Bon, voilà un début de nouvelle, qui avance bien lentement, sur le premier contact Tekhans/fourmilière, en espérant que ça plaira.
[Je donne aux Tekhans 120 ans d’espérance de vie, donc 120 ans pour eux c’est 80 pour une femme française et 75 pour un homme (il me semble), et 60 ans pour un Tekhan, ça nous fait 40 ans chez nous, mais bon, c’est des estimations au pifomètre ça hein, prenez pas au sérieux surtout ]Nouveau jeu, nouveaux ennemis, nouvelle guerre
-Commandant de la réserve Duncan Idaho ?
Le vieil homme leva les yeux de sa tasse de thé. Il se gratta le front du bout d’un ongle en observant, un sourcil levé en signe de perplexité, celui qui venait de le déranger. Duncan Idaho, c’était bien lui, il pouvait en jurer, mais « commandant de la réserve » ? Cela faisait bien des années qu’on ne l’avait pas appelé ainsi. Commandant Idaho, officier navigateur sur gear d’assaut, comme on disait, ce qui se traduisait en langage profane par « pilote d’une armure assistée de combat ». Une grosse armure assistée, le genre qui faisait dix mètres de haut, et tirait avec des armes de poing l’équivalent de ce que pouvait balancer un fusil anti-matériel.
-C’est bien moi sergent. Que me veut l’armée ? Ça doit bien faire trente ans que je n’ai pas fait mon mois réglementaire, ça me parait étonnant qu’on se souvienne subitement de moi.
-Hé bien…
Le sergent, un petit jeune qui n’avait pas dû sortir du rang depuis bien longtemps, semblait gêné. Duncan eut un sourire. Il avait la réputation d’une légende vivante. C’étaient des conneries, il le savait, et tous ceux qui le connaissaient le savaient aussi ; il n’était plus grand-chose aux yeux du matriarcat.
-Crachez le morceau, sergent, je ne vais pas vous manger.
-Mon commandant, je suis mandaté par le général de brigade Galice Ganida. Sur sa demande, veuillez réintégrer les forces régulières, avec le grade et la prime qui correspond à votre grade et un commandement de deux escadrons de gears.
-Ce qui nous fait deux cent quatre-vingt gears ? demanda l’ancien militaire d’un air pensif. C’est une lourde responsabilité. Et vous n’avez toujours pas répondu à ma question, sergent, pourquoi désire-t-on me réintégrer à l’armée ? Vous avez l’air d’un garçon intelligent, vous n’êtes pas venu sans jeter un œil à mon dossier, si ?
-J’ai effectivement parcouru votre dossier, mon commandant, et il est exemplaire, si l’on omet l’incident qui vous a valu votre…euh…mutation.
Duncan eut un petit rire. Il s’enfonça plus profondément dans le fauteuil ne plus confortable de son appartement au cent treizième étage d’une tour de la périphérie de Tekhos. Le sergent Styx, avec qui il devisait, avait accepté de s’asseoir, mais même dans un siège confortable, il était raide comme au garde-à-vous. Il suffisait de le voir pour que l’ancien combattant ne regrette pas sa vie de militaire. Mais il avait soixante ans maintenant, et même sans cette rigueur qui semblait appartenir à une autre époque, l’idée de réintégrer le personnel navigant ne l’emballait guère, même pour son ancien grade.
-Vous savez donc que je n’ai aucune raison de ressentir la fibre patriotique. Et de plus, votre supérieure n’a pas spécialement de raisons non plus de ressentir le besoin de m’avoir près d’elle. En fait, j’aurais tendance à croire qu’elle ne m’aime pas trop.
-Nous avons besoin de vos capacités, mon commandant. Je ne suis pas habilité à nous en dire plus, principalement parce qu’il s’agit là de tout ce que je sais. Aussi, si vous voulez bien me suivre, vous serez tenu au courant de tout ce que vous avez besoin de savoir quand nous serons entrés en contact avec le général Ganida. Elle vous briefera elle-même.
