Les Chroniques de Mobius, acte 2

Frevo sourit de toutes ses dents, qu'il avait parfaitement blanches – sourire sinistre dans la nuit. Sous ses airs de pro, il était content comme un enfant qui aurait touché sa cible dans un jeu de foire, et qui venait de remporter le gros lot. Sans perdre de temps, il posa son fusil, descendit de la camionnette et trottina vers son gibier. Il s'accroupit devant lui, sachant que de toute façon son champ de vision ne pouvait être très net en cet instant. Son ouïe en revanche ne devait pas être trop altérée.

– Désolé pour ça. C'est pas agréable, je sais… lui dit-il doucement. Ça non plus, ça ne va pas l'être.

D'une main ferme, il fit pivoter le corps de Timothée sur le côté. Puis il saisit à sa ceinture ce qui ressemblait à un collier en métal rouge vif, en deux parties refermables. Il plaça l'avant contre la gorge du souriceau… et appuya sur celle arrière pour joindre l'anneau. La chose désagréable, c'est que la partie arrière possédait une longue aiguille, qui s'enfonça à la base du cou de l'hybride, entre deux vertèbres. Ça piquait, mais toujours moins que le fusil.

– Tu respires, c'est bien.

Le dispositif se connectait directement au système nerveux – détectant un usage éventuel du pouvoir, dans lequel cas il délivrait aussitôt une décharge électrique. Le but de ce courant là n'était pas de paralyser, seulement de faire mal. Frevo avait laissé le niveau d'intensité par défaut, qui était sans doute un peu trop élevé pour un individu aussi petit. De toute façon, à moins qu'il s'acharne, ça ne risquait pas trop de le tuer. Un voyant vert à l'avant s'alluma, signifiant que le collier était opérationnel.

– En voiture.

Le mercenaire souleva Timothée sans difficulté apparente, le hissant sur son épaule. Arrivé au niveau de la camionnette, Frevo le bâillonna avec une grande bande de ruban adhésif. Il lui attacha les mains dans le dos à l'aide du même matériel, puis les chevilles ensemble.

– En revanche plus besoin de ça, fit-il, presque gentiment, en retirant l'aiguillon bifide qui l'avait électrocuté (il s'était à peine enfoncé, et il était possible de le retirer à la main).

Enfin, il le poussa dans le véhicule. Le revêtement était froid. Avant que la porte ne se ferme, laissant place à l'obscurité, le souriceau put voir qu'il n'était pas seul dans la cabine. Il y avait à côté de lui une sorte d'araignée mécanique d'environ un mètre cinquante de haut. L'engin de guerre n'était pas activé. Visiblement, Samba avait prévu que la situation pourrait dégénérer. Une précaution qui serait certainement superflue.

*
*         *

– On est bon, je plie.
– Hey, attend. Tu dirais pas non à un chaton en bonus ?

La manœuvre était risquée. Mais pour Samba comme pour Frevo, la mission avait manqué d'adrénaline. Le professionnalisme, ça n'était pas une excuse pour se contenter d'une ennuyeuse prudence.

– Allez, accepta d'un mot le mercenaire.

Impassible, la lapine n'avait pas bougé de toute la discussion. Depuis qu'elle avait fini de se changer, elle était restée dans la pièce, faisant semblant de ne pas trop savoir où se mettre. Propre, elle était un peu plus étrange encore. Sans la crasse, ses traits trop symétriques ressortaient encore davantage. Elle avait l'air d'une petite poupée. Si on la scrutait, sa nature artificielle n'était pas absolument insoupçonnable… mais encore fallait-il être à l’affût de tels signes.

– Je viens avec toi, fit-elle, en rattrapant Marty. J'ai pas peur du noir.

Sans attendre de réponse, elle dépassa le chat et sortit.

– Tes amis ont des soucis parce qu'ils sont de la résistance ? Tu penses que le petit mage a été arrêté ? Tu sais d'où il venait ? On devrait faire le trajet en sens inverse…

Le plan était simple : se joindre à la recherche qui se préparait, et plus précisément, rester avec Marty. Au moment opportun, quand ils seraient séparés des autres hybrides, il ne resterait plus qu'à attirer le chat dans un endroit relativement isolé – ils avaient repéré une impasse où garer la camionnette. Pour ça, le duo de mercenaires disposait de plusieurs outils. D'abord, il y avait le téléphone de Timothée, qu'ils poseraient en temps voulu à un endroit stratégique. Ensuite, Monday pourrait prétendre avoir entendu quelque-chose, et personne ne songerait à contredire l'ouïe d'un lapin. Enfin, le traceur était toujours actif, ce qui permettait de guetter la position du félin même s'ils le perdaient de vue. Quelques secondes de vulnérabilité et il subirait le même sort que le souriceau.

