Merde, elle s'était assise en haut des marches pour récupérer. C'était encore trop tôt pour un premier contact, mais trop tard pour reculer. A quelques mètres à peine du sommet, impossible de s'arrêter ou de faire demi-tour, il fallait avancer. Même si rien ne le trahissait, Nathéo pestait intérieurement. Les temples étaient de véritables attractions touristiques, et il y avait toujours un coin d'ombre pour que le quidam puisse se reposer après l'ascension. Mais non, bien sûr, s'il y avait une personne qui devait s'asseoir en haut des marches, c'était forcément sa cible, le jour où il commençait à la filer. Le karma était contre lui. Tant pis, elle l'apercevrait dès le début, et il aviserait. Il suffisait de faire un écart, de passer à côté, et d'observer ensuite de loin.
"Bonjour ! Difficile cette ascension, n’est-ce pas ?"
Raté. Elle l'avait salué d'une voix guillerette avant même qu'il n'ait atteint sa hauteur. La vitesse à laquelle il s'attirait les sympathies de la gent féminine l'étonnait toujours, mais cette fois c'était frustrant. Être victime de son succès, c'est souvent les prémices d'une situation hors de contrôle. Ironiquement, Lissandre était pourtant dans une situation similaire sans en avoir conscience. Il lui adressa un sourire amical, et retira son veston pour le replier sur son avant-bras, comme s'il avait trop chaud.
"Éreintante, oui. La tradition des cent visites au temple doit être une astuce de cardiologue."
Son regard passa au-dessus de la tête de la jeune femme en direction du temple. Après toutes ces années à Seikusu, le détective se foutait pertinemment de la teinte mystique et l'aura sacrée du lieu. Il avait eu plus que son content de mystère, de paranormal et de magie. Il était bientôt midi, et le lieu était bardé de touristes qui papillonnaient d'un recoin à l'autre, de sportifs qui sautillaient sur place, et quelques locaux qui essayaient tant bien que mal de se tenir à l'écart du reste. Mais aucune divinité qui lui aurait accordé de se fondre discrètement dans cette foule. Il lui fallait une stratégie. Il regarda sa montre, pas tant pour vérifier l'heure que pour agiter une Rolex sous le nez de Lissandre:
"Vous attendez quelqu'un? Je peux vous faire visiter si vous voulez, je suis déjà venu."
Il n'y avait pas de mauvaise réponse à lui donner. Il saurait -ou essaierait de deviner- s'il s'agissait d'un rendez-vous secret avec cette seule question, si innocente en apparence. Qu'elle réponde à l'affirmative et il aurait le champ libre. Un non, et il pourrait recommencer à l'observer de loin, au prix du double de précautions. Mais il était primordial pour lui de savoir exactement quelle position il devait adopter.
Au moins, son appartement n'avait aucune mauvaise surprise. Passé le soupçon d'un éventuel amant ou animal de compagnie caché dans une pièce, l'infiltré sortit des gants et se mit à fureter partout dans l'appartement. Alors qu'il commençait à copier le contenu de l'ordinateur sur son téléphone, trois autres Nathéo évoluaient dans les autres pièces, discrets comme des souris et coordonnés comme une troupe d'opéra. Ils ouvraient chaque tiroir, chaque placard, chaque plaque de ventilation dans les murs, vérifiant même la chasse d'eau et la ventilation du four à la recherche d'une pépite. Dans la bibliothèque, effectivement, beaucoup de livres sur la cinématographie, mais également de la romance, de l'érotisme. Lorsqu'il put enfin accéder aux ébauches "manuscrites" de Lissandre, Lord Slaver fut comblé. Le détective et le marchand d'esclave allaient pouvoir travailler main dans la main. "Soyez créatif", avait dit miss Won. Et l'inspiration venait de lui sauter au nez.