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-Nous avons été témoins d’un événement inattendu sur nos terres. Il y a quatre jours, treize heures et quarante-cinq minutes, nous avons détecté l’approche d’un objet volant non-identifié, une entité extraterrane arrivant selon un vecteur tellement improbable que nous n’avions aucun moyen de le détecter avant qu’il ne nous rentre quasiment dedans : il arrivait à notre verticale, et nous ne l’avons découvert que quand un vaisseau de la spatiale marchande qui revenait de la troisième lune l’a aperçu sur ses écrans radar, à deux cent mille kilomètres à notre verticale, à une vélocité de trois cent kilomètres par seconde en décélération constante. Vingt minutes plus tard, l’entité pénétrait la stratosphère, à une allure réduite de un kilomètre par seconde. Cet objet inconnu aurait un diamètre d’environ cent kilomètres pour une masse de un milliard de milliards de kilogrammes. Ça, c’est les estimations de nos équipes scientifiques d’après l’observation radar de notre cargo et de quelques autres engins après lui, et l’énergie dégagée lors de l’impact avec le sol. Pourquoi un tel mastodonte n’a pas provoqué une catastrophe de grande ampleur ? Parce qu’au moment de l’impact, ce truc n’allait pas à plus de cinquante kilomètres à l’heure. Ça nous faisait quand même une énergie cinétique de cent exajoules, la végétation alentours a pas apprécié.
Cet objet volant n’a pas donné signe de vie, pourtant, nous pouvons affirmer avec certitude qu’il s’agit d’un véhicule ou d’une entité vivante, car rien ne peut expliquer la fabuleuse décélération qu’il a subie. Cependant depuis qu’il a touché terre, on a trois oiseaux dessus.
Les oiseaux désignaient des satellites géostationnaires en orbite basse. Ceux-là avaient été réaffectés à la position où l’improbable vaisseau spatial avait percuté le sol. La cuve holo afficha les prises de vue des satellites, montrant successivement un large nuage de poussière, puis – sur une photo prise dix heures plus tard – quelque chose qui ressemblait à un gros rocher qui suintait par endroits une substance liquide inidentifiable.
-Comme vous pouvez le constater, une matière s’écoule de notre géocroiseur. Nous avons de bonnes raisons de croire qu’il s’agit d’un fluide organique, notamment du fait de son effet sur la faune et la flore indigène. Comme vous pouvez le voir sur cette prise de vue, elle a commencé à subir une mutation dont nous ne saisissons pas bien le fonctionnement, mais qui est très virulente. Des espèces inconnues sont déjà apparues depuis quatre jours.
Mais à part ce fluide, il n’y a eu aucune évacuation de matière. Nous ne savons donc pour ainsi dire rien du tout sur cet objet, et nous avons besoin d’un soldat aguerri pour mener une équipe de reconnaissance sur les lieux. Il nous faut un vétéran capable de supporter de lourdes responsabilités et doté d’un grand sang-froid, une personne habilitée à commander et piloter des gears, qui soit au fait des équipements de son engin et sache en tirer profit, efficace et raisonnée et surtout pouvant se débrouiller par elle-même en possible territoire ennemi sans soutien allié. En gros, commandant Idaho, il nous faut une personne comme vous pour mener le premier escadron de SPAR.
Duncan avait mis un uniforme militaire en entrant à la base Cigédon-un. Dans l’amphithéâtre où il était assis au premier rang, et où il était quasiment seul, il ne put s’empêcher de se demander s’il avait bien entendu. Après l’incident qui l’avait fait se faire reléguer comme réserviste trente ans plus tôt, il avait progressivement abandonné l’armée, et en quelques années, était redevenu un civil, même si officiellement, il devait un mois de sa vie chaque année à l’Etat.
Personne ne lui avait tenu rigueur de son désistement, connaissant son dossier, mais maintenant, le général de brigade Galice Ganida, celle-là même qui l’avait trainé en cour martiale, lui expliquait posément qu’elle avait besoin de son aide.
-Et je suis le seul à savoir faire tout ça ? demanda-t-il, dubitatif. Vous allez me dire que depuis trente, vous n’avez pas formé un seul officier des forces spéciales ?
SPAR, c’était Sections sPéciales d’Assaut et de Reconnaissance, une section de gears rattachée au commandement des forces spéciales qui représentait l’élite des troupes terrestres motorisées.
-J’ai plus de soixante-ans aujourd’hui, reprit le commandant. Je suis vieux, et je suis un homme. Je n’ai pas suivi les dernières innovations technologiques, et il me faudrait une remise à niveau pour être capable de maîtriser un gear et une autre pour reprendre mes marques en tant que chef de groupe.
-A soixante-ans, vous êtes aussi vigoureux que la plupart de nos soldats en fin de carrière, ce qui est bien suffisant, on ne vous demande pas de mener une guerre, mais de remplir une mission courte. Et bien qu’étant un homme, vous êtes notre meilleur élément, vous l’avez toujours été, et il se passera sans doute longtemps avant que l’on trouve un officier plus doué que vous, et ça, vous le savez pertinemment, comme vous savez pertinemment que vous avez suivi toutes les évolutions relatives aux armures assistées. Et, est-ce que vous n’êtes plus capable de piloter ? Je ne le crois pas non plus. Je vous demande donc, Duncan Idaho : voulez-vous intégrer les forces spéciales en tant que commandant des SPAR ?
