Nul ne pourrait dire que Serenos, dont l’histoire se rappelle encore le stoïcisme que nos lecteurs ont l’habitude d’attribuer aux hommes justes et bons, n’avait pas également ses failles. Devant Olympe, simple putain des rues d’une Ville au nom oublié, le Roi n’était plus Roi. Il n’était plus souverain, il n’était plus soldat, et encore moins était-il noble. Alors que le jupon de la courtisane, qu’il ignorait être une courtisane, se soulevait et que ses cuisses devenaient son nouveau siège, il restait bluffé, comme le jeune homme mené pour la première fois aux soins d’une fille de la Terre. Il n’était qu’un homme, et un homme dont les yeux et le cœur, parfois, s’égaraient au gré tumultueux des rencontres.
Sa voix, comme le miel, faisait couler ses mots au creux de son oreille, poussant sa plaisanterie un peu plus loin, mais le Roi, bon joueur, ne s’en offusqua pas. Il n’y avait, dans cette personne qui siégeait sur lui, aucune malice, et ses sens, tout surnaturels qu’ils étaient, ne détectaient aucune intention malveillante, et donc, il ne s’en offusqua pas.
Le premier baiser échangé entre le Roi de Meisa et la fille des villes était une chose qui, dans son intensité, s’apparentait à de la magie, car comme nos lecteurs le savent, Serenos de Meisa, depuis fort longtemps à cette époque, conservait précieusement ses baisers comme ses attentions. La bouche d’Olympe vint à la sienne avec la fraicheur du fruit interdit, ainsi que son allure et son charme. Serenos savait qu’il se laissait gagner, et il lui était maintenant fort difficile de se faire violence, car maintenant, c’était entre les mains de la petite femme que reposait tout le contrôle de la situation. Et cela ne l’effrayait pas du tout. De fait, il n’avait pas envie de se faire violence. Bien au contraire. Il voulait être ici, là, maintenant.
– Est-ce que vous m’en voudriez ? A moi de demander...est-ce que vous êtes offusqué ? Pensez-vous... que je le sois par votre requête ?
Les grandes mains du Roi se posèrent enfin sur les hanches rondes et délicates de la princesse des villes, guidé par celles, douces et élégantes, de celle-ci. Il était de ces hommes qui, lorsque l’opportunité de goûter, ne serait-ce que pour une nuit, aux fruits sucrés du bonheur, oubliait même où il était. Il en oubliait l’odeur du hashish fumé dans les tentures voisines, les rires enivrés par les vapeurs et les vins forts, les gémissements et les soupirs qui appelaient à l’un des participants les caresses de l’autre. En ce moment, Serenos n’avait qu’un seul et unique objet pour son écoute, sa vue, son goût, son toucher et son odorat ; il n’y avait qu’Olympe, et le tissu qui, dans sa cruelle indifférence, les maintenait épart l’un de l’autre.
Il dût faire appel à toute sa raison, toute sa volonté, pour répondre à une question pourtant si simple.
– Offusqué, vous dites, Olympe ? Je ne me sens même pas la force de m’insurger, encore moins de m’enflammer, sinon de désir, de colère. Si votre baiser est, à vous, le geste d’un acquiescement, alors, permettez-moi de baiser vos lèvres, encore et encore, car je ne saurais m’offusquer de vous.
Venant de Serenos, ces paroles pouvaient sembler un brin naïves, et l’on pourrait se tromper et le croire un simple homme, dirigé par ses pulsions, comme tous les autres ; les demiurges qui les ont mis sur Terra, ou du moins qui ont peuplé celle-ci de leurs prédécesseurs, les avait fait ainsi, après tout. Mais Serenos était, ou du moins se croyait, d’une nature toute autre. Dans les bras d’Olympe, dans son geste comme dans ses yeux, il ne voyait pas une femme cupide, stupide ou fourbe, mais une dame, élégante, chaleureuse, douce et, pour la première fois depuis fort longtemps, qui n’avait pour lui aucun intérêt autre que celui d’une femme pour un homme. Pas de titre, pas de statut, pas d’argent ou même de privilège ; simplement le bonheur d’être seule, avec lui, et à ce sentiment trop étranger depuis qu’il avait, pour la première fois, prit le titre de Roi, il n’était que des plus réceptifs.
Les lèvres du Roi vinrent, à leur tour, se poser sur les lèvres d’Olympe, comme toute réponse à sa question ; il ne désirait plus réellement le vin, car il avait, sur lui, une drogue plus puissante encore que l’alcool ou le hashish que leurs voisins consommaient, et alors qu’il l’attirait plus près encore, pressant le corps de la jeune femme contre le sien, sa main droite grimpa jusqu’au centre de son dos, alors que l’autre, grimpant plus haut, se faufila dans sa chevelure noire comme la nuit, venant délicatement y glisser les doigts, et dans cette étreinte voluptueuse, Serenos abandonnait les faux semblants et leur statut ; dans l’ombre de cette tente, il ne voulait qu’être Serenos, et qu’elle soit Olympe.
Le baiser se brisa, forcément à regret pour le Roi, mais il ne s’arrêta pas là. Il vint à l’assaut de sa joue, de sa mâchoire, et de son cou, qu’il gratifia de quelques baisers délicats, et sensuels.
Il s’arrêta après un moment, se rendant compte qu’il se perdait de nouveau dans son désir ; une fille de la Terre l’aurait gentiment rabroué de ses rustres manières ; une femme n’était pas un buffet qu’un homme se pouvait de dévorer. Elle était une pêche juteuse qu’on se devait de déguster et d’apprécier à sa juste valeur.
Il recula doucement, et s’adossa aux coussins moelleux, avant de lever les yeux vers Olympe, et de lui sourire doucement, avec un air navré.
– Pardonne mon… enthousiasme, Olympe, dit-il sur un ton fort plus… camarade que précédemment, abandonnant le vouvoiement qui avait ponctué leurs phrases jusqu’à maintenant pour se rabattre sur les termes plus complices de la familiarité. Le voyage et la sauvagerie des grandes routes semblent pas avoir creusé que mon appétit pour la bonne chaire et le bon vin, et voilà trop longtemps que je n’ai pas eu à contenir mes élans.
La main qu’il gardait dans ses cheveux se décala doucement et vint plutôt caresser la joue de la demoiselle, son pouce effleurant avec tendresse la haute pommette de cette femme qu’il connaissait si peu, mais qu’il voudrait connaître davantage.
Il s’approcha de nouveau, mais cette fois, il contint ses élans, et il vint de nouveau l’embrasser, tendrement. Puis encore. Et encore une fois. Et une dernière fois. La bouche d’Olympe, aussi douce que le miel et bien plus savoureuse, épousait si bien la sienne qu’elle lui semblait presque avoir été modelée pour lui. Une arrogance, assurément, car Olympe n’appartient qu’à Olympe, et que nul ne pouvait prétendre qu’elle avait été créé pour assouvir ses désirs, mais il y avait quelque chose, dans ce corps, dans cette âme, qui faisait enfler son cœur et embrasait son corps.