coup atteignait un de ces salopards sanguinaires, qui s’écroulait généralement sans plus qu’une plainte étranglée, perdant connaissance sous le choc de l’explosion et de la douleur fulgurante qui les prenait ; sans compter la perte certaine et conséquente de sang. Comme un desperado hollywoodien, Jack éjecta le barillet et en clipsa un autre, rechargea, et enchaîna. Un, deux, trois… Stop ! Les hostiles battaient en retraite. Il en tint un dernier en joue, qui vida sa vessie en pleurnichant, mains vides en l’air, avant de tourner les talons et de fuir à son tour.
Jack baissa son arme en soupirant, soulagé, et contrôla rapidement son état. Tout allait bien.
« C’était inconscient, » se fit-il remarquer.
Mais il ne regrettait rien.
Rangeant son revolver dans son holster, il regarda la silhouette du dernier misérable s’enfonçant dans les fourrés ; et entendit un projectile silencieux le survoler, avant qu’un faisceau ne se plante dans la silhouette qui, dans un cri strident, s’écroula. Un autre projectile le fit taire.
C’était au tour de Jack de se tendre et, écoutant ses environs, il
sut que des gens armés se tenaient derrière lui, et qu’ils le tenaient peut-être en joue. Il n’avait pas intérêt à faire le con ou l’intéressant. Ces fourrageurs avaient été sacrément violentés. Ils devaient avoir la haine. Doucement, doigts écartés, il leva à son tour ses mains vides et descendit à genoux, en signe de reddition. C’était sûrement la troupe qu’il avait repéré. Ils avaient été rapides ! Pas assez. Mais bien plus qu’attendu.