"Voici ma sœur. Enfin, demi-sœur. Elle s'appelle Lissandre Verrières, elle est française."
Nathéo ne put se retenir de plisser le front. Il y avait un monde entre la beauté plastique qui posait sur la photo qu'il tenait en main, et la quasi-trentenaire qui venait de lui remettre. Si elle ne l'avait pas dit clairement, il aurait mis un moment à deviner un lien de parenté, tout détective fut-il. Son regard n'avait de cesse d'aller et venir entre sa cliente du jour et l'image sous ses yeux.
D'un côté, il y avait cette beauté blonde et haute en couleur, pimpante, maquillée. Ses yeux et son sourire suintaient de bien-être, ses vêtements laissaient transparaitre une vie plus que confortable. Une bien belle jeune femme, un train de vie aisée. En une recherche et quelques clics, Nathéo avait déjà toutes les photos et stories de Lissandre qui défilaient à vive allure sur son écran. Selfies, selfies, cosplay, selfies, cosplay. Deux types de personnes alimentent autant leurs comptes: les influenceurs, et ceux qui ont beaucoup de temps libre.
En face de lui, en revanche, se trouvait une métisse au physique quelconque, les yeux légèrement rouges de fatigue, les cheveux noués en un chignon de manière assez spartiate et désordonnée. Derrière une de ses oreilles, une mèche de ses cheveux semblait déterminée à prendre la tangente et ondulait à l'horizontale. Un chemisier usé aux couleurs délavées ne faisait que brosser un portrait pathétique de cette femme aux yeux perfides, qui dégageait un vague fumet de tabac. Elle ne semblait même pas avoir les moyens de s'offrir ses services.
"Charmante, oui. Elle a répondu à un tweet il y a sept minutes, je suppose que vous ne cherchez pas à recomposer la famille..."
Il allait lui parler de ses tarifs, du fait qu'il doutait qu'elle eut de quoi payer ses honoraires. Mais une lueur mauvaise parcourut les yeux de cette Isabelle Won -c'est ainsi qu'elle s'était présentée en arrivant-, et son visage beaucoup trop large fut davantage déformé par une parodie de sourire empreint de malice qui dévoilait une dentition relativement inégale.
"C'est la principale héritière de la formule familiale. Notre père est... jusqu'à il y a encore un an, il envoyait de l'argent à ma mère, en Chine, en échange de... Son silence. A propos de moi. Mais depuis qu'il a appris qu'elle n'en avait plus pour longtemps, il a arrêté de nous soutenir. Je vais devoir revendiquer mes droits de succession, mais pour cela je dois faire tomber Lissandre."
Les yeux du privé virèrent rapidement sur les photos qu'il avait devant son écran. Du point de vue de sa vie publique, la blondinette semblait fantasque et fantaisiste, mais elle ne semblait pas avoir de gros scandale à cacher. "On dit que vous êtes le meilleur de la région de Kyoto", ajouta-t-elle comme pour se justifier. L'américain se contenta d'opiner du chef distraitement.
"Donc vous voulez que je produise des photos ou des vidéos compromettantes, qui puissent faire assez de bruit pour que l'enfant chérie deviennent la honte familiale, correct?" Elle acquiesça et il poursuivit: "Fine. Vous avez une piste, un lieu par lequel je pourrais commencer?"
Elle répondit cette fois par la négative, et le fringant jeune homme se laissa aller sur son fauteuil, paumes vers le haut. Ce n'était pas un réel signe d'impuissance, mais il cherchait à presser davantage sa nouvelle employeuse.
"Écoutez, j'ai les moyens. En réalité j'ai mis suffisamment de côté pour... M'occuper de chacune de mes très chères sœurs. Tous les moyens sont bons. Si vous ne trouvez rien qui puisse salir cette poupée Barbie, soyez créatif!"
Voilà, à présent le tableau était beaucoup plus clair. Une cliente aussi cupide que perfide, qui justifiait son appât du gain par son lignage discutable. Une sangsue prête à tout pour mettre la main sur le pactole d'un père qu'elle n'avait jamais connu, en évinçant ses sœurs innocentes. Quitte à les tuer. "Tous les moyens sont bons". Voilà qui était Isabelle Won. Quant à Nathéo...
"Pour commencer, je prendrai un acompte de 150 000 yens. J'adapterai ensuite mes tarifs selon le temps passé et la "pertinence" de mes résultats. Par la suite, toutes les traces de mon investigation seront détruites dix jours après le règlement total de mes frais."
Alors qu'elle se voutait comme un charognard pour signer le contrat qu'il lui présentait, Nathéo jubilait intérieurement. Ses yeux étaient rivés sur la splendide poupée de chair qui souriait gaiement à l'objectif. Et il avait carte blanche pour faire d'elle une paria.
