Alana s'épongea le front. Le four avait fait monter crescendo la température de la cuisine, de ce fait elle ne s'était aperçue que trop tard qu'il faisait une chaleur à mourir. Dans le four? Des canards et des cygnes. De la volaille, fraîche. Le four devait être très chaud, pour que la peau des gallinacés dore mais que l'intérieur soit tendre et surtout qu'il ne soit pas sec. Du reste, Alana avait choisi des créatures suffisamment grasses pour qu'elle soit certaine d'avoir une sauce bien onctueuse et généreuse pour les accompagner. Cela dit, si elle ne faisait pas très vite descendre la température ambiante de la cuisine, tous les autres mets allaient être perdus: les salades allaient cuir, les fruits pourrir... Quoique toute cette chaleur lui donna une idée. Mais d'abord...
La prêtresse laissa au sol la serpillère qu'elle passait, agenouillée, quelques instants auparavant et se releva, passant rapidement son avant bras sur son front, qui se retrouva marqué d'une ligne noire, et ouvrit la fenêtre. Par chance, dehors il faisait particulièrement frais. Le vent même lui claqua au visage lorsqu'elle sortit son visage, et elle s'estima heureuse d'avoir attaché ses cheveux au préalable, il y avait fort à parier qu'elle les aurait retrouvés emmêlés dans le meilleur des cas, dans sa figure dans le pire, mais que dans tous ils l'auraient gênée.
La prêtresse profita de l'occasion qu'elle avait d'être debout pour s'appuyer contre la fenêtre et, respirer à pleins poumons d'une part, prendre une petite pause de l'autre. Depuis le matin, elle n'avait pas arrêté. Être au four et au moulin... En l'occurrence, c'était plutôt être au four et dans les alcôves, qu'il fallait entretenir... Une alcôve c'était un endroit intime, et encore le lieu privilégié par les prêtresses pour honorer leur Déité. C'était pour cette raison qu'il fallait qu'elles restes nickel, les couvertures saines, propres et fraîches, les matelas rehaussés, les coussins frappés... Il fallait recréer des ambiances d'intimité que pourraient apporter des chambres à coucher. Et renouveler les charmes d'isolation sonore... Enfin, tout cela était fait et la rouquine n'avait plus à se tourmenter pour cela.
C'est donc de bonne humeur, avec une vivacité retrouvée, qu'elle se servit un verre d'eau et l'engloutit littéralement avant de se remettre au travail. Elle comptait faire une tarte à la banane, mais d'une façon nouvelle qu'elle espérait bonne... Mais Alana était intelligente, et si elle se plantait, elle se plantait mais elle apprendrait de ses erreurs! L'important, c'était d'avancer! Parce que quand on avançait pas, on stagnait. Et dans un monde où tout évolue et progresse, faire du surplace revenait à régresser. Et ça, il en était absolument hors de question. Donc, la prêtresse se mit au travail.
Combien de bananes elle pela, elle l'ignorait. Ce qui était sûr, c'était qu'elle avait fait une dizaine de tartes. D'abord, les bananes avaient été épluchées. Puis, elle les avait coupées en morceaux et faites revenir, juste dorer dans un plat en métal. L'intérieur était juste mou, le dessus doré. La cuisson avait l'air bonne. Elle disposa ensuite les rondelles coupées sur une pâte brisée d'une façon esthétique, les avait saupoudrées de sucre et les avait recouvertes de crème. Quelques minutes au four, et c'était prêt... Bon, le jugement viendrait plus tard. Advienne que pourra, non?
Après ses tartes, Alana n'avait plus grand chose à faire. Redisposer de manière à ce que ça fasse joli les ailes des cygnes qu'elle avait cuits, mettre tout autour des tomates fraîches découpées en roses (une fois qu'on avait le coup de main, ça allait tout seul!), et apporter tous les plats là où devaient être déposées les offrandes pour la déesse des Dieux. Pour les tartes par contre, c'était une commande de groupe. Un don qu'elle se permettait de faire pour les autres Dieux, pas grand chose en somme, mais étant donné qu'ils étaient tous des parties d'Aphrodite, Alana estimait que c'était la moindre des choses à faire.
Une fois que tout fût arrangé, et chaque chose mise à sa place, Alana put laver et ranger rapidement ses ustensiles de cuisine et aller prendre une douche dans ses petits appartements, raccordés au temple.
A peine avait-elle passé la porte de son chez elle qu'elle ôta sa robe en deux coups de cuillère à pot et fila dans le petit coin qui servait de salle de bain, se versant une grande jatte d'eau sur le corps. Elle mit de l'eau partout évidemment, mais c'était un peu le but. Bon, le but premier était qu'elle se rafraîchisse, il fut atteint soit dit en passant, mais chipoter pour quelques gouttes d'eau ici ou là n'était pas vraiment dans ses habitudes. Du reste, l'eau s'évaporait vite, alors à quoi bon pester?
Tranquillement, la prêtresse prit son temps et démêla sa longue et fournie tignasse rousse, puis enfila une robe saillante, propre et fraîche. Une toge simple, mais efficace. Près du corps, coupée dans un drap simple et blanc, de petits boutons retenaient les deux pans de tissus qui constituaient les manches en laissant sa peau visible régulièrement par des zones en forme de pétale de marguerite. Si la toge était longue et tombait si bas qu'elle devait en tenir le pan de devant pour ne pas marcher dessus, elle lui faisait un décolleté appréciable, sans être vulgaire pour autant. Disons simplement qu'Alana était comme elle concevait que devait l'être une prêtresse: sensuelle sans être exhibitionniste.
Par coquetterie, elle remonta aussi une petite mèche de ses cheveux sur le côté, et y coinça quelques fleurs sauvages prises dans un vase de sa chambre. Elles n'allaient pas tarder à se faner, autant en profiter tant qu'elles étaient encore belles. Ainsi parée, la jeune femme se dirigea dans la salle centrale, la plus grande du temple, celle où était la plus imposante des statues d'Aphrodite. En quelques minutes, elle avait allumé plusieurs encensoirs. Rapidement, avec un pied des plus lestes, elle fit le tour de la salle et remit de l'ordre là où il y en avait besoin: redresser tel vasque, changer l'eau de telles fleurs etc. Quand l'environnement fut propret, enfin peut-être pas propret mais plutôt... Soigné, Alana s'agenouilla, comme tous les jours, à une dizaine de mètres de la statue de la déesse et posa ses fesses sur ses talons, baissa la tête en signe de soumission et ferma les yeux alors que ses mains se joignirent. Et comme tous les jours, elle pria pour Aphrodite. Sa grandeur, sa pérennité, sa puissance, sa beauté et ses plaisirs.
"S'il est vrai que le ciel est bleu, autant que vos yeux
Que vos agréments se comptent par centaines et soient fabuleux.
S'il est vrai que les blés sont blonds, autant que votre chevelure,
Que votre monde connaisse soit à jamais prospère et pur.
S'il est vrai que les roses sont rouges, autant que vos lèvres,
Que jamais je ne vienne à m'éveiller de ce rêve."
Et c'est ainsi qu'elle terminait sa psalmodie, et qu'elle la recommençait. De nombreuses fois. Parfois, elle se levait et allait rallumer de l'encens, chantonnant avec allégresse ces petites rimes, qui n'avaient pas été très difficiles à trouver mais qu'elle trouvait assez expressives de ses désirs et espoirs concernant sa vie et sa Déité. Après tout, les choses les plus simples sont les meilleures non?