L'orage approche ... ( Patience )

Il est des passions contre lesquelles on ne peut lutter ... Les yeux dans le vague, un verre de champagne à la main, Sappho contemplait une fenêtre donnant sur un orage somptueux. Par réflexe, il se mit à compter les secondes entre l'éclair et le cri de l'orage, ce son sourd. 1...2...3...4...5 ... Il fut interrompu brusquement dans sa contemplation par une femme - une grande blonde filiforme à qui il n'adressa qu'un haussement de sourcil à peine dédaigneux - qui lui expliqua qu'elle aimait son travail. Il l'écouta piailler durant une bonne dizaine de minutes, avant de la congédier d'un sourire, lui indiquant qu'il avait beaucoup de choses à faire ...

Et c'était la réalité. C'était son exposition, son vernissage ... Un artiste contemporain de renom, Christian Boltanski, avait demandé au jeune irlandais de monter une rétrospective à son nom. Ainsi, les murs de la galerie étaient recouverts d'illustres œuvres de cet artiste, qui ne devrait d'ailleurs plus tarder. Sappho dévisagea quelques invités du regard ... Sa femme accueillait les gens, avec un sourire et un air charmant, et lui vagabondait entre les personnes, adressant salutations et sourires, sans jamais se fixer. Un éclair inonda la salle, et il se sentit revigoré. Les exploits de la météo le laissait sans voix ... Un temps violent donnait une humeur violente, n'est ce pas ? La pluie se mit alors à tambouriner contre les fenêtres, donnant l'impression qu'elle pouvait les briser. Certains, dans la salle, s'affolérent inutilement.

Il continua donc ses déambulations, et entendit la porte s'ouvrir à nouveau, près de lui. Alors, une jeune femme entra ... Jeune, très jeune. Il plissa les yeux, la dévisageant sans jamais se cacher.

Un éclair. 1 ... 2 ... Il se rapproche.

Au loin, sa femme lui adressa un sourire, et un signe de la main, qu'il lui rendit à peine, se concentrant sur cette invitée. Les invités, ici, étaient triés sur le volet, et il n'avait pas le souvenir d'avoir vu son nom ou même sa photographie quelque part ... Alors, il s'approcha d'elle, et demanda avec un léger sourire, peu rassurant :

- Qui êtes-vous, Mademoiselle ?

Il ne se voulait pas violent, ni hautain, mais son ton demeurait empreint de méfiance.

Encore une soirée dehors. Oui, Patience Travers restait rarement à la maison ces derniers temps. Elle vagabondait dans la ville jusqu'aux petites heures du matin, rentrait crevée, et séchait les cours. Elle faussait compagnie à Marie, qui devait la tenir à l'oeil, et buvait, faisait la fête, se droguait, etc... Et ce soir ne faisait pas exception. Sauf qu'au lieu de traîner dans le square, elle allait à une soirée chic. Enfin, ça n'était pas prévu au départ. Certes. Mais au final, ça r'vient au même.

Oui, à force de traîner dans la rue alors qu'il pleuvait à verse, la donzelle a été remarquée par un type en costard qui se rendait à un vernissage d'art. Ce type espérait bien se la faire après, mais Patience n'a pas prévu ça comme ça. Elle joue le jeu pourtant, et accepte de l'accompagner à cette soirée artistique, mais sait pertinemment qu'elle le fuira avant la fin, après s'être un peu distraite. C'est donc après cet homme qu'elle entre, avec un peu d'retard étant donné qu'elle a essoré ses cheveux sur le pas de la porte avant de rentrer. Elle garda aussi son manteau à la main, dévoilant son petit top-bustier noir et son mini-short en jean sombre.

Elle sursauta quand un homme s'approcha d'elle, lui demandant son identité. "Ne pas paniquer !" se répéta-t-elle avant d'oser sourire, comme tout à fait à son aise.

- Patience Travers. Et.. Vous ?

Ouais, ce n'était pas sa meilleurs réplique, mais qu'importe ? Elle observa l'homme qui venait de lui parler, oubliant totalement celui avec qui elle était entrée -et qui pourtant se dirigeait vers elle, comme soucieux de penser qu'elle ai pu l'oublier. Il n'avait pas tout à fait tord, mais venir poser ses mains, de manière possessive, sur les épaules de la jeune femme, ce n'est pas très poli... Même si le sourire paraissait avenant.

