Le nez d’Alice lui rapporta une odeur de brûlé à proximité. Elle fronça les sourcils. Est-ce qu’un incendie venait de se déclencher ? Non, l’alarme-incendie aurait résonné... Et, en regardant bien, elle voyait de la fumée s’épaissir du dos de Corydon. Du feu s’échappait de son corps, et elle écarquilla les yeux, comprenant qu’elle avait affaire à un individu qui n’était pas normal... Ce dont elle se doutait déjà, soit dit en passant. C’était un mutant, ces êtres que les Tekhanes appelaient des ESPers, et son pouvoir était manifestement lié au feu... Et il était également en train de s’énerver, ce qui n’était pas de très bon augure.
Tout cela était une sinistre plaisanterie. Cet homme se voyait-il vraiment renverser Nexus et y instaurer une démocratie ? Vu qu’une simple conversation le transformait en barbecue ambulant, Alice doutait qu’il ait vraiment les nerfs nécessaires pour diriger un pays. Cette conversation provoqua un écho dans la tête de la Princesse, lui rappelant deux autres conversations qu’elle avait jadis eu. L’une avait lieu à Ashnard, la capitale impériale, lors d’une cérémonie où Sylvandell avait été conviée. Alice était alors relativement plus jeune, et les Impériaux avaient reçu dans la journée un rapport sur les objectifs de plusieurs révolutionnaires nexusiens, soucieux d’instaurer à Nexus une société égalitaire, d’abolir les privilèges, et de partager les richesses en dépouillant les riches pour les offrir aux pauvres. Ils imaginaient une société égalitaire reposant sur l’idée de partage. L’idée avait doucement fait rire les Ashnardiens. S’ils soutenaient ces illuminés, c’était uniquement dans la perspective d’affaiblir le régime nexusien, et de s’y instaurer. La force brute ne fonctionnait pas énormément contre Nexus, les puissantes armées ashnardiennes étant constamment brisées par les superforts nexusiens. Si Ashnard soutenait officieusement des mouvements révolutionnaires, les Impériaux ne partageaient nullement leur idéologie. Alice se souvenait de la réflexion d’un officiel ashnardien sur les utopies : il l’avait résumé en estimant que, peu importe dans quelle société on vit, il y aura toujours quelqu’un qui devra « récurer les chiottes et laver le sol ».
La seconde conversation dont se rappelait Alice était un peu plus récente, et n’avait pas eu lieu dans la capitale, mais à Sylvandell, à l’heure du souper. Un Commandeur était revenu de mission dans un État éloigné, et avait expliqué que le pouvoir en place, affaibli, réfléchissait à la possibilité d’opter pour une démocratie. En entendant cette idée, toute l’assemblée s’était mise à rire bruyamment. La démocratie, ce régime idéalisé par les Terriens, avait assez peu de succès sur Terra, où le régime était vu comme instable et inefficace. Pouvait-on vraiment laisser à des gens incultes la possibilité d’élire leurs dirigeants ? Si les dirigeants dépendaient du bon vouloir de la populace, ils ne feraient que des mesures simples, afin de caresser le peuple dans le sens du poil, et passeraient plus de temps à trouver un moyen de préserver leur pouvoir, plutôt qu’à vraiment chercher à diriger le pays. De ce qu’Alice savait des pratiques terriennes, il existait un mot pour désigner ce genre de pratiques : le populisme... Et, à croire certains articles qu’elle avait lu à la bibliothèque, beaucoup de responsables politiques étaient des populistes, des opportunistes.
« Je suis sur que le rôle de dirigeante de conviendrait du moins pour ton pays.. »
Alice retourna au moment présent en entendant cette phrase. Elle n’en était pas si sûre, elle... Elle savait qu’elle finirait un jour par être la Reine de Sylvandell, mais l’idée de succéder à Tywill Korvander, le colossal Roi de Sylvandell, avait de quoi intimider n’importe qui. Sans vouloir offenser son père, il n’était pas le Roi le plus talentueux de Sylvandell, mais assurément l’un des plus imposants. Il avait un sens politique très limité, et était, en réalité, plus un soldat qu’un responsable. La diplomatie n’avait jamais été son fort.
*De toute manière, je ne suis que la Princesse héritière... Mon rôle est de m’éduquer, pas de mener des alliances avec de pseudo-révolutionnaires qui se terrent dans un lycée en pensant pouvoir renverser Nexus en lisant des livres d’Histoire...*
Il valait mieux qu’elle ne parle pas de cette histoire à son père, il risquait de s’énerver. Alice, au moins, avait réussi à taire sa filiation à Sylvandell. Elle ignorait encore si elle pouvait faire confiance à Corydon, mais elle était imaginative. Si ce type essayait vraiment de renverser le pouvoir, il serait fatalement capturé, risquait d’être torturé, et pouvait tout à fait parler d’une élève sur Terre... En fait, Alice n’aurait jamais du lui parler. Elle n’aurait jamais du rester une journée de plus sur Terre. Il lui fallait trouver un moyen de sortir de là, mais elle ne pouvait pas tout simplement sortir en courant. Ce type était dangereux, et elle n’aimait pas cette odeur de grillé qui lui agressait les narines.
« Écoutez, je n’ai pas le temps de m’engager dans une discussion politique avec vous sur les bienfaits de la...*
*DRIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIINNNNNGG !!!*
La Princesse sursauta en entendant l’alarme incendie se déclencher, résonnant avec rage dans tout le lycée. Elle cligna des yeux, avant de comprendre que la fumée qui s’échappait du corps de Corydon avait du atteindre l’un des détecteurs de fumée. En conséquence, l’alarme s’était mise à sonner, ordonnant l’évacuation immédiate. Très rapidement, Alice put entendre de nombreux raclements de chaise autour d’elle.
*Sauvée par le gong, pour ainsi dire...*