Le pauvre Hibernatus n'était qu'un film d'un autre âge ! Et c'est en 2071 que fut lancée la première expérience de cryogénisation. Oh, même sur cette terre en pleine décadence, et où la course à l'armement laissait craindre quant à atteindre le 22ème siècle, les grandes nations avaient réussi à convenir d'un accord pour ne pas laisser déraper dans des voies dangereuses. Accord de dupes, chacun le savait, mais c'était un minimum.
Pas assez cependant, pour empêcher quelques apprentis-sorciers de tenter leurs propres méthodes. Ainsi, dans les laboratoires Vanschtroft, le Professeur Dieker et son équipe avaient, dès début 2072, tenté leur propre expérience. Un volontaire d'une quarantaine d'années, moyennant un solide compte en banque pour son futur réveil, avait accepté de servir de cobaye. Son seul souhait, mentionné par écrit : être ramené à la vie lorsque la science saura offrir la vie éternelle qu'aucun dieu n'a pu garantir.
Hélas, même avec tous les protocoles et autres accords, tout ne se passa pas comme prévu. Car ce fut la Suède qui, contre toute attente, prit de vitesse les grandes puissances. Mais, au lieu de créer un consensus, cela déchaîna une lutte pour s'accaparer le processus. Entre bas coups, attentats et autres, la terre sombra dans un chaos indescriptible. De pays entiers rendus inhabitables par une bombe atomique aux exodes massifs, en passant par les mouvements sismiques engendrés par les failles consécutives aux explosions, qui ont endommagé de rares terres survivantes, ce n'était que désolation et mort. Tout s’enchaînait, jusqu'à ce que le générateur de secours des laboratoires Vanschtroft ne rende l'âme, entraînant la remontée en température de l'azote.
Lentement, le vagabond d'antan renaît à la vie. Comme avant la cryogénisation, un corps sans une ride supplémentaire, une mémoire toujours au même niveau. Il reprend ses esprits avec une vivacité incroyable et, poussant le couvercle déverrouillé, il passe la tête au dehors. L'atmosphère est étrange, lourde, étouffante, poussiéreuse. Quelle date ? Il ne le sait pas, mais à quoi bon savoir ? S'extirpant de la cuve, il s'habitue peu à peu à la lumière. Mais il n'est pas dans un laboratoire stérilisé ; pas une blouse blanche, pas même un bruit, mais un mur à moitié écroulé tout autour. Le vagabond ne s'attendait pas à un tel cadre au réveil !
Il est vivant, c'est déjà une bonne chose ; mais ça ne suffit pas. Il hésite, avance, observe. Il est seul ! Ça lui donne le bourdon, il n'avait pas prévu ça. Et rien ne lui prouve qu'il soit désormais éternel. Mais le plus angoissant est l'état de désolation alentour. Plus rien n'est debout. Et, s'il finit par trouver au sol une plaque fracassée du laboratoire, ça ne lui apporte rien de plus, si ce n'est que tous ses plans sont à l'eau. Le parking n'est plus qu'une succession de trous et de fissures, les voitures aux formes étranges ne sont plus qu'amas de tôles, et c'est derrière l'une d'elle que, surpris, il découvre un corps à terre.
Un vigile selon son uniforme, mais, plus utile encore, un pistolet 9mm. Une arme ! Ce n'est pas que le Vagabond aime ça ou même sache s'en servir. Mais, vu le chaos ambiant, autant prendre un minimum de précautions. Il progresse à grand peine au milieu des gravats, sous un ciel sombre. Il ne saurait dire ce qui s'est passé pendant son maintien sous azote, mais il n'y a pas âme qui vive pour lui raconter une histoire. Il faut aller voir ailleurs ! Mais, dans ce désordre, comment trouver un moyen de locomotion ?
La chance doit être de son côté, car il aperçoit un truc sur roues qui, de loin, ressemble à l'un de ces cabriolets Mercedes dopés au V12. Il ne se rappelle pas en avoir conduit auparavant, mais, là, il n'y a plus personne pour l'en empêcher. Chance au top, les clefs sont au fond de la boîte à gants. Et le V12 rugit, comme s'il venait juste d'être coupé. Ah, ces belles mécaniques, toujours aussi fidèles ! Même si l'éternité ne lui appartient pas, il démarre dans un super cab', calé dans un siège en cuir, écoutant le chant des 600 chevaux, et ne quittant que peu du regard le 9mm posé sur le siège passager.
La route d'accès aux laboratoires est, elle aussi, parsemée de trous, mais il parvient à slalomer entre eux, jusqu'à rejoindre ce qui fut l'autoroute W31. Pas question de rouler à fond vu la chaussée, mais au moins de chercher quelque trace de vie, et surtout de quoi se restaurer, si tant est que ça existe encore. Moins de dix minutes plus tard, il arrive dans un endroit étrange. Moitié décor de vieux western lugubre, moitié décor de fête foraine macabre, voilà encore un lieu peu rassurant, bien pire que les élucubrations de Mad Max, et que la poussière soulevée par son cab' emplit d'un brouillard ocre. La main sur la gâchette du 9mm, il observe, il guette, il ne sait pas ce qu'il va trouver dans ce futur où il semble bien seul.