Blanchefeuille n’est pas un grand royaume comparé à tous ses voisins. Mais le nom évoque suffisamment de richesse et de puissance militaire pour apparaître sur les cartes du monde, pas loin de Nexus. Un petit royaume autarcique rempli d’elfes, de quoi attirer les mercenaires et autres esclavagistes. C’est pour cela que Lenora s’est assurée d’avoir une armée puissante, et qu’elle entraine sans relâche sa cavalerie. Blanchefeuille comporte une dizaine de grandes villes éparpillées dans une forêt géante, dont les arbres les plus petits mesurent déjà une centaine de mètres de haut. Certains villages sont taillés à même les arbres et faits de ponts suspendus, d’autres encore ont opté pour des murailles encore plus grandes que les chênes et ont bâti leurs édifices à même le sol. La forêt principale est entourée de plaines à perte de vue, jonchées par des postes de commandement qui servent à assurer la protection du val. Du coup, il est difficile pour des étrangers de rejoindre les bois et de pénétrer dans le cœur de Blanchefeuille. La frontière est défendue avec violence. Mais si cette configuration est suffisante pour mener une vie en totale indépendance, elle n’offre pas les conforts que recherchent les citoyens les plus demandeurs de denrées lointaines. C’est pourquoi Lenora et sa cavalerie se chargent personnellement d’accueillir les marchands et convois de marchandises que le royaume accepte à de rares occasions. On les voyait arriver de loin et dans un grand vacarme de galops.
-Halte.
Lenora descend de son cheval. Elle porte une armure d’argent, richement décorée et rappelant la tendance de son peuple à toujours exagérer leurs ornements, emblèmes et blasons. Mais malgré l’épaisse cuirasse, elle ne porte pas de casque pour être bien reconnaissable aux yeux de tous, ce qui n’est pas le cas de ses hommes, couverts de la tête aux pieds sur leurs grands chevaux blancs. Toute cette troupe est peut-être aussi rassurante qu’angoissante, lances à la main, regards figés sur Olympe et les quelques âmes qui l’accompagnaient. Lenora observe les inconnus l’espace de quelques secondes, puis tend sa main en l’air et ferme le poing. Les lances de ses soldats s’abaissent en réponse. Elle enchaine quelques gestes cryptiques, et la cavalerie se range aux cotés du convoi, faisant office d’escorte.
-Je suis Lenora, troisième princesse de Blanchefeuille. Nous vous attendions avec impatience.
Un sourire nait enfin sur les lèvres de l’elfe. Elle sait qu’elle peut parfois paraître trop sérieuse. Même ses hommes la taquinent sur ce point. Elle trouve les humains plus émotifs que ses confrères, et comprend l’importance de les rassurer. Elle s’adresse à l’ensemble de la troupe plutôt qu’à une personne en particulier, même si ses yeux furètent la recherche de son interlocutrice.
-J’espère que vous avez fait bonne route, et que nos accommodations seront à votre goût.
Elle regarde le convoi de marchandise, essayant d’identifier celle dont on lui a parlé. Elle n’a aucun doute possible quand son regard croise celui d’Olympe. Voilà une humaine qui ressemble à la description que faisait la lettre. Elle a du charme, une prestance qu’une princesse comme Lenora sait respecter. La princesse s’avance. Elle dépasse les quelques humains du convoi pour tendre sa main à la représentante attitrée de celle qu’on appelle « Mère ». La plupart de ceux qui accompagnent Olympe se séparent du convoi, prêt à reprendre le chemin après avoir accompli leur bonne action. Blanchefeuille a cruellement besoin des plantes que transporte cette délégation, mais cela n’a aucune influence sur les manières dont Lenora fait preuve. Elle a pour cause de ne jamais manquer de respect à un invité, quelle que soit sa race ou ses idéologies. Sa poigne est ferme sans exagération ou démonstration de force mal placée. Son sourire est sincère, agréable, autant que celui d’Olympe. Cette humaine lui inspire confiance.
-Permettez que je chevauche à vos côtés.
Il n’est pas commun que la figure de la cavalerie soit au milieu du convoi, mais Lenora souhaite pouvoir répondre aux moindres questions. Les invités s’inquiètent souvent de voir une centaine de soldats accompagner leur convoi, se demandent si un temps de guerre ou des menaces extérieures justifient un tel déplacement. En fait, c’est simplement la culture militaire de Blanchefeuille à l’œuvre. Fidèle à ses paroles, la princesse chevauche au niveau de la calèche, son canasson suivant la vitesse de ceux d’Olympe.
-Je n’ai jamais visité La Ville, mais mon frère en a fait mention à maintes reprises. J’ai cru comprendre qu’il y avait dépensé deux mois de rente en quelques jours. Qu’y fait-on de si onéreux ?
Lenora rit. Un rire cristallin malgré sa carrure, aussi doux que sa voix l’est toujours. La princesse n’est pas sans ignorer le goût de son frère pour les humaines. Elle comprend plus ou moins la nature de « La Ville », sans réellement trop savoir à quel point les rumeurs sont fondées. C’était ce fameux frère qui avait fait découvrir les plantes aux propriétés fabuleuses de La Ville, à toute la cour de Blanchefeuille. Le chemin est long jusqu’à la ville de Blanchefeuille, éponyme du royaume entier. Elle a été bâtie à même le sol, resplendissante de blancs et dorés comme le doit-être une capitale. Un moment fertile pour les conversations.
