L'entrée de Myrella ne passa pas inaperçue, en grande partie parce que le bal des moissons n'était pas une mascarade, et donc son idée de porter un masque ne manqua pas d'attirer l'attention, et le regard du tyran de Meisa, comme se plaisait à l'appeler certains nobles derrière portes closes, se porta sur elle. Il n'avait pas besoin de connaître son apparence actuelle pour reconnaître une aura qu'il avait croisé par le passé. L'aura de son propre sang. L'aura du sang de son père. L'aura de la Reine. L'aura de Moregane. C'était cette capacité à pouvoir dénicher les gens même dans une foule qui lui avait permis de survivre à toutes les tentatives d'assassinats.
Il ne se formalisa cependant pas de sa présence. Elle avait été discrète, insignifiante pendant une si grande part de sa vie, il n'attendait aucune surprise venant d'elle. Il n'avait pas pour habitude de sous-estimer des opposant politiques, mais Myrella n'effleurait même pas sa conscience à titre de menace. Elle était, tout simplement, sans importance. Sans conséquence.
Et c'est justement dû à cette perception d'elle, du fait qu'il ne la voyait pas comme une menace ni comme une préoccupation, qui l'avait rassuré dans son indolence, jusqu'à ce qu'elle ose s'approcher de lui et lui offrir une danse. La demande le surprit, et en raison de ses perceptions erronées, il sentit quelque chose monter en lui. Pas de la colère, nécessairement, mais des reproches envers lui-même. Devant l'audace de la jeune femme, toute l'audience s'était tue pour entendre sa réponse, prêts à bondir sur le moindre scandale et répandre les rumeurs les plus juteuses possibles.
Le Roi examina la demanderesse, ses doigts se crispant sur les appui-bras de son fauteuil, et il se redressa de son trône du moment, descendant lentement vers la femme, causant immédiatement des murmures de surprise alors que ses pas résonnèrent sur la pierre.
Sentant le danger, le tigre de la duchesse s'éloigna du Roi, comme s'il ressentait que l'approcher serait une bonne manière de mourir subitement.
Saisissant la duchesse par la mâchoire et la forçant à croiser son regard, le Roi l'examina directement, croisant l'émeraude de ses iris.
Grymauch semblait sur le point de s'interposer entre son père et sa tante, craignant une altercation malheureuse entre les deux membres de la famille royale. Il y avait longtemps que Myrella n'avait pas mis le pied à la Citadelle, et peut-être avait-elle oublié le caractère irascible et facilement irritable.
À sa surprise, le Roi relâcha sa sœur.
"À votre aise, mystérieuse étrangère."
Et il lui agrippa la main pour l'emmener au cœur de la foule, qui s'écarta prestement, comme si le Roi allait les faire rôtir sur place. Les mains du Roi étaient serrées douloureusement sur le poignet de Myrella, comme pour lui faire comprendre qu'elle venait de commettre une erreur déplorable et risquait, à tout moment, d'encaisser la colère du souverain. Il la tira devant lui, et plaqua une main derrière le dos de la jeune demoiselle, la tirant fermement contre le corps du souverain, et les musiciens, après un moment d'hésitation, recommencèrent à jouer de l'instrument.