Gerd écouta l’Elfe expliquer, sommairement, ce qu’elle avait fait. Il hocha la tête, encourageant, en la regardant chercher des mots pour essayer de s’expliquer, mais il ne dit rien lorsqu’elle sembla laisser tomber en se massant les tempes. Les Elfes les plus sauvages étaient rarement habitués à fréquenter des étrangers et devoir leur expliquer des choses évidentes pouvait être compliqué pour eux. Le sorceleur ne jugeait pas : songez à quelque chose d’évident pour vous et essayez de l’expliquer de manière à ce qu’un étranger complet puisse le comprendre, et vous verrez que c’est bien plus compliqué qu’il n’y paraît. Ayant fait beaucoup de route dans sa vie, il comprenait le problème qu’elle rencontrait. Il se contentait d’apprendre qu’elle était une sorte de guérisseuse pour comprendre qu’il avait été entre des mains compétentes, et il hocha la tête avec un léger sourire, se redressant doucement de côté, appuyé sur le coude.
Siraye : ainsi se présenta-t-elle finalement, et il lui répondit simplement :
« Et je suis Gerd, un simple sorceleur suivant la Voie. »
Définir la Voie : voilà quelque chose de compliqué à expliquer à une totale étrangère. Même si elle se disait en voyage, il devinait que son voyage ne faisait que commencer et qu’elle n’aurait guère de notions, voire pas du tout, de ce dont il parlait. Elle avait bien dû déduire, à son attirail et à son trophée, le genre de commerce qui était le sien. Certains Elfes étaient si proches de la nature qu’ils le regardaient avec mépris, même s’il ne s’attaquait qu’à des créatures cruelles et corrompues ; mais Siraye, elle, ne semblait pas le faire. D’un autre côté, elle semblait bien trop fatiguée pour émettre un quelconque jugement. Au plus se montrait-elle curieuse.
« Difficile à dire. Certains monstres sont si corrompus et uniques que leur donner un nom et rechercher leur ascendance est vain ; surtout une fois morts. »
Il jeta un regard sur le trophée qui commençait à sentir. Il pourrait attirer quelque chose vers eux, il en prenait conscience maintenant, et il pensait avoir encore de la chaux pour éviter ça. Il prit sa besace pour vérifier que le sac n’avait pas été percé ou perdu et, en fouillant, continua de répondre aux interrogations de sa secouriste :
« La décoction de Raffard le Blanc permet de guérir rapidement certaines blessures et de rendre des forces. C’est un mélange plutôt bien connu, en réalité, selon les régions. Des recettes faibles en toxines circulent entre brasseurs, qui donnent un coup de fouet aux clients en milieu de soirée ; en leur grattant un peu la gorge pour les convaincre de consommer à nouveau. Mais ce sont des versions très légères. En étudiant l’alchimie et après plusieurs tentatives, j’ai trouvé un mélange d’albedos relativement léger en toxines – d’accord, certainement mortel pour les Humains – et assez fort qui… »
Perdu dans sa recherche et ses explications, Gerd n’avait pas entendu le bruissement dans les fourrés et n’avait réagi que lorsque Siraye avait bandé son arc. Il resta silencieux et interdit, mais repéra vite ce qu’elle visait et il finit de se redresser pour tendre le bras vers le manche de son glaive d’argent, qu’il sortit de son fourreau en se hissant sur ses jambes, maladroit mais prêt à en découdre. Il prépara doucement un Signe d’Aard, et la paume de sa main brilla légèrement d’une aura bleu tandis qu’une dépression concentrée s’y formait, prête à être lâchée.
Le moment, intense, sembla durer une éternité. En réalité, ce fut moins de dix secondes. Finalement, quelque chose sauta hors des hautes herbes : un lièvre, effrayé, se mit à bondir autour du petit campement de fortune en grattant le sol. Derrière lui, un chat sauvage fit irruption, reprenant sans doute une chasse qu’il pensait perdu, et les deux animaux disparurent à nouveau dans la forêt en un éclair, entre buissons agités et feulements.
Le sorceleur fixa un instant leur point de sortie avant de se détendre, et il se mit à rire, refermant la main et revenant à ses affaires pour y ranger son glaive, légèrement pantelant mais nettement plus en forme qu’en se réveillant. La potion avait fait son travail.
« On dirait que vous avez veillé sur moi sans pause, » glissa-t-il à l’Elfe tandis qu’il s’avançait. « Et on dirait que vous auriez bien besoin de vous reposer. Laissez-moi vous rendre la pareille : je veillerai sur vous pendant que vous ferez un somme. »