« Monday attends ! » cria Marty d’une voix ferme.
Il la rejoignit dans la cage d’escaliers puis ajouta, sur le même ton :
« Ça pourrait être dangereux. Que ce soit bien clair, si tu viens, tu assumes. »
Grégoire, maintenant au pas de sa porte, intervint :
« Oui, ça pourrait être dangereux. Fais gaffe à toi, Marty. Tim envolé, Rodrigue arrêté, n’oublie pas que tu fais partie du trio.
- T’en fais pas, vieux. Je vais faire gaffe.
- Hé, vos gueules là haut ! beugla quelqu’un du pallier d’en dessous. Y’en a qui voudrait dormir !
- Dangereux ? Qu’est-ce qui pourrait être dangereux ? » fit une autre voix.
Marty agrippa la rambarde, se pencha et annonça la mauvaise nouvelle :
« La police a fait une descente chez nous. Rodrigue a été arrêté. Tim devait se rendre ici parce que c’est tout saccagé, mais il n’est pas arrivé. Il lui ait arrivé quelque chose. On se rassemble et on va le chercher ! »

Ce fut come un brasier qui prenait dans du bois bien sec. Ici, tout le monde était uni, tout le monde aimait le Petit Mage et exécrait la Tech-13. Car forcément, c’était un coup de la Tech-13, qui d’autre ? Certes, il y en avait des autres, des criminels en tout genre, des organisations diverses et variées, mais peu importait, la Tech-13 était la réponse par défaut à tout les problèmes. Quoi qu’il en soit, en moins de cinq minutes, un groupe assez important, essentiellement composé d’hybrides, était dehors, cherchant le souriceau. Dans ce groupe, il y en eut plusieurs pour s’étonner de la présence d’une inconnue, mais quelques explications suffirent et ce n’était pas le moment de perdre du temps. Néanmoins, Samba se rendit compte qu’un des hybrides présents, un chien à l’air un peu vaseux, l’observait avec grande insistance. Était-il tombé sous son charme ? Non, il semblait… se poser des questions.

Le groupe finit par se scinder en plusieurs petites équipes pour se disperser, examiner plusieurs lieux. Samba perdit de vue le chien et ce n’était pas plus mal. Il guettait l’occasion. Ils n’étaient plus que quatre, Marty et lui compris. Plus que deux importuns à larguer… Ce fut fait, à la faveur de la visite d’un vieux hangar qui servait parfois de planque à des truands. Pas ce soir, il était vide, comme purent le constater Willy et Nadia, les deux fameux importuns désormais seuls. Après avoir balayé le hangar une dernière fois de leurs torches électriques, ils sortirent et regardèrent autour d’eux en quête de Marty et Monday. Ils ne les virent pas. En revanche, ils virent le chien accourir, accompagnés par les gros bras de l’immeuble Grégoire.
« Où est Marty ! cria le chien.
- Ben, pas loin, répondit Willy. La lapine a entendu un truc, ils sont allez voir par-là, vers l’impasse. Un problème ? Enfin, un problème de plus ?
- Oui ! Marty est en danger ! La lapine est un anibot !
- Un quoi ?
- Un robot, merde ! J’ai bossé pour BioSoft, j’ai construit des trucs comme ça ! Vite ! Vite ! »
Willy et Nadia ne comprirent pas tout, sauf qu’il fallait se presser. Ils prirent tous la direction de l’impasse au pas de course…

Ils aperçurent alors une camionnette grise démarrer en trombe et partir. Ils crièrent, la prirent en chasse, mais en vain. C’était trop tard. Le chien, Lucas de son nom, eut néanmoins le réflexe de la prendre en photo.

Monday était assise entre les deux corps entravés de Timothée et de Marty. Tranquille, elle affichait un sourire satisfait, aussi ravissante qu’inquiétante. À travers les fenêtres de la camionnette filtraient de rares rayons de lumière. Ils couraient alternativement sur les hybrides, et sur l’effrayante arachnide de métal. Frevo était passé à l’avant. Il avait prévenu Valentine du succès de la capture. On entendait que le son du moteur, et le léger cahot de la route. Une fois les mercenaires certains de ne pas avoir été suivis, le véhicule avait repris une allure normale.

— Vous êtes bien organisés. Franchement, sans le coup de pouce des flics, ça aurait pris beaucoup plus de temps de vous avoir tous les deux. Surtout que ce chien commençait à avoir des doutes sur moi, je crois. À la base on voulait aussi le renard… pour le tuer, honnêtement, hein. Mais même quand on fait des efforts, la vie n’est pas toujours juste.