Rose bleue et plume rose [avec Lord Slaver] – réponse n°1
Lissandre Verrières ne connaissait absolument pas l’existence d’Isabelle Won. Jamais elle n’avait douté et elle ne doutait toujours pas aujourd’hui que son paternel ait pu avoir des relations extra-conjugales. Pour Lissandre, son papa avait encore cette aura de « super-héros » intouchable.
La bourgeoise française n’avait pas envie de rester enfermée chez elle, dans son appartement japonais. Elle avait besoin de prendre l’air. De faire une pause dans son processus créatif. De toute façon, elle était face à sa feuille blanche depuis trop longtemps. Il fallait qu’elle se ressource et c’était en faisant complètement autre chose qu’on pouvait revenir à l’activité principale qui importait.
Sa veste dorée sur les épaules, elle glissa ses mains au-dedans. La casquette sur la tête car il faisait un magnifique soleil, elle décida de shunter sa tête en affrontant un des temples les plus hauts du coin. Il fallait gravir des centaines de marches pour ensuite aller visiter les temples, prier, acheter des souvenirs ou encore profiter d’une vue unique. Un mélange entre forêts, architectures anciennes et architectures modernes.
Elle se trouvait donc face à cet escalier qui ramenait des locaux, des touristes et des sportifs. Les mains dans les poches de son blouson doré, elle releva la tête en suivant toutes les marches qu’elle allait bientôt affronter.
*Tu vas te retrouver en sueurs dans ta combi moulante, ma petite Lissandre ! *
Car elle était habillée de sa combinaison moulante en latex rose. Toujours. C’était comme si elle désirait qu’on la remarque. Comme si elle se rendait à une convention de cosplay. La réponse, -une des réponses- était plus simple : pour Lissandre, cette peau de latex était plus belle au toucher et à la vue. C’était la peau qu’elle aurait aimée avoir dès la naissance.
*Allez, du courage, maintenant ! *
L’esprit léger, elle débuta l’ascension sans se douter de la tragédie qui se préparait…
Rose bleue et plume rose [avec Lord Slaver] – réponse n°2
(souffle, souffle)
L’ascension des marches pour accéder au temple était vraiment éreintante. Encore une fois, Lissandre était obligée de s’arrêter en plein milieu. Sa tête se relevant et observant encore le nombre d’efforts à accomplir. Le plus énervant ? C’était de voir les petits vieux japonais habitués à grimper. Ils prenaient le temps. Soufflaient et peinaient moins que l’européenne qui s’entretenait de temps à autre.
*Mais comment ils font ?! (souffle, souffle) Ils sont incroyables ! *
Lissandre reprit son ascension sans se douter qu’elle était suivie. De toute manière, elle était parfaitement concentrée à avancer. Il était hors de question pour elle de penser à faire demi-tour. Et donc, symboliquement, de regarder derrière soi.
Elle grimpa encore et encore jusqu’à finalement arriver tout en haut. Elle ne prit pas le temps de découvrir le temple et tout ce qui l’entourait. Elle se laissa tomber sur ses fesses enrobées de latex rose. Le regard perdu sur la ligne d’horizon lointaine. Les pieds sur les dernières marches qu’elle venait de gravir. Le souffle rapide, son torse montait et descendait. Malgré les animés et leurs fan-service, la menue poitrine de la bourgeoise française ne tressautait pas des masses. Pour autant, cela ne la rendait pas moins sexy.
« Pardon ? (souffle, souffle) Oh, merci ! Arigato ! »
Les petits vieux qui l’avaient doublé à leur rythme venait de ramener à Lissandre de quoi boire et se ré-hydrater. Elle les remercia encore et leur souhaita une bonne journée alors qu’ils retourneraient vaquer à leur affaire avec le temple.
« Bonjour ! Difficile cette ascension, n’est-ce pas ? »
Sans le savoir, Lissandre venait de s’adresser à celui qui était là pour mettre en place sa propre tragédie.
[…]
Que se trouvait-il dans l’appartement de Lissandre ? Sur une table se trouvait un ordinateur portable qui contenait des esquisses de scénarios. Des hybrides entre séries fantastiques et films pornographiques. Sur cette table se trouvait également quelques livres qui parlaient de la gestion de la lumière pendant un tournage ou encore de livres très techniques concernant les focales et autres termes des appareils photo.
En somme, c’était là l’espace de travail d’une jeune personne qui voulait combiner deux mondes et qui avait encore tout à apprendre.
