Anéa s’était montrée curieuse quant à son voyage, et Jack avait souri de manière énigmatique et légèrement malicieuse. A entendre sa question, il avait presque l’impression qu’elle savait quelque chose, mais elle devait au moins se douter que son passage n’avait pas été seulement fait de galère et de cavale maintenant qu’elle avait vu ses oreilles rougir en repensant à Rubis et à la nuit qu’il avait passé chez elle.
« Tout n’était pas à jeter, » avait-il répondu fourbement.
Il ne lui donnait pas beaucoup, sur ce coup, mais il en donnait pas mal tandis qu’elle avait un peu de mal à entrer dans les détails. Il s’accordait ce petit joker, qu’elle lui laissa volontiers avant de, presque surprenamment, répondre avec franchise à ses questions comme elle le lui avait promis. Et il écouta attentivement, ouvrant ses yeux avec surprise plus d’une fois en l’entendant parler de son identité.
Alors, Anéa était un ange ? Il ne les imaginait pas comme ça. Il faut dire que l’idée change beaucoup d’une culture à l’autre, mais tout de même ! Est-ce que ça pouvait vraiment changer autant selon le dieu et l’endroit ? Est-ce que c’était encore… une espèce ? Il gardait ses désirs d’interruption pour lui, pour le moment, et suivit son récit. Cette histoire d’ange guerrier expliquait au moins son récit de guerre d’avant, qu’elle n’étoffa pas, mais elle-même semblait ne pas vraiment comprendre les tenants et aboutissants.
Son dieu était une sorte de divinité unique et surpuissante sévissant sur Terre, et il l’avait conçue pour combattre les démons. Le vétéran l’écoutait en combattant son incrédulité par la sincérité manifeste de la conteuse. Depuis son domaine, le Paradis, elle était donc envoyée génocider les créatures du vice et du Mal. C’était… manichéen au possible, mais si ça marchait comme ça, il y avait des choses à dire sur la façon dont l’univers fonctionnait.
Elle finit par évoquer une erreur. Apparemment, son « Dieu » n’était pas du genre compréhensif et miséricordieux, et il l’avait déchue, ce qui devait vouloir dire qu’elle avait perdu ses droits ? En tout cas, elle n’était plus au Paradis. De son aveu, son quotidien constituait à chasser les démons en solitaire ça et là, et son aventure ici était seulement arrivée parce qu’elle avait perdu la piste d’un d’eux. Au final, elle s’excusait même d’avoir pris son travail parce qu’elle avait échoué au sien, et il leva son verre avec un sourire goguenard.
« Tu es pardonnée, » lui accorda-t-il avant de plonger enfin les lèvres dans celui-ci.
Il toussa en gouttant l’affreux liquide de dégivrage décanté que le barman leur avait sorti et il s’étranglait en continuant.
« Au moins, je peux le faire, moi. Teuheu ! Et puis, entre soldats, on se serre les coudes. »
Il retrouva un semblant de contenance en maudissant l’alcool qui lui rongeait l’œsophage. Il servait ça à quoi ? Aux Reptiliens ?!
Et puis, Anéa lui fit une proposition qui le coupa et il la scruta quelques secondes avec sérieux, jusqu’à la voir vider son verre d’une traite en toussotant à peine, avec le sourire. Il éclata alors de rire et se claqua la cuisse en la voyant faire.
« J’avais vraiment aucune chance ! »
Depuis le début, elle ne plaisantait pas. Elle était franche. Et elle ne jouait pas avec lui. Alors, en lui proposant de l’accompagner ailleurs, il ne savait pas ce qu’elle lui voulait, mais il sentait qu’elle ne comptait pas le blesser, ou du moins pas lui faire du mal. Et si elle n’avait pas pour idée de le crucifier, il devait avouer que la jolie brune, avec ses mystères, son joli minois et sa franchise, l’ouvraient à n’importe quelle autre alternative. Il mentirait en disant qu’elle ne l’attirait pas, et son regard laissa échapper brièvement cette appréciation sensuelle à son égard, quoique, dans l’ignorance de ses intentions, il se montrait plus curieux qu’autre chose.
Alors, déjà décidé, il remonta le verre à ses lèvres mais, quand l’odeur frôla ses narines, il fit une grimace dégoûtée et le repoussa instinctivement. Son organisme n’en voulait plus ! Se raclant la gorge, il finit par tendre son verre en offrande à l’archange déchue avec humilité, avec une légère courbette, comme un sacrifice.
« Ça a l’air de t’avoir plu, à toi. »
Il la laissa en disposer et, en rebombant le torse, il entreprit de se remettre debout, descendant du tabouret en ressentant soudainement le flottement que produisait l’éthanol sur ses sens. Il souffla avec un gloussement amusé et rouvrit les yeux quand elle descendit à son tour, nettement plus en forme évidemment.
« Qu’est-ce que tu as en tête ? T’as une piaule ? On va dans mon coucou ? Ou c’est autre chose ? »