La claque sonore, puis l’appel dont Enothis elle-même n’avait pas la pleine conscience … Autant de choses qui purent, à un instant, briser la sérénité béate du jeune homme, le ramener à la raison, pour le meilleur. Quand Enothis vit les pupilles de Kaïto reprendre une teinte normale, et par là, elle entendait qu’il ne semblait plus mirer un abîme inconnu, un vide sans nom qui laissait entendre qu’il était en effet sous l’emprise de quelques influences, elle ne s’en sentit que joie. Cela ne les obligeaient pas à s’en sortir, mais au moins, elle savait que dans cette situation, ils avaient un peu plus de chance de pouvoir s’échapper, alors que jusqu’ici la situation était parfaitement irrémédiable. Elle le sentit se redresser un peu, et déjà le poids sur sa poitrine se réduisant drastiquement, elle se sentit enfin la capacité de respirer, et d’observer l’ensemble de la situation d’un œil nouveau, sans perdre de force dans une lutte qu’elle ne pourrait … pas gagner au vu de la différence de gabarit entre elle et son aîné. Clairement, l’évolution des événements ne convenait pas du tout à l’entité qui avait manquée de peu de faire du jeune adulte son pantin, et les gargouillis rageurs de celle-ci, non sans parler des volutes maladroites et obscènes de ses appendices, ne laissaient clairement aucun doute sur ses intentions futures. Il n’avait plus le temps, ni de parler, ni de craindre pour leur vie. Il se devait de fuir, et Enothis voulut se remettre sur ses jambes quand elle sentit enfin toute l’infinie faiblesse dans laquelle elle se trouvait. Si son esprit avait survécut aux attaques de l’entité, son corps lui s’était abandonné aux effluves : Ses jambes ne répondaient pas à ses appels, ni même ses bras qui peinait à la tirer du sol.
Soudainement, l’envie de se laisser à la panique manqua prendre le dessus. Du moins, avant qu’un autre événement ne la prenne de court :
Alors même qu’elle s’efforçait de faire quelques mouvements pour opérer une fuite malhabile, elle se sentit soudainement tirée du sol par son aîné. Manquant de peu de partir en arrière à cause de la vivacité du mouvement, elle battit des bras maladroitement, les joues relativement rose de la surprise et de l’audace de son compagnon, avant de redresser ses yeux en sa direction, observant alors la mine sérieuse et décidé du damoiseau, visiblement prêt à tout pour réparer sa précédente erreur. Ou alors se faisait-elle des films, et cherchait-il simplement à l’impressionner ? Visiblement, tout du moins de tout ce qu’elle avait observée jusqu’ici, ce n’était pas vraiment le style de ce senpaï, plutôt d’un naturel réservé. Cela ne rendait l’initiative que plus charmante, suffisamment d’ailleurs pour qu’elle fasse elle-même un effort, et qu’elle cherche à assurer sa prise autour du cou de Kaïto, lui évitant ainsi de porter le pire des fardeaux en direction de la sortie. Ne manquerait plus qu’elle ne soit qu’un poids mort qui viendrait réduire leurs chances de s’échapper de ce traquenard ! Non, elle fit simplement ce qu’elle pouvait faire, à la hauteur de ses forces. Elle le sentit, plein de détermination, s’élancer en direction de la porte tandis que les volutes noirâtre de la chose cherchait encore et encore à prendre le contrôle, à l’envelopper de ses promesses trompeuses, à l’arracher à son bon-sens pour lui offrir l’occasion la plus délectable de se jeter sur la jeune femme affaiblie qu’il tenait entre ses bras. Incapable de faire plus, Enothis ne fit juste pas de commentaires, se laissa transporter malgré tout, le serrant contre elle de manière à lui signifier qu’elle était d’accord et agréait pleinement à son acte héroïque. Après tout, peut-être avait-il simplement besoin de cela pour trouver les dernières forces qui l’éloignerait de la vile forme de vie trompeuse ?
