Un semblant de dignité Kelsier, que diable ! Il reprenait contenance malgré la présence du fauve. C'était surement une manoeuvre de la reine afin de tester les réactions de ses hôtes. Un peu tendu alors qu'elle observait les croquis, il ne laissait rien transparaître, espérant juste que ça lui plairait. Si certains méritaient d'être retravaillés, d'autres étaient plus aboutis. Et sur ceux là, elle aura eu des sensations étranges. Sur le premier de ces croquis bien mieux finalisés, une dame, installée sur un banc devant une maison blanche, semblait fixer le ciel clair. Et lorsque les doigts de l'observateur - en l'occurence, la reine - touchaient le papier, on ressentait la mélancolie de cette femme. Qu'attendait-elle ? Qu'espérait-elle ? Elle seule le savait, mais elle transmettait cette sensation à l'observateur. Le second portait sur deux hommes en train de se battre. Un duel au fleuret, comme en font parfois les nobles pour se distraire ou pour se défier. Les visages des deux hommes laissaient transparaître une concentration extrème, pourtant ce n'était pas ça que le tableau faisait ressentir. En effet la reine put sentir en elle la rage et la jalousie qui émanait de chacun des protagonistes. Ils avaient posé pour l'oeuvre, mais l'on aurait pu juré qu'ils se détestaient réellement. Le troisième et dernier montrait une dame représentée en pied. Dans une robe brodée finement, elle avait le port d'une bourgeoise ou d'une noble. La position était classique, les deux mains posées sur le devant de sa robe. Mais cette fois, le tableau laissait entrevoir du désir. L'inconnue semblait fixer l'observateur, et une vague de chaleur et de désir emplissait quiconque contemplait l'oeuvre. Avec une pose pareille, il fallait être dupe pour ne pas comprendre que cette femme avait désiré le peintre lors de la séance de peinture.
Sans savoir si c'était dû au trouble d'avoir contempler ces oeuvres ou bien simplement de devoir poser, la reine donnait tout de même l'impression à Kelsier d'être troublée. Elle n'était probablement pas habituée à ce genre d'oeuvre, voir même à s'intéresser à l'art. Elle souhaitait peut-être juste faire faire un tableau d'elle même pour quelqu'un. Le roi ? Il n'en savait rien. Il aurait pu se renseigner mais il n'en avait rien fait, et ne savait donc pas si elle reignait sur le royaume au côté d'un roi ou non. Il entreprit de fouiller dans sa malle pour en extirper plusieurs crayons à la mine de graphite ainsi qu'une toile vierge qui avait été roulé. Ouvrant le chevalet pour déployer la toile et l'installer, il se décida à rompre le silence. Si elle devait être inquiète, la toile ne serait pas bonne, et il se devait de le lui expliquer.
Mes oeuvres comme vous avez pu le constater retranscrivent les émotions et parfois d'autres sens du sujet. Plus les émotions seront présentes plus elles ressortiront une fois l'oeuvre terminée. Je vous enjoins donc à choisir ce que vous voulez donner comme impression à ceux qui contempleront votre tableau.
Une armada de serviteurs s'organisaient autour pendant ce temps, tout cela pour le bon vouloir et le bien être de la reine. Kelsier quand à lui n'avait besoin que d'un tabouret devant son chevalet, et il était déjà fin prêt, n'attendant plus que la fin du remue ménage. Lorsque ce fut le cas et que seuls les larges éventails troublaient la quiétude de la pièce, il se mit à dessiner. Placé en décalé par rapport à la reine, il laissait son regard aller du modèle au tableau et inversement alors qu'il traçait les premières esquisses de la belle. On entendait distinctement le bruit de la mine sur le papier quand elle traçait ou s'appuyait un peu plus pour souligner un trait. A voir le peintre, on eut dit qu'il avait oublié tout le reste, même jusqu'à la panthère, c'est dire si son art le transcendait.
Ce que je vous ai montré ne sont que des esquisses. Les tableaux peints et finis ont bien plus de force et renferment des émotions plus puissantes. La scène de duel pourrait provoquer l'instinct guerrier des observateurs et entrainer une vraie bataille si je la finissais. Quand à la première demoiselle, elle pourrait pousser quelqu'un à la dépression voir au suicide. Et la dernière ... Je ne vous ferai pas l'affront de vous faire un dessin.
Elle devait bien se douter de ce que cela provoquerai, et il appréciait la répartie dont il avait fait preuve. Tant qu'il pratiquait son art, il se sentait comme invincible et surtout prit d'une mission. Il aurait pu dire et faire n'importe quoi au nom de l'art, même face à une reine. Jusqu'ici cela ne lui avait pas porté préjudice, et il espérait que ça n'arriverait pas de sitôt. Le dessin prenait forme sous sa main, les traits de la souveraine apparaissaient et se précisaient. Pas un coup de trop, il savait ce qu'il faisait et ne débordait jamais. Il lui fallait également savoir si la jeune femme souhaitait qu'il peigne la toile ou si elle préférait la garder à l'état de croquis. Tant qu'il était concentré, il ne ressentait pas l'effet magique de la toile, mais à partir du moment ou il stoppait pour un instant sa concentration, les sensations de la toile le touchait également. Il lui fallait alors beaucoup plus de contrôle pour s'absorber à nouveau dans l'oeuvre et en reprendre l'exécution. En une quinzaine de minutes, il avait déjà un croquis bien détaillé de la souveraine. Il s'arrêta brusquement et tourna lentement le chevalet afin de le montrer à Opala. De part leur place les serviteurs le voyait surement aussi.
Est-ce que la réalisation vous sied jusqu'ici ? Souhaitez vous que je le colore ? Cela prendra un peu de temps, mais vous n'êtes pas obligée de poser tout du long.
Attendant docilement le choix de la reine, Kelsier reporta son regard sur la panthère. Il avait bien fait de choisir la reine comme modèle. Qui sait ce qu'aurait pu provoquer un dessin d'un fauve ? Il ne le savait pas et ne comptait pas le découvrir un jour.