Marty avait été ligoté de la même manière que Timothée, mais dans une position encore un peu plus désagréable. Les bras joints aux jambes repliées, dans le dos, l’obligeaient à rester courbé en arrière — usant au maximum de sa souplesse de félin. La cruauté inédite des liens était à accorder à Samba, qui s’en était chargé. En revanche, il n’était pas bâillonné. D’ailleurs, le robot arracha également l’adhésif qui empêchait le souriceau de parler.

Pas sûr qu’il en ait envie. Mais depuis le temps, les effets de la paralysie devaient s’être complètement dissipés. Ne restaient que des courbatures sévères et un pantalon légèrement souillé. La lapine se pencha sur le petit mage.

— Alors, alors, tell me. Qu’est-ce tu penses que tu fous ici ? Qu’est-ce tu penses qu’on te veut ?

Elle caressa le front humide du prisonnier. Forcément, il avait sué un peu, c’était mécanique.

— Qu’est-ce tu penses qu’on va te faire ? Ou qu’on va lui faire ? Elle pointa Marty d’un doigt désinvolte. Comment t’envisages de réagir ? Mh ? Tu comptes faire tout ce qu’on veut que tu fasses ?

Son ton n’était plus aussi doux que lorsqu’il campait le personnage de Monday. Sa diction avait changé, et seule persistait la voix légère de la lapine. Dans la nuit, la camionnette roulait maintenant tranquillement, sur une route visiblement plus large et mieux entretenue.

Timothée avait beau être petit, mignon, de réputation altruiste, il ne fallait pas oublier qu’il avait grandi dans la rudesse du quartier sud, sans père ni mère pour veiller sur lui. Il savait ce que c’était la violence, il savait ce que ça faisait de prendre une raclée, il savait se défendre quand il fallait. Gentil, oui, mais pas candide ou naïf, absolument pas.
Au début, bien sûr, il s’était demandé ce qui lui arrivait. Pourquoi le kidnapper comme ça alors que la police aurait très bien pu l’embarquer avec Rodrigue ? Puis il avait compris ou, tout du moins, il avait sa petite idée. C’était un coup de Diane Valentine. Il l’avait vexé par son refus catégorique, il s’en était rendu compte. Elle était de la Tech-13, elle avait les moyens de se payer des mercenaires. Car il avait à faire à des mercenaires, de ça, il en était à peu près certain. Mais dans quel but ? Lui forcer la main ou lui faire payer l’affront d’avoir rejeté par deux fois la proposition ?
Il avait retrouvé à peu près ses moyens lorsque Marty le rejoignit. Son apparition engendra chez lui à la fois le soulagement de ne pas être seul à affronter cette épreuve et la crainte que son ami serve de moyen de pression, ou de sanction, selon l’objectif de la manœuvre. Quoi qu’il en soit, cette lapine, montée dans la camionnette avec son ami, le mettait mal à l’aise. Outre son aspect étrange, il sentait en elle de la malveillance. Il n’était pas pressé que le véhicule arrive à sa destination.

Il se contentait de regarder Marty, ou plutôt, de le deviner dans la pénombre. Les prunelles du félin ressortaient, troublées. Le coup de l’aiguille, ça filait quand même un sacré choc ! On se demandait qui, des deux hybrides, cherchait à rassurer l’autre. Marty secouait de temps en temps la tête, l’air de se reprocher quelque chose. S’il avait compris, tout de suite, que Monday était une félonne, tout ça ne serait sans doute pas arrivé. D’un autre côté, la présence de l’araignée mécanique prouvait que les mercenaires avaient eu en tête d’autres plans, d’autres approches. Tant de moyens, c’en était déroutant, terrifiant… L’impression d’être broyé par l’instrument du pouvoir et ses innombrables sbires.

Samba retira le bâillon du Petit Mage et chercha à engager la conversation. Le souriceau, qui avait poussé un grognement, à cause de l’adhésif qui lui avait tiré les poils du museau, tourna ses yeux noirs vers l’anibot.
« Je suis plutôt content en fin de compte que les flics soient venus. Rodrigue sera plus en sécurité derrière les barreaux qu’avec vous. Pour le reste, je travaillerai pas avec la Tech-13, point final. Buttez-nous si ça vous chante. »
Et vlan ! Voilà le genre de refus que c’était pris Diane dans la figure. Autant son ton que son expression prouvaient que ce n’était pas des paroles en l’air. Il avait des convictions solides. Marty tiqua, mais il n’était pas encore en mesure de s’exprimer de manière intelligible.

Un sifflement étrange passa entre les lèvres de la lapine. Clairement inhumain, il évoquait quelque-chose à mi-chemin entre le cri de joie contenu et le rire.