Alors que Sappho allait répliquer avec un " Et que faites-vous ici ? ", une main se posa sur l'épaule de la dénommée Patience. Le jeune homme y reconnut Hector Adams, un de ses mécènes. Aussitôt, son air étonné se transforma en un sourire - faussement - ravi ( il détestait ce type ) et il lui serra la main. Il ne savait pas s'il devait se sentir rassuré ou attristé que cette fille soit accompagnée par quelqu'un d'important comme Hector. Il se mit à espérer que ce dernier boive un peu trop et oublie cette jeune fille un moment ... Mais il pourrait toujours utiliser certains de ses dons pour qu'il la laisse tranquille un moment. Hum, nous verrons cela ... Pour le moment, il se devait de jouer le jeu de la politesse.

- Hector, quelle joie de te revoir, le salua t'il dans un sourire.

- De même, mon cher. Je ne te présente pas à Patience ...

Sappho la regarda avec un sourire légèrement méfiant.

- Tu es en bien bonne compagnie ... Une conquête ? l'interrogea t'il avec un sourire amusé.

- Appelons ça comme ça ...

Il lui rendit un regard rempli de fausse joie et d'agacement, et se tourna vers Patience. Si elle était vraiment une conquête de ce pauvre type, elle n'allait pas passer une soirée fabuleuse à ses côtés ... Sappho détestait cet homme. Riche, mais pénible au possible. IL avait la fâcheuse habitude de se taper pas mal de jeunettes attirées par son compte en banque.

- Je me nomme Sappho. Cette galerie m'appartient, se présenta t'il rapidement.

Il indiqua du bout des doigts le buffet à son mécène, et quand il leur tourna le dos, il attrapa une coupe de champagne non loin de lui pour la tendre à la jeune femme.

- Passez une bonne soirée, Mlle Travers.

Certains auraient pû sentir le poids du cynisme dans ses mots ... Qui sous-entendait que si elle passait la soirée avec ce type, elle risquait de s'ennuyer. Mais passer une soirée avec Sappho n'était pas la meilleure des idées non plus, pour une personne bien pensante ...

Les doigts de cet homme qui l'accompagnait se crispère sur son épaule. Comme... Une mise en. Haha, comme si Patience allait écouter les mises en garde d'un mec qu'elle ne connaissait que depuis quelques dizaines de minutes. Elle esquissa un sourire ironique alors qu'ils parlaient d'elle comme une conquête. Elle serra les dents, et son regard brilla d'une lueur féroce. Elle n'est conquise par personne, c'est certain. Et surtout pas par Hector Adams.

Elle accepta la coupe de champagne avec un sourire plus poli, et grommela un " Je n'suis pas une conquête bordel ! " à peine audible. Toutefois, elle inclina la tête et remercia Sappho. Un passionné d'art donc... Elle le détailla à nouveau, rapidement, avant de détourner le regard pour le poser sur les oeuvres exposées.

- Merci beaucoup monsieur.

Un éclair illumina alors la pièce, et un grondement de tonnerre plus près que les autres fit sursauter la demoiselle. Non qu'elle ait peur des orages, mais qu'il soit tout près la surprenait. Surtout que l'éclair devait être tombé non loin, étant donné la forte luminosité qui a éclairé la salle. En sursautant, elle avant renversé du champagne sur son bustier. Elle grimaça, et s'adressa donc de nouveau à Sappho.

- Excusez-moi... Mais... Où sont les toilettes ? Il faut que je... Nettoie... Mon haut.

Autour d'elle, diverses dames bien nées avaient lâché des cris perçant lorsque le tonnerre avait grondé. Elle but une gorgée, pour éviter que ça se reproduise, et eut un sourire d'excuse. A ce moment, Hector revint avec quelques petits fours. Il en proposa à Patience. Elle secoua la tête, n'étant pas trop gâteau apéros.

