Le soleil était haut dans le ciel lorsque la frêle Aliénor Ness a quitté le dernier village de terranides qui l'hébergeait. Son pas léger et aérien touchait à peine le sol alors qu'elle entamait une folle course pour s'éloigner des quelques masures délabrées et de l'odeur de pourriture qui commençait à s'élever. Le casque soyeux de sa chevelure volait au vent et ses yeux de Saphir étincelaient sous les rayons brûlant du soleil, la forçant à plisser les yeux. L'inconvénient de ces yeux de Saphir, c'est que parfois c'est aussi clair et perçant qu'un oeil d'aigle, mais que le soleil l'éblouie facilement et qu'elle ne voit quasiment rien s'il n'y a aucun rayon de lumière pour éclairer une pièce obscure. En l'occurence, là, le soleil l'éblouissait un peu trop. Mais, courant toujours, elle s'en fichait.
Elle ne s'arrêta que deux heures plus tard, à l'ombre d'un rocher. Son souffle était court, et sa poitrine se soulevait difficilement alors qu'elle se laissait glisser le long du rocher. Elle portait une de ces robes qui épousent la silhouette, donc le décolleté carré donne un aperçu de la poitrine de sa porteuse et dont la jupe ample permettait de se mouvoir selon son gré. La couleur anthracite du tissu lui permettait de ne pas trop souffrir de la chaleur acablante, mais tout de même, des perles de sueur commençaient à apparaître sur son front. Elle était épuisée à vrai dire. Elle n'avait pas dormi de la nuit, et avait passé une partie de la matinée à entasser les divers corps de Terranides au centre du village pour ne pas trop encombrer les rues. Tout ce qu'elle avait pu amasser comme richesse avait été envoyé au port d'où elle venait avec trois chevaux. Le petit cocher, un terranide chat, était avec elle depuis suffisemment de temps pour savoir qu'il ne valait mieux pas la trahir, et elle était certaine de l'arrivée à bon port de son trésor ainsi.
Elle tourna la tête en gémissant silencieusement. Elle s'était prise un coup de sabot au début des combats, et ça faisait un mal de chien. Tout comme les diverses estafilades qui parcouraient ses bras et son bas-ventre, résultat des griffes ou de lames effilées. Après tout, commettre un massacre n'est pas sans risque. Soufflant un bon coup, elle ferma les yeux et décida d'une petite sieste.
Le sommeil ne tarda pas à la prendre, et c'est avec délice qu'elle se plongeait dans les flots déchaînés d'une nuit de tempête, il y a quelques siècles de cela. Une de ces nuits où elle était confinée dans la cabine du Capitaine Eric, sanguinaire pirate mais diablement tentateur, qui avait fait d'elle sa captive. En ce temps-là, elle résistait toujours aux avances du ténébreux brun dont les yeux de braise semblaient incandescents lorsqu'il la regardait. Il était vraiment bien fait de sa personne, et conscient de ce fait. Il était diaboliquement rusé, et trouvait toujours le moyen de l'amener à faire quelque chose qu'elle ne voulait pas, par charme ou par chantage. Un sacré bougre, courageux comme pas deux, mais également égoïste et calculateur. Et dire qu'au départ, Aliénor le détestait et ne perdait pas une occasion de l'affronter, duel de mots, ou bien lutte physique. Et elle était finalement devenue plus proche delui, elle s'était attachée. Et maintenant, la voilà à nouveau solitaire.