– Je l'aurais eu mauvaise que tu répondes (elle prit une voix plus aiguë encore, à la limite du supportable) : « oh oui, j'en ai déjà eu bien assez. Je vais collaborer, je vais être sympa avec dame Valentine et je vais produire tous les spectacles qu'elle veut et ce sans condition parce que je suis un gentil petit mage apprivoisé ». Bien sûr qu'il fallait que tu résistes.

Elle se rapprocha du chat, qui récupérait toujours du choc électrique. Lui aussi, elle lui caressa la tête, avec la même douceur malsaine.

– Ce bon vieux Tim, ce n'est pas quelqu'un de rationnel. Tu le sais, hein ? Toi, t'aurais eu une réponse différente, à sa place. Je m'en doute, je t'ai observé… tu prends presque toujours les bonnes décisions. C'est un peu pour ça que t'es là. Tu vas pouvoir donner des conseils à ton ami… Enfin, quand tu pourras parler.

La lapine se leva. D'un pas sûr malgré la route, elle se dirigea vers le fond de la camionnette. Du peu que les prisonniers pouvaient voir, il leur sembla qu'elle s'attachait elle-même les mains à quelque-chose. Elle termina son introduction en s'adressant de nouveau au souriceau :

– Mais c'est bien. Déjà, rien besoin de t'expliquer.

Puis elle le parla plus du reste du voyage. En fait, elle ne bougea même plus du tout. Samba avait finit d'habiter ce corps, au moins pour le moment. S'ils voulaient discuter, les prisonniers étaient libres de le faire.

Les hybrides eurent même beaucoup de temps devant eux : après que la camionnette se fut arrêtée, on les laissa dans l'attente pendant de longues heures. Si la peur ne le rongeait pas, Tim pouvait dormir – sa position n'était pas agréable, mais elle ne lui faisait pas trop mal non-plus. En revanche, attaché comme il l'était, chaque membre étiré, le félin aurait beaucoup plus de difficultés à trouver le sommeil.

*
*         *

Finalement, la porte de la camionnette s'ouvrit. La lumière du jour les éblouit aussitôt (le soleil était à son zénith), si bien qu'ils ne purent que deviner la grande silhouette de Frevo qui se dessinait. Il portait un débardeur et un pantalon militaire. Il parut hésiter un instant sur la procédure à suivre. Puis il eut un petit geste des deux mains, pointant le ciel de ses index, signe qu'il avait trouvé une idée qui lui plaisait.

– Amis hybrides, je remercie vos créatrices de vous avoir fait des appendices si pratiques. Je dirais à Samba de pas vous les couper.

Le mercenaire mit aussitôt son astuce à exécution, saisissant les queues des deux prisonniers. Puis il les tira vers lui. Il avait assez de force pour les soulever en partie. Toutefois, alors qu'il les traînait, leur crâne et leurs épaules frottaient quand même sur le sol – pas trop durement d'abord, car il s'agissait d'une pelouse… Puis ils glissèrent sur un carrelage blanc.

Le décors n'avait en fait rien de spécialement sinistre. C'était une très jolie maison au cœur de ce qui semblait être une zone agricole. En tout cas il n'y avait que des champs à perte de vue. Frevo leur expliqua sans réserve :

– J'ai bien négocié. J'avais besoin d'un lieu, et j'ai obtenu ici. C'est une villa qui est habituellement louée aux cadres supérieurs de Tech13, quand ils prennent des vacances avec leur famille. Les veinards. On m'a dit de pas trop salir et de rien casser… alors je compte sur vous pour pas énerver Samba.

Le ton du ravisseur était celui d'un travailleur consciencieux et de bonne humeur, mais il n'était évidemment pas dénué d'ironie. Il les déposa finalement dans le salon. On avait poussé tous les meubles sur les côtés, il restait au milieu un grand espace libre.

Frevo sortit un cran d'arrêt et commença à découper les vêtements des prisonniers. Sa lame était précise, il n'entailla pas leur peau. Leurs liens furent changés, pour ce qui étaient des positions plus commodes : mains jointes à l'avant, chevilles toujours immobilisées. Vêtements et accessoires réduits en lambeaux furent jetés dans un coin de la pièce. Rigoureux, le mercenaire récupéra même le traceur qu'ils avaient placé sur Marty. Bref, en quelques minutes à peine, les hybrides furent mis à nus.

Le colosse resta plusieurs secondes à contempler la nudité des garçons. Il était visiblement en proie à un conflit intérieur.

– Ce serait idiot de ne pas en profiter. Vous ne pouvez pas vous défendre, et personne ne me le reprochera. Au contraire.

Il hésita entre le souriceau et le chat. Aucun ne lui faisait plus envie qu'un autre. Mais finalement, il se dit que ce serait plus facile avec Marty – aussi, comme il ne s'était pas encore fait dessus, il sentait un peu meilleur. Le mercenaire défit son propre pantalon. Il était entièrement imberbe. Puis il s'agenouilla et retourna l'hybride, plaqua une main sur la nuque du félin. Il lui colla la tête contre le sol. Il tira encore sur sa queue pour le forcer à relever les fesses.