Sappho l'entendit grommeler, et dissimula un sourire amusée. Elle n'était pas une conquête ? Soit, alors que venait-elle faire ici ? Il allait lui indiquer la porte des toilettes, quand Adams revint, les bras chargés de petits fours. Sappho lui fit comprendre qu'elle n'avait pas besoin de cela, et le mécène n'osa pas le contredire, faisant demi-tour avec un air agacé. Patience ... Un jour, je pourrais l'éjecter de ma vie, songea Sappho pour se rassurer. Si cette exposition faisait parler d'elle, il y avait de grandes chances pour qu'il puisse se passer de mécènes. L'argent de sa femme lui suffisait grandement. Il se retourna donc à nouveau vers Patience, avec un sourire au lèvres. Certes, un sourire peu rassurant pour ceux qui le connaissait, mais pour cette petite ...

Il lui fit signe de le suivre, et l'emmena dans la pièce qui lui servait de bureau. Il lui ouvrit une porte, sur le côté, qui contenait ce qu'elle cherchait, et fit un signe de tête pour lui indiquer qu'elle pouvait y aller. Pendant ce temps, il resta dans le bureau, tirant sur sa cigarette à intervalles presque régulières, et se permit un :

- Hector Adams est un con.

Il but une gorgée de champagne. Elle n'était pas une de ses "conquêtes", il en était persuadé.

- Mais si vous n'êtes pas une de ses conquêtes ... Que venez-vous faire ici ?

Il se retourna vers elle, l'air méfiant.

Elle commençait à regretter d'être venue ici avec Hector. En fait, elle aurait pu l'ignorer et continuer son chemin pour aller gambader sous la flotte encore un peu. Elle suivit Sappho en se maudissant d'être parfois si... Désinvolte. Frivole. Impulsive. Son regard se voilà alors. Colérique. Elle détestait ce pays. Elle détestait ses parents. Elle soupira. Et elle entreprit de passer un coton imbibé d'eau sur son haut, cherchant à enlever un maximum d'alcool. Elle lâcha un rire bref aux mots de l'homme.

- Oui. Un con fini.

Elle finit par essorer le bas de son haut -quelle phrase !- et rejoignit l'homme qui tenait la galerie. Un nouveau sourire passa sur ses lèvres. Ironique.

- Disons... Que je recherchais de la distraction. Et Hector s'est présenté à ce moment-là en bavant à propos d'une expo' où il aurait encore plus de succès au bras d'une charmante jeune femme...

Elle se tut, réfléchissant un instant, et rajouta :

- Je suppose qu'il comptait me mettre dans son lit après. Vaines illusions.

Elle se posa sur le bureau, légèrement, avant d'observer Sappho.

- Merci.. Pour m'avoir permis de détacher mon haut avant qu'il ne soit trop tard...

Un sourire passa sur ses lèvres, tandis qu'il l'écoutait parler tout en la suivant des yeux. Elle parlait avec la désinvolture des adolescentes ... Une sorte d'insouciance qu'il trouvait touchante, parce que tellement simple à manipuler. Il accordait un repos à ses pouvoirs mentaux, en ce moment ... Parce qu'il ne croisait quasiment que des adolescentes. Et qu'il ne devait pas décharger énormément de puissance pour qu'elle fasse comme bon lui semble. Il accueillit sa dernière remarque avec un sourire, et jongla avec sa cigarette, la faisant glisser entre ses doigts agiles.

Sappho ne put s'empêcher de plisser les yeux, joueur.

- Hector veut mettre beaucoup de jeunes filles dans son lit ...

Un sourire, presque de défi.

- ... Alors qu'il n'est même pas digne qu'une jeune femme s'allonge à ses côtés un instant.

Une gorgée d'alcool lui réchauffa la gorge, tandis qu'il la dévisageait un moment, la regardant presque de haut. Sappho était un peu plus grand qu'elle, une situation qu'il trouvait ... enviable. Combien de degré de défi passait dans son ton, son regard ? En accusant Hector d'être un mauvais coup, il sous-entendait presque qu'il n'était pas dans cette catégorie. Non, pas presque ... Il le sous-entendait clairement. Il se souvenait qu'un jour, il avait mit dans son lit une des amie de Sappho. Les retours n'avaient pas été fabuleux ...

Une bouffée de tabac, à nouveau. Une bouffée presque salvatrice ...