Le temps s'écoulait, morne et vide. Et Terpsichore n'avait plus connu que peu d'occasions de s'amuser. Les artistes, les vrais, se faisaient particulièrement rares en ces temps troublés, où le n'importe-quoi règne en maître. Les gens savent de moins en moins apprécier les oeuvres d'art, et certaines de ses plus belles inspirations, chorégraphies magnifiques, hautes en couleurs et très vives ont toutes été perdues... Quel dommage... Ne lui restent que les oeuvres de ses soeurs, comme la Joconde ou encore la Cinquième Symphonie de Beethoven... Quelle ingratitude que d'être la muse d'un art, sans doute le seul, qui ne puisse durer éternellement! Après tout, les mouvements du corps ne peuvent se garder dans une cage... Enfin...
Ses soeurs s'étant perdues dans la nature, Terpsichore pouvait se vanter, elle, de ne point chômer. Aussi parcourait-elle l'école, invisible aux yeux des vivants, légère comme une plume, plus encore même qu'une plume, et facétieuse. Ce qu'elle cherchait? L'âme d'un artiste. Triste invention que l'école... Elle cloître les esprits brillants dans des moules! Comme si savoir que tel général a gagné telle bataille pourrait servir à un poète... Un poète peut réinventer l'histoire, mais n'est certainement pas fait pour l'apprendre par coeur! Il est fait pour la faire revivre et non pas pour la coucher sans âme sur un morceau de papier... Souvent, on reconnaît allègrement les artistes. Ce sont des marginaux, le nez en l'air souvent ou en train de dessiner sur un coin de table. Peut-être en train de rêvasser aussi... De son oeil aiguisé, Terpsichore chercha, dans toutes les salles... En vain. Ne lui restait que la bibliothèque. Seul espoir pour sauver cette journée ainsi que la jeunesse de cette ville... Forcément, un artiste devait se cacher par ici...
Peut-être qu'une brève apparition stimulerait les esprits et les obligerait à se révéler?
Légère, ondulante comme le vent, Terpsichore prit un peu de consistance. Le temps d'un instant, tout juste assez long pour que sa silhouette gracile et toute en attraits soit visible, puis elle disparu de nouveau, telle un nuage de poussière dissipé par le vent. Ne restait, de l'endroit où elle était apparue, que quelques paillettes vite éparpillées. C'est sur une table qu'elle s'était retrouvée debout, les draps en tulle transparents, rendus opaques uniquement aux endroits que la bienséance exigeait, ces derniers d'une couleur blanche, dorée ou orangée s'accordaient parfaitement avec le blanc aux reflets miel des cheveux de la Muse.
Elle n'avait plus qu'à attendre désormais.