Enfin il le pénétra, sans faire cas de ses protestations éventuelles. Le geste était simple, le coup de bassin puissant. L'anus du chat n'était pas préparé, ni adapté à la taille du membre qui s'introduisait en lui, frappant sa prostate, sa vessie, déformant son rectum. Il saigna, mais pas assez pour inquiéter l'homme. Le viol fut en fait assez long. Au bout de dix douloureuses minutes pendant lesquelles il n'émit presque aucun son, Frevo se retira. Il n'avait pas joui, et paraissait en réalité davantage lassé par la scène que sexuellement satisfait.

– Mh, eh bien voilà, fit-il d'un ton absolument quelconque, en remontant son pantalon.

Il marcha vers la sortie, livrant une dernière explication :

– Croyez pas que vous convaincre n'est pas dans mes cordes. Je pourrais le faire. Samba est juste… meilleur. Son cerveau, il fonctionne différemment. Il est capable de choses vraiment… inhumaines. Allez, bon courage.

Une nouvelle fois, les hybrides furent seuls.

Dans l’obscurité de la camionnette, Timothée rouvrit les yeux. Il était parvenu à dormir. En fait, il parvenait à dormir à peu près n’importe où. Marty, moins chanceux, à cause de sa position, l’accueillit d’un air bougon :
« Bien roupillé ? »
Tim lui lança un regard éloquent en guise de réponse.
« Excuse-moi, reprit Marty. C’est juste que… que j’ai mal partout.
- Je sais, je sais… »
Silence gêné entre les deux amis. Subitement, le Petit Mage eut un tressaillement.
« Fait chier ce collier, grogna-t-il. Je suis sûr que je peux le griller mais… »
Nouveau tressaillement, accompagné d’un petit cri.
« C’est lui qui va te griller, soupira Marty.
- Fait chier ce collier… » répéta Timothée.
Nouveau silence. Le chat gémit en cherchant à nouveau à rectifier sa position.
« J’aurais dû comprendre pour Monday. J’ai pas assuré…
- C’est pas ta faute…
- Tu t’y attendais, toi, à un truc comme ça ? »
Le regard de Marty s’attarda sur l’arachnide d’acier et plus encore sur la silhouette inerte de la lapine, au fond.
« Je m’attendais à un truc… oui… peut-être pas ça, mais…
- Tu nous avais assuré du contraire.
- Pour pas se faire flipper. Tu crois que… que Rodrigue va bien ?
- Non. Bien sûr que non. On le reverra plus Tim.
- Pourquoi t’es aussi négatif ? commença à s’énerver le Petit Mage.
-Les prisons de la Tech-13, ce sont pas des camps de vacances. Et si tu veux le fond de ma pensée, je vais y passer aussi. J’ai aucune valeur, sauf à tes yeux. C’est pas moi le super mage que la harpie super friquée cherche à recruter. Ils vont me cogner pour te faire chanter. Mais tu vas pas chanter, tu chantes jamais… »
Nouveau silence, plus long, plus lourd que les précédents. Tim finit par le briser, à mi voix.
« Je peux pas, Marty, je peux pas bosser par le Tech-13. »
Le chat explosa. La peur le poussait à exprimer plus violemment le fond de sa pensée.
« Mais pourquoi ?! Tu te rends compte qu’en gros, t’as peut-être l’occasion de sortir du quartier sud ?! Tu te rends compte que la Valentine elle va te placer sous le feux des projecteurs ?! Putain c’est quand même pas la mer à boire de devenir riche et célèbre !
- Tu peux pas me demander ça, Marty, reprit Tim, d’une voix plus sourde, plus ferme. Tu sais ce qu’est la Tech-13. La Tech-13, c’est le Docteur Nox, c’est ceux qui vendent des armes, massacre la forêt, rendent les gens tristes… tuent nos frères… Je peux pas, je peux pas… Je pourrai plus me regarder dans une glace si je le faisais. »
Exaspéré, Marty se tut. Peu après, Frevo arrivait et les sortait de la camionnette…