Dès qu’ils passèrent enfin la porte des vestiaire, toute la pression mystique qu’ils portaient sur leurs épaules sembla soudainement les abandonner. Ce fut comme si soudainement une chape de plomb venait de glisser de leurs épaules pour s’effondrer avec fracas sur le sol dallé, l’égyptienne en manquant même de couiner de surprise. Mais avaient-ils vraiment le temps d’en profiter ? En tout cas, Kaïto se retrouva à la poser au sol, et sincèrement, Enothis ne put que le comprendre au vu de l’effort titanesque qu’il venait de fournir. Elle n’en aurait pas été capable, et même si elle était désormais bien moins limité par leur incompréhensible adversaire, elle gardait encore les stigmates de son état précédent, ses jambes tremblant légèrement sous son propre poids. Elle se redressa pour observer son aîné. Il avait le souffle court, les joues cramoisies, et ses tempes étaient constellés de gouttes de sueur, laissant entendre l’intense pression mentale et physique dont il avait fait l’objet lors de son pas de course héroïque. Et lui se redressa d’un coup, planta ses yeux dans les siens, l’observant avec une telle insistance qu’elle manqua détourner le regard de gêne. Kaïto-senpaï, ce n’est pas gentil du tout de dévisager une jeune fille comme ça !
« ... Enothis … Ça va toi? Tu ... je ... Qu'est-ce qu'il se passe enfin ? Qui es-tu ? Qui êtes-vous ?
- Je …. Je vais tout t’expliquer maiiiiis… »
Elle s’était résolue à lui expliquer tout ça, mais … Mais là n’était pas le moment, et que ce soit par le tremblement dans sa voix, ou son air inquiet, voire même une simple réflexion personnelle, il fut visiblement tout aussi clair pour le jeune adulte qu’il ne pouvait décemment se croire désormais en sécurité. Alors elle le sentit lui attraper la main. Elle sursauta, mais n’eut pas le temps de chercher un moyen de dissimuler son émoi qu’elle se trouva à l’accompagner dans la fuite la plus hâtive qu’ils n’avaient sûrement jamais connu. Les couloirs défilèrent sous leurs pas, puis ce furent les halls, les portes des salles de classes, les escaliers, le tout en une masse flou qui ne manqua pas de rappeler un peu le danger imminent qui était peut-être encore à leur trousse. Mais finalement, ils s’échappèrent de l’établissement. Ils retrouvèrent les grands espaces sans murs ni plafond, profitèrent de l’air frais pour pouvoir enfin se permettre de respirer à plein poumon, et continuèrent leurs course, désormais bien moins vive, les deux étant de toutes manières bien trop fatigués pour continuer le marathon qu’ils avaient entrepris, mais suffisamment pour s’assurer de ne plus jamais rencontrer le cauchemar qu’ils avaient vécus. A courir dans la ville, main dans la main, ils attiraient assurément les regards des autres, passants, étudiants et femmes aux foyers attendries. L’égyptienne n’en avait cure, ils s’enfuyaient pour leur propre survie, pour se sentir en sécurité, et quelques propos amusés sur leur audace de jeune couple n’aurait clairement pas la capacité de la faire douter de son comportement immédiat.
Un court dérapage maladroit, Enothis qui manqua trébucher en avant, et ce fut le signal qu’il était désormais temps qu’ils cessent de fuir le démon. Si la jeune femme n’avait pas du tout prit le temps de chercher par où ils s’étaient échappés, elle ne manqua pas de remarquer qu’ils étaient désormais dans un large espace vert, l’un des grands jardins de Seïkusu, milieu agréable où se balade les jeunes couples, les groupes de potes, et les parents heureux avec leurs mômes en plein éveil. Un lieu sain, calme…. Parfait pour qu’enfin ils puissent s’arrêter. L’allée sur laquelle ils se trouvaient bordait une longue rangée d’arbres ancestraux, des centenaires aux troncs noueux et au feuillage épais… Parfait pour avoir un peu d’ombre et d’enfin détendre ces muscles qui fonctionnaient à plein régime depuis plus de deux dizaines de minutes. Éreintés, le corps hurlant, Enothis se laissa faire quelques pas mollassons et maladroits en direction d’un banc, et Kaïto sembla faire de même, les deux s’y écroulant lourdement, produisant un long et bruyant soupir à l’unisson. Grand dieu, ils s’en étaient sorties ! La simple idée de ne plus se trouver dans un tel danger perpétuel valait à lui seul son petit pesant d’or. Ils avaient survécus à cet enfer ésotérique ! La belle jeune femme à la peau ambrée se laissa simplement récupérer, son corps épuisé et son esprit à bout lui faisant tourner légèrement la tête. Et tandis qu’elle récupérait, elle entendit Kaïto se mettre à parler, tant et si bien qu’elle se redressa respectueusement pour l’écouter :
« Je pense qu'il est temps que l'on se parle sans rien se cacher Enothis. Pour ma part, j'ai été très honnête avec toi depuis le début. J'ai sûrement été maladroit je te l'accorde et m'en excuse encore une fois. Je comprends aussi qu'a un certain