Il y avait tout un tas de gens à Seikusu, et chaque semaine qui passe voyait son lot de nouveaux arrivants débarquer. Félicia avait suivi dans les journaux locaux l’arrivée de l’« enfant-star », comme certains le surnommaient. Au lycée, la moitié des élèves féminins dont Félicia avait la charge (au moins) rêvaient de coucher avec cet homme, parce qu’il était beau, et que son look’ de mauvais garçon froid et prétentieux semblait réchauffer leurs culottes. Hata Hidesawa avait, dès sa naissance, fait l’objet de campagnes publicitaires, de photographies dans les magazines people japonais, présenté par ses parents, de richissimes magnats de l’industrie des produits de beauté, comme un enfant-merveille qui succéderait dignement à la tête d’une entreprise vieille de plusieurs siècles. L’argent que cette entreprise dépensait dans sa communication était impressionnant, tout comme la publication annuelle de leurs comptes de résultats. Pour le peu que Félicia en savait, l’Hata Corporation, ainsi qu’on la surnommait maintenant était à l’origine liée aux geishas, la variante japonaise de la prostitution, même si traiter une geisha de prostituée constituait une injure. La firme avait son siège social à Tokyo, mais, sous la direction d’Hata Hidesawa, une succursale importante avait ouvert à Seikusu, et Félicia ne serait pas étonnée d’apprendre que l’homme y avait déplacé son siège social, vu le building typiquement occidental dans lequel il s’était installé. Des gens ayant le melon, Félicia en connaissait, mais Hata Hidesawa devait sûrement avoir quelque carence affective primaire à compenser pour transformer ainsi le nom de sa société en l’affublant de son prénom. On disait que son entreprise était devenu un immense lupanar, et qu’Hata lui-même était particulièrement dominateur au lit, violent, et même sadique avec les multiples amantes que le riche éphèbe réussissait à s’attirer.
Autrement dit, le partenaire idéal pour une femme kleptomane se baladant en combinaison moulante en cuir noir. Le soleil était lentement en train de se coucher quand la femme s’approcha. L’Hata Corporation disposait d’un système de sécurité assez élevé, et, tout en s’y immisçant, Félicia se demandait si les rumeurs concernant les conditions de travail étaient bonnes. Si en croyait certains journaux, l’Hata Corporation cherchait à concurrencer des firmes comme Konami, question harcèlement salarial. D’un autre côté, le Japon n’avait jamais été connu pour sa législation laxiste du travail.
Le plan de Félicia était bien arrêté dans sa tête. Depuis qu’Hata était arrivé au pouvoir, le chiffre d’affaires de sa société avait doublé, et, s’il était venu à Seikusu, c’était pour profiter des charmes outre-monde, du côté de Terra... Et c’était à partir de ce moment qu’il s’était attiré l’œil d’autorités n’appréciant pas trop ce genre de choses, des autorités avec lesquelles Félicia était en relation. Qu’est-ce qui se trafiquait là-dedans ? Le SHIELD traquait un trafic d’armes international, des armes venant de Terra, et qui étaient ensuite revendues sur Terre, sans parler des narcotiques, ou de l’esclavage. Les Terranides se vendaient des petites fortunes en allant dans les marchés luxueux des pays du Moyen-Orient.
*Et, même si je n’ai rien contre le fait de faire travailler les salariés avec le fouet, tout de même, je n’apprécie pas qu’on asservisse de belles petites nekos...*
C’est ce qui avait amené Félicia à faire cette mission, plutôt que les gros calibres du SHIELD, comme Natalia. Black Widow aurait fait son araignée, aurait récupéré tout ce qu’il était informatiquement possible de récupérer, mais Félicia, elle, ne voulait pas passer des semaines à laisser des analystes et des experts-comptables éplucher la comptabilité d’un Empire commercial pour repérer les irrégularités. La Chatte Noire voulait des réponses rapides, et c’est ce qui l’amena à débarquer dans le bureau d’un des responsables de la sécurité, le sergent Harisson, proche du vrai Harrison dans son orthographe, et à s’asseoir sur son beau fauteuil en cuir, pieds croisées sur le bureau. En chemin, elle avait entendu les bruits de couloir, et vu le mobilier. Outre des photographies d’Hata à chaque étage, les agents de sécurité le désignaient toujours pas des termes serviles, comme s’ils se prenaient pour des serfs médiévaux. « Sire Hidewasa », « Maître Hidesawa »... Elle n’aurait pas été étonnée d’apprendre qu’ils avaient des plugs dans le cul.
La porte s’ouvrit donc sur le brave Harisson, et Félicia lui fit un sourire mielleux. L’homme sembla faire un arrêt cardiaque, avant de la menotter. Au Japon, contrairement aux États-Unis, la législation sur les armes à feu était particulièrement stricte, et les agents de sécurité privés n’étaient pas autorisés à en avoir. Elle regarda donc l’homme en souriant, avant de lâcher :
« Arrête de regarder mes nibards, et conduis-moi à ton patron... »
L’agent de sécurité, peinant visiblement à comprendre comment une femme avait pu débarquer jusqu’ici, obtempéra, tout en lui passant des menottes. Félicia se laissa faire, et rejoignit l’ascenseur. Black Widow en aurait eu pour la nuit, la Chatte Noire prenait juste un raccourci.
« Maître Hidesawa te fera ravaler ton insolence, sale pute...
- Oh, j’imagine que tu es le bras droit de Maître Hidesawa, alors ?
- La ferme !
- Enfin, ne te méprends pas, je ne voulais pas dire par là que tu avais un rôle de lieutenant dans cette firme... Juste que tu étais le bras qui l’aidait à se branler. »
L’agent de sécurité dut faire un effort surhumain pour ne pas la blesser, sans aucun doute parce qu’il avait peur que ça déplaise à « Maître Hidesawa », et il conduisit la belle Chatte Noire dans l’ascenseur, puis rejoignit les locaux du Maître, en continuant à tenir Félicia par le bras, sans réaliser que cette dernière, pendant la montée du trajet, avait utilisé une discrète épingle le long de l’une de ses mains pour défaire ses menottes. Si elles tenaient encore sur ses poignets, plus rien n’empêchait Félicia de récupérer l’usage de ses bras...
...Mais ça, c’était la petite surprise.