Une fois dans l'avion, mon ange-gardien ne cache pas son envie de s'envoyer en l'air en l'air, et ce n'est pas l'envie qui m'en manque... En fait si, c'est l'envie qui manque. Après une nuit pareille et avec tout ce que j'ai avalé, les sièges de l'avion coupent toutes mes envies. J'aurais même pas remis le couvert pour un dernier repas de viande bien dure et chaude. Bordel ! L'autre salope a plutôt intérêt à ne pas changer sur ce point-là et se taper ce délicieux casse-croûte à ma mémoire ! Je m'endors en bredouillant une excuse à mon compagnon de voyage. Il pourrait me tripoter, pas de problème, mais je doute que ça l'intéresse. J'imagine que c'est normal, mon corps doit avoir besoin de repos avant la suite.
Atterrissage, bagages, taxi, et nous voilà bientôt sur le pas de la porte. La matinée n'est pas finie mais on a un sacré décalage horaire dans les jambes. J'imagine qu'Edean n'a pas l'habitude de ce genre de petites bicoques en pierres posées à deux pas d'une plage, isolée du village et donnant de l'autre côté sur un pré envahi de moutons. Le sol est en pente si à l'arrière la maison à au même niveau à l'avant elle a l'air un peu enfoncée. Le chemin pavé s'incline pour rejoindre la porte, cerné de murets qui retiennent la terre.
" Ça ressemble un peu à une cabane de sorcière, mais ça craint rien. "
Je l'accueille donc dans la maison Finnegan, dont la pièce à vivre occupe à elle seule une bonne moitié. Une large salle qui donne sur la charpente nue de la toiture, et deux vieux lustres en ferraille. L'entrée donne directement sur la première partie occupée par une grande table de bois massif, avec à gauche un vaisselier et un buffet de même facture ou presque. Deuxième morceau : la cheminée, avec le canapé et contre le mur la télé. Et enfin, le fond de la pièce où se dresse un bureau et une bibliothèque tous deux en bordel. Bienvenue chez maman Yamagashi ! Elle est jamais là, et elle ne fait le ménage qu'en revenant.
Directement sur la droite, un escalier ouvert mène au passage tout aussi ouvert qui dessert ma chambre, celle de ma mère, et enfin la salle de bain. En-dessous de l'escalier, la porte des toilettes. Le mur qui coupe la maison en deux coure sur toute la longueur à droite de la pièce à vivre. Outre les toilettes il y a une entrée sans porte vers la cuisine, et une autre fermée vers la buanderie. je décris rapidement tout ça à mon ange-gardien alors qu'on pose nos bagages. Je me sens déjà plus fraîche que dans l'avion, mais maintenant qu'on en est là... L'envie de m'envoyer en l'air est presque insoutenable, je la soutiens pourtant. À quoi bon me donner d'autres raisons de douter, et à Edean de s'attacher à moi ? Parce que j'espère bien être une personne à part entière dans sa tête.
Serre les dents, c'est presque fini ! On va pas y passer une éternité. Je prends Edean par la main et l'entraîne vers la buanderie.
" Le grand-père d'Hitomi était dans l'IRA du temps de Collins. Il avait fait une cave cachée. "
J'ai les souvenirs d'Hitomi, ceux de sa mère furieuse que sa fille aille jouer où papy avait entreposé des armes et des explosifs depuis longtemps saisis à l'époque. Ça me serre le cœur de revivre ça dans ma tête, mais quitte à ressentir des émotions forte je m'en serre pour pousser la grosse machine à laver et découvrir la trappe étroite. J'attrape une lampe-torche et une couverture. Hitomi va sans doute sortir de là complètement couverte de je ne sais quoi et elle aura besoin de compenser la chaleur du cocon. Enfin, je crois.
J'ouvre la trappe et descend l'escalier étroit. Il tient très bien le coup, je l'ai retapé moi-même la dernière fois. J'y connais pas grand-chose mais au moins il n'y a pas de clous qui dépassent et même si ça grince ça ne va pas s'écrouler. Mon cœur bat à un rythme que même les souvenirs d'Hitomi ne connaissent pas. Ni les pires dangers ni ses plus grands coups de foudre ne l'ont frappée aussi fort. Je ne sais pas si c'est ma seule volonté qui me fait tenir debout ou si je tiens ça d'elle. J'espère que je tiens ça d'elle, et qu'elle se décidera enfin à exploiter cette résistance quand elle reviendra.
Je braque le cône de lumière vers le mur du fond, et passe lentement le cocon en revue.
" La voilà. "
Ce truc est dégueulasse, suintant je ne sais quelle sorte de bave alien mutante. Je dois continuer à bouger, agir vite, sinon je vais m'effondrer. Je me tourne en laissant tomber la couverture pour donner la lampe à Edean. J'essaie de rester... je sais pas. Dure ? Digne ? En tous cas fixée sur mon objectif qui est de vite en finir avec cette histoire. Je fait valser mes chaussures.