* * *

Un monstre… ce type était un monstre…
Timothée était là, nu, et devant lui, son ami Marty subissait… peut-être pas quelque chose d’inimaginable, ça se faisait ce genre de chose, dans le quartier sud comme ailleurs, mais ça ne les rendait pas plus pardonnable. Il n’avait pas détourné la tête. Assis par terre, adossé à un des meubles, il regardait, au contraire, pour ne pas fuir ce qui sans doute aurait pu être évité s’il avait capitulé tout de suite. Le prix de ses convictions… Peut-être qu’il pouvait mentir, faire semblant de… Non. Le Petit Mage n’avait jamais su mentir. Il se sentait coupable, impuissant. En lui montait la colère. À nouveau, un tressaillement, suivi d’un second, d’un troisième… De ses mains jointes, quelques étincelles d’un bleu agressif avaient dansés. Pas des lumières pour faire joli, ha ça non… Mais il dût rompre sa concentration, ça faisait trop mal. Il avait serré si fort la mâchoire qu’elle en était engourdie. Ce n’était pas comme ça qu’il devait s’y prendre. Il devait y aller d’un coup, tout balancer. Seulement, il ignorait s’il allait griller le collier avant que le collier ne le grille, lui. Du courage, il devait le rassembler…

Frevo cessa enfin sa sodomie et se retira, laissant au sol un Marty en larmes.
« Tim… gémit-il. Tim, ils vont me tuer… »
Qu’ils essaient, songea le Petit Mage. Qu’ils essaient et je les tuent avant. Il se surprit d’avoir cette pensée. Il n’en était pas coutumier. Il détourna la tête car… il ne pouvait pas travailler pour la Tech-13.

Frevo n’était pas parti bien loin. Il n’avait fait que quelques pas de plus que nécessaire pour ne pas être entendu des hybrides. Il examinait les relevés du système supposé contenir Timothée.

— Le collier a détecté une activité intense, avec plusieurs pics. On dirait que je l’ai vraiment mis en colère. La bonne nouvelle c’est qu’il tient vraiment au chat.
— Oh, ça, ça a l’air dangereux.
— Mh. Le danger principal c’est qu’il se grille lui-même en forçant. Je descends le seuil max. Je préfère qu’il nous crache des flammèches plutôt qu’il nous claque entre les doigts.
— Uhh, tranquille. J’vais lui filer la frousse, ça va le faire redescendre direct’.

Des cliquettements se firent entendre sur le carrelage. Samba entra dans la pièce. Ce corps, c’était son préféré. Certainement le moins discret, le plus effrayant, mais également le plus polyvalent. Il s’agissait d’un assemblage métallique d’environ un mètre soixante. Il était composé de deux parties qui semblaient d’origine différente et grossièrement posées l’une sur l’autre.

L’élément inférieur était une demi-sphère de laquelle émergeait quatre jambes fines mais robustes, clairement celles d’un petit marcheur militaire. Le torse, lui, était un cylindre vaguement humanoïde sur lequel était greffé pas moins de six bras. Un connaisseur identifierait la base d’un robot souvent utilisé pour assister les chirurgiens dans les hôpitaux de pointe. Il avait été à l’évidence beaucoup modifié — parfois dans un sens qui semblait purement esthétique, et parfois dans un objectif plus fonctionnel. On avait en particulier remplacé un des membres par un appendice plus gros, peut-être pour tenir une arme.

— Hey hey. On se souvient de moi ?

Il avança vers les hybrides. Ses mécanismes émettaient les doux chuintements d’articulations et de moteurs bien huilés.

— Mais si. J’avais beaucoup plus de fourrure. Oh, vous allez percuter.

La diction ne trompait pas, c’était bien la même que celle de la lapine, après leur capture. Mais la voix, cette fois, était plus grave, et sonnait beaucoup plus artificielle. Avec ses nuances métalliques, le synthétiseur était loin d’être aussi sophistiqué. Il passa près de Marty, mais ne s’y arrêta pas. D’une de ses pattes inférieures, il poussa sans violence le chat sur le côté, pour le dégager de son passage.

— Je te garde pour plus tard… enfin, peut-être…

Au sommet d’un long cou extensible, une ellipsoïde blanche lui servait de tête. Elle était percée de deux trous, l’un au-dessus de l’autre, qui lui servaient de capteurs. Ils brillaient d’une lueur rouge parfaitement sinistre. Cette tête, donc, se pencha sur Timothée.

— Notre petite vedette en premier.

Un de ses bras l’attrapa à l’endroit où ses poignets étaient liés, et le souleva dans les airs. Deux autres de ses appendices enserrèrent complètement ses épaules, alors qu’il était maintenu debout, sans que ses pieds ne touchent le sol. Le plus gros membre vint se fixer, au moyen de sa pince plus rudimentaire, au niveau de genoux du rongeur. Ainsi, ce dernier avait très peu de liberté de mouvement… et le robot, toujours un bras libre.

Ce bras était terminé d’une main bien particulière — une main destinée aux opérations médicales. Elle avait cinq doigts : trois se terminaient par de minuscules scalpels, et deux étaient opposables. Doucement, il passa cette terminaison métallique dans la fourrure du souriceau. Il le touchait à peine et avec tact, si bien que même froid, l’acier chirurgical paraissait presque doux. Évidemment, ça n’allait pas durer.