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On l’avait envoyé sur place pour vérifier si l’étrange astéroïde sans doute pas naturel était habité ou pas, et si oui, s’il était hostile ou pas. Duncan Idaho avait été un militaire d’exception avant l’incident qui lui avait valu sa rétrogradation, qui équivalait à une radiation masquée, ce qu’il avait bien compris.
Il était maintenant fixé sur la question, il ne lui restait plus qu’à contacter des supérieurs pour leur expliquer la situation. Mais on se demandera peut-être ce qui l’avait emmené à ses conclusions. On remonte un brin en arrière…
…
…
La nuit était tombée depuis longtemps, mais elle n’était pas dérangeante pour le groupe d’intervention. Les gears étaient équipés pour voir dans le noir le plus total. Ils avançaient dans un silence exemplaire pour un groupe de géants d’acier de dix mètres, mais il n’empêchait qu’il était facile de les repérer pour un observateur humain. Par ailleurs, le sol était spongieux, ce qui n’était pas normal en ces lieux, normalement, des terres plutôt sèches.
-Mon commandant, j’ai un mouvement à deux heures. Impossible à confirmer, il a disparu.
-Quelle taille ça faisait, Jais ? demanda Idaho.
La jeune femme sembla se concentrer avant de répondre à son supérieur. Idaho ne doutait pas qu’elle dise vrai ; de ce qu’il en avait vu jusque là, elle était excellente dans tout ce qui la concernait, tant la théorie du combat que la pratique, en fait, elle était l’élément le plus prometteur du groupe, et avait été promue caporal des SPAR dés sa sortie de l’école militaire.
Cependant, il n’était dans les cordes de personne de pouvoir noter avec précision les caractéristiques d’une forme mouvante en pleine nuit, que l’on n’aurait même pas détectée sans l’assistance électronique.
-Je ne sais pas, commandant, finit-elle par avouer. Impossible de discerner. Ça n’était sans doute rien, un animal nocturne nouveau, comme on dans la zone mutée…
-Mouai…
Justement, ils étaient dans la zone mutée, un nouveau monde en leur monde, et ils n’avaient aucune idée de ce que pouvait receler cet endroit. Peut-être apparaitrait-il de nouvelles espèces de papillons, et peut-être que l’on trouverait des monstres grands comme un immeuble et capables de ravager son peloton.
-Carring, Enola, Sapiens, allez explorer le coin, vérifiez qu’il ne s’y cache rien de dangereux, ordonna-t-il.
…
…
…
-Halte ! On est arrivés !
Le peloton de gears stoppa net. Ils se trouvaient au pied de quelque chose d’immense et d’entièrement inconnu. Ils pataugeaient dans une vase organique dont aucun de leurs senseurs ne pouvait dire la composition depuis presque une heure déjà, et maintenant, ils étaient au pied de leur objectif. Il était partiellement enfoncé dans le sol, et se perdait dans les ténèbres sur la droite et la gauche des soldats. C’était une petite lune, on leur avait dit que l’objet faisait cent kilomètres de diamètre. Une estimation leur indiqua que l’objet était plutôt régulier dans l’ensemble, malgré une surface recouverte de poussières spatiales très crevassée.
La terre remuée par l’impact formait comme une succession de bourrelets, on aurait dit qu’elle s’était transformée en une mer brune l’espace d’une seconde, sa surface parcourue de vagues, puis s’était figée de nouveau. Les arbres, qui n’avaient plus rien à voir avec la faune locale originelle, semblaient avoir été ballotés par une forte houle, renversés ou penchés.
-Enola, prends cinq hommes et fais le tour, puis reviens, tu m’envoies un rapport toutes les cinq minutes, dit-il dans le comlink de son engin.
-Chef, à vos ordres, dit la jeune femme avant de se lancer dans l’aventure, contournant l’imposant aérolithe.
Elle avait à peine disparu au-delà de la courbe de ce dernier que des parasites se mirent à grésiller dans les haut-parleurs des pilotes. Puis ce fut le silence, et le retour à la normale. La voix qui retentit ensuite était calme et posée, sans être mielleuse. Mais elle n’était celle d’aucun d’entre eux. C’était un des habitants du vaisseau, et contrairement à ce que tout le monde attendait, ils parlaient de paix et d’entente mutuelle.