" T'auras peut-être besoin d'un couteau, y'en a à la cuisine. Et souviens-toi : ma chambre c'est la première, et la salle de bain est au fond. "
Les chaussettes sont parties elles aussi, et le T-shirt. Je fourre la main dans la poche de mon pantalon pour en sortir une clé que je donne à mon ange-gardien.
" J'ai mis toutes les affaires d'Hitomi dans un garde-meuble, le nom de la boîte et le numéro sont sur le porte-clé. Une fois à Seikusu tu lui donnes ça et tu la laisses se débrouiller. Oublie pas qu'elle sera plus humaine, elle aura peut-être plus rien à voir avec... moi. "
La tension n'arrive pas à me retenir. Quand je lui donne la clé, je ne peux m'empêcher de serrer sa main et de l'attirer contre moi. Je veux le serrer, l'embrasser une dernière fois, et je lui demande pas son avis. C'est plus fort que moi, il est tout ce qui me reste et je ne peux pas me résoudre à l'abandonner avant me sentir vivante une dernière fois. Salope de rouquine ! J'espère qu'il va vite la laisser se démerder, elle le mérite pas. Elle mérite déjà pas que ce je fais pour elle. Mais c'est tout ou rien, alors je donne et je prends tout ce que je peux aux lèvres de mon ange-gardien. Je le serre comme pour fonder en lui au lieu de me fondre dans cette grosse glaires brunâtre accrochée au mur, j'hésite même à rompre ce contact. M'asphyxier dans un dernier baiser, ce serait une belle fin.
En reprenant mon souffle je le repousse, doucement mais assez fermement pour me faire comprendre. Je voudrais le remercier encore, lui dire des milliers de choses que je ressens pour lui, mais je n'ai pas l'avenir devrait se dérouler ensuite.
" Maintenant remonte ! "
Je déboucle ma ceinture, du moins j'essaie. Il est encore là et sa présence me fait trembler. Je garde la tête basse pour cacher au maximum que je suis à bout, sur le point de m'effondrer pour de bon. Ma voix ne m'obéit même plus, je renifle et je sanglote en le suppliant de ne pas venir me rassurer.
" Va-t-en, Edean... Je veux pas que... Je veux pas que tu me vois... "
J'ai même pas de mots pour le supplier jusqu'au bout. Tout ça parce qu'une connasse a jamais pu maîtriser le feu qu'elle avait au cul, et qu'elle choisi le plus mauvais moment pour se rebiffer. Ce que je peux la détester en ce moment ! J'imaginais pas qu'on pouvait haïr quelqu'un à ce point. Ça, je lui souhaite bien de changer, de devenir plus forte, mais je lui souhaite aussi que sa vie soit un enfer ! Il n'y en aura toujours eu que pour elle, et j'aurai été la première à me sacrifier pour son cul ! Je n'aurai eu que quelques heures pour vivre ma vie de clone. Finalement j'ai pas eu de chance en tombant sur Edean. S'il y avait eu un moyen de sauver ma peau clonée, je sais qu'il n'aurait reculé devant rien pour y parvenir. Il doit souffrir d'être aussi impuissant, tout comme je souffre de devoir lui tourner le dos.
Une fois nue j'avance vers cette saloperie gluante aux airs de... Ça ressemble à rien, cette merde. Je ravale ma douleur, mes regrets, mes doutes, mon désespoir. Je ravale tout et je serre les dents pour retenir la rage qui enfle dans mon ventre. Si j'ouvre ma grande gueule, je suis partie pour traiter ce cocon et ce qu'il contient de tous les noms, hurler à m'en déchirer la gorge jusqu'à ce que mon corps s'effondre sur lui-même. Je suis encore hors de portée, je pourrais encore choisir la mort pour nous deux... Non, ce que je voudrais vraiment : c'est la tuer de mes propres mains, enfoncer mon poing jusque dans sa gorge et qu'elle s'étouffe avec. Venger tous ceux qui, comme moi, ont souffert à cause d'elle. Venger le monde entier de cette plaie qu'a toujours été Hitomi Dana Yamagashi-Finnegan.
Alors je n'approche pas sagement du cocon : je lui fonce dessus. Je hurle de rage en espérant qu'elle entend mes reproches et ma haine. Je cogne aussi fort que je peux en espérant qu'elle sentira les coups à travers cette saloperie toute molle. Je me débat et frappe encore malgré les tentacules qui tentent de me maîtriser rapidement, je mords pour garder ma bouche libre et hurler encore. Elle veut mes forces et je refuse de les lui donner sans ma rancœur, je ne suis à court ni des unes ni de l'autre quand le cocon se referme sur moi. Je ne peux plus bouger ni crier là dedans. Je peux juste la haïr jusqu'au bout. Et je préfère m'éteindre dans la rage que dans la douleur d'avoir perdu le peu que j'aurai eu pour moi. Pourtant dans les ténèbres absolue de cet amas organique qui me digère, la rage qui me brûle se consume. Une chaleur infiniment plus douce vient accompagner mes derniers instants...
... Edean.