Rose bleue et plume rose [avec Lord Slaver] – réponse n°3
« Je n’attends personne. »
*Mais comment ils font ces petits vieux pour monter ça l’air de rien ?! *
« Excusez-moi, vous en voulez ? C’est ce petit couple là-bas qui a eu la gentillesse, ou la pitié de moi. »
Avec un sourire, Lissandre proposa le bol d’eau au détective. Elle en avait bu facilement trois bons quarts. Mais il en restait assez pour se donner un bref plaisir.
Ensuite, Lissandre se perdit quelques instants. Ses yeux dérivant sur la ligne d’horizon. Le fait d’avoir grimpé toutes ses marches, de ressentir la caresse du vent sur son visage, le rafraichissement offert par les petits vieux et la rencontre hasardeuse au sommet. La rencontre ! Lissandre réalisa qu’il était toujours là et qu’elle manquait de politesse.
« Pardon. Je me suis absenté quelques instants. Je manque parfois de conditions physiques. Je manque aussi d’imagination ces derniers temps. Donc je pourrai dire que je n’attends personne, mais que j’attends mon imagination. »
Elle sourit de nouveau. Maintenant qu’elle était concentrée sur le détective, elle remarqua sa montre qui coûtait un certain prix. Elle remarqua également ses manières : la veste pliée sur son avant-bras. Enfin, elle se rappela de sa proposition.
« Que faites-vous ici ? Je veux dire, vous semblez avoir des moyens financiers. Je suis certaine qu’il doit y avoir un accès facile et qui ne fait pas suer quelque part. A moins que vous cherchiez de la tranquillité entre deux affaires stressantes ? »
Elle tendit ensuite sa main vers le détective pour qu’il l’aide à se relever. Main qui se transforma également en poignée de main et présentation.
« Moi c’est Lissandre, sinon. Lissandre Verrières. Et vous ? »
Rose bleue et plume rose [avec Lord Slaver] – réponse n°4
Elle plissa les yeux. Comme si ce mouvement lui permettrait de voir à travers le filtre qui masquait les informations d’identité de ce « Rowan Cruxer ».
« Vous voulez donc que je devine qui vous êtes ? »
Un sourire remplaça son expression songeuse. C’était un excellent jeu qu’on lui proposait ! Alors, voyons voir les indices que laissait Rowan Cruxer à Lissandre. Une montre onéreuse. Des habits classiques mais pas premier prix. Une expression « right » et une consonance dans son nom « Cruxer » qui faisait penser aux Amériques. Un étranger qui monte les marches d’un temple et qui le fait souvent.
« Hmm… J’ai des informations sans vraiment en avoir. Mais ne me dites rien ! Je vais quand même essayer de deviner. »
Lissandre ne devait pas partir tout de suite dans des pistes loufoques et fantasy. L’objectif n’était pas de créer un personnage haut-en-couleur pour une de ses histoires à partir d’une photographie trouvée sur internet. Non. La personne était de chairs et de sang. Juste devant elle. Qui était-il donc ?
« Vous devez être américain. Vous semblez réussir dans la vie. Et vous venez régulièrement au Japon. Preuve en est que vous montez régulièrement les marches de ce temple et de votre maîtrise du japonais. »
C’était une introduction. Mais ça ne donnait pas grand-chose. Lissandre se souvint qu’il avait décliné l’eau : il avait donc des manières. Ou alors une condition physique magnifique. Mais, en y repensant, Lissandre mettait cette hypothèse de côté. Car un sportif sait l’importance d’une bonne hydratation.
« Si je devais deviner, je dirais que vous êtes un américain qui est tombé amoureux d’une japonaise. Si vous montez les marches de ce temple, je dirais que c’est soit parce que vous avez perdu votre âme-sœur, soit parce que vous voulez obtenir les faveurs de l’ancienne mythologie. Mais j’aurai tendance à dire que vous avez perdu votre être chère. Si c’est le cas, excusez-moi. Et si je pense pour cette option, ce doit être une déformation professionnelle. Mon métier de scénariste « m’oblige » à ajouter toujours plus de drama. Hmm… Je n’arrive pas à deviner votre métier. Votre montre prouve que vous avez des revenus. Vos manières prouvent que vous n’êtes pas un sauvage. Le fait que vous soyez bilingue, enfin, pousserait à me tourner vers du commerce. Peut-être traducteur pour une grosse société ? »
Lissandre se rendait compte que ça commençait à faire un long monologue exprimé à voix haute. Elle devait se stopper. Peut-être faisait-elle mauvaise piste depuis le début ! oO
« Alors, je suis proche de la vérité ? »
Elle ponctua sa question par des mains croisées dans le dos, un buste tendu vers l’avant et un sourire sur le visage.