— J’ai des contraintes très précises. Tu sais hein ? J’peux rien faire qui te défigurerait trop. Rien qui se voit quand t’es habillé, en fait. Madame Valentine est très attachée à ce que tu aies l’air en bonne santé. Bien sûr, ça s’applique pas à ton pote. Bref. Voilà c’qu’on va faire. J’vais retirer une partie de chacun d’entre-vous. Comme un robot qu’on démonte ! Jusqu’à ce qu’on trouve un accord. Concept simple. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Samba ne perdit pas de temps à attendre une réponse. Aussitôt il eut finit de parler que ses doigts se posèrent sur le téton gauche de Timothée — petit morceau de peau nue au milieu de sa fourrure brune. Ses yeux rouges clignotèrent ; les lames s’enfoncèrent profondément dans la chair. Elles se mirent à tourner, lentement, puis elles se refermèrent. Enfin, le bras tira. À la place du mamelon, il ne restait  désormais plus qu’un cratère rouge saignant. Le robot laissa tomber le lambeau sur le sol.

Puis il répéta l’opération sur le second téton, impassible, impitoyable et lent.

L’opération était cruelle et douloureuse. Cependant, en réalité, Samba était relativement limité quant à l’importance des traumatismes physiques qu’il pouvait faire subir à sa victime. Il risquait trop vite de sombrer dans l’inconscience, ou dans un état catatonique. Le souriceau ne lui semblait tout simplement pas assez robuste pour supporter ce qu’il aurait pu faire endurer à un soldat entraîné… et ce qu’il réservait à Marty. Cette mutilation là serait, le robot devait l’espérer, la seule d’importance que le petit mage aurait à subir. Elle avait pour objectif principal de le secouer suffisamment pour diminuer ses appétences à diriger son pouvoir.

Il reposa Timothée sur le sol.

— À ton tour, champion.

C’était donc au tour du chat d’être soulevé dans les airs par les innombrables pinces du bourreau. Lui aussi dû affronter les lumières rouges braquées sur son corps nu. Contrairement au souriceau, il était maintenant dos au robot — pour que personne ne manque le spectacle.

— Oh. Désolé Marty. T’es un quelqu’un de bien. Je l’ai compris tout de suite, quand tu m’as donné à manger. C’est vraiment injuste, c’qui t’arrive. Finalement, t’y es pour rien. Ta seule faute c’est d’être l’ami d’un petit égoïste. Qu’est-ce que veut Valentine ? Faire des heureux avec un spectacle de magie super cool. Woooh. Vraiment machiavélique.

Les doigts métalliques parcourent également sa fourrure. Mais ils ne s’arrêtèrent pas sur sa poitrine. Non, commençant dans son cou, ils descendirent inexorablement vers son entrejambe. Ils prirent leur temps. Celui pour Timothée de se remettre de ses émotions, et de réaliser.

Il y eu ce même clignotement, signe de l’horreur à venir.

— Ce qu’il faut comprendre, c’est que c’est toi, Tim, le méchant de l’histoire.

Un instant plus tard, les scalpels commencèrent à entailler son scrotum. Petit à petit, ils firent une découpe circulaire, sur la partie basse. Ils étaient si précis que le sang gouttait à peine — jusqu’au moment où finalement, il ouvrit complètement le sac de chair. Dans la bouillie rougeâtre, les testicules du chat pendaient, encore rattachées au corps par de minces canaux. Des pinces maintenaient toujours le corps de Marty alors qu’il convulsait — alors que Samba lui arrachait ses organes reproducteurs.

Le robot laissa tomber le félin sanguinolent, brandissant son trophée dans la lumière de la fenêtre ouverte.

— Oh oh, hey. J’ai commencé un peu fort peut-être. Mais t'inquiète, y'a encore beaucoup d’autres parties de Marty que tu peux sauver.

Puis, toujours avec les mêmes gestes, il attrapa de nouveau Timothée. Le cycle recommençait.

— Je viens d’inventer une nouvelle règle. Je te ferai manger tout ce que je vous retire, annonça Samba.

Il mit sa menace à exécution : ouvrant sa mâchoire de force, il déposa les glandes sanglantes du félin directement dans sa bouche, et le força à avaler.

— Cool ! Bon, qu’est-ce que je te retire cette fois ? Une préférence ?

L'horreur, l'horreur pouvait se prolonger aussi longtemps que nécessaire. Frevo ne leur avait pas menti : le robot était absolument inhumain.

Timothée était coutumier de la violence ordinaire, ainsi que du racisme lattant anti-hybride. Il avait également eut des expériences très difficiles. À une ou deux reprises, on avait tenté de le tuer. À une ou deux reprises, il avait vu des violes, des actes de tortures. Il savait que le monde pouvait être noir…
Samba, cependant, ébranla sa raison en pulvérisant le plafond des horreurs. L’horreur, c’était ce qu’on pouvait maintenant lire dans ses yeux exorbités. Ses oreilles raisonnaient encore du bruit de ses propres cris, ainsi que ceux, encore plus affreux, d’un Marty pas bien loin du malaise. Nul doute que jamais, jamais il pourrait oublier cette descente aux enfers. Sa robustesse de caractère jouait contre lui, ne lui offrant pas l’échappatoire d’un évanouissement, il ne lui offrirait pas non plus par la suite le luxe d’une amnésie post-traumatique.
Il était là, piégé dans les entraves de métal de ce robot infâme, son petit corps brun tremblant comme une feuille, sa queue plus frémissante encore, la poitrine et les babines souillées de son sang et de celui de son pauvre ami, un goût inacceptable dans la gorge. Haut le cœur, vomissement, ses yeux roulèrent dans leurs orbites. On put craindre un instant qu’il défaille, mais il n’en fut rien. Samba eut même l’agréable surprise de retrouver chez sa victime une lueur de raisonnement. Le Petit Mage, poussé à bout, rassemblait ses pensées éparpillées. Il tourna la tête vers le chat, prostré, à demi inconscient ; intimité profané, mutilé… Sous lui, une flaque rouge qui commençait à devenir importante… Le souriceau eut une dernière hésitation, mais lorsqu’il sentit à nouveau les lames sur son poitrail, il se rendit à l’évidence. Il allait craquer. Aucune chance qu’il meurt avant, cette machine diabolique était trop experte en son art ignoble. Alors, la mort dans l’âme, il se mit à beugler d’une voix aiguë et vacillante :
« Ok, ok ! J’ai pigé ! Valentine aura son spectacle ! Et même plusieurs si ça lui chante ! Mais par contre, vous allez soigner Marty ! S’il y passe, je marche plus ! Si vous le prenez en otage, je marche plus ! »
Il se remit à fixer les capteurs rouges.
« Marty fera le spectacle avec moi. Il me servira d’assistant. Il l’a déjà fait. Voilà. Contente, machine de merde ?! »
Il ne pleurait pas. Et il osait encore provoquer. Non, en fait, c’était la première fois qu’il provoquait, ça ne lui ressemblait pas. Mais on le sentait sérieux. Il ne savait pas mentir…

La réponse de Samba ne se fit pas attendre. Sa main interrompit son menaçant trajet sur le torse de Timothée.  

– Oh, oui, carrément, fit-il, joyeux.

Ses mains cessèrent de maintenir les épaules du prisonnier, et ramassèrent les morceaux de chair qu'il avait laissés sur le sol. Un de ses bras commença à raser la fourrure de son buste, alors qu'un autre éjectait des petites agrafes, avec des claquements réguliers. En une dizaine de secondes, il avait replacé les mamelons de Timothée. Pour finir, il aspergea les plaies d'un liquide incolore brûlant. Le souriceau garderait des cicatrices, mais infiniment moins importantes que si rien n'avait été fait – la découpe du reste avait été régulière, et la blessure était maintenant propre.

– Pour ses parties, pas de miracle, par contre. Tu les as mangées, gourmand.

Le robot referma la plaie génitale avec les mêmes agrafes. Malgré le spectaculaire de la mutilation, il jugea que la perte de sang n'avait pas été suffisamment importante pour nécessiter des soins plus avancés. La zone aurait également cicatrisée sous peu, mais le scrotum resterait vide.

– J'ai enregistré l'essentiel. Il manque encore tes excuses à miss Valentine. Pour tes refus répétés, tout ça.

La vidéo issue des capteurs de Samba serait sous peu envoyée à l'administratrice. Elle apprécierait sans doute l'expression des regrets du petit mage, elle qui avait été blessée dans son orgueil.

– Hey, vous allez même pouvoir vous reposer ici quelques jours, indiqua Samba. Profitez bien surtout, petits chanceux. Sans rancune, pas vrai ?

Dans quelques minutes, les mercenaires seraient en effet partis. La maison, en tant que propriété de Tech13 n'en était pas moins surveillée. Les indications du robot étaient toutefois exactes : la demeure, luxueuse, surtout selon leurs standards, était à eux pour la semaine. Elle était pourvue en nourriture, vêtements à leur taille et produits du quotidien. Il y avait un jardin, avec une terrasse et une petite piscine. Une bien maigre consolation, qui leur donnerait peut-être quand même un aperçu de ce que pouvait offrir la corporation lorsque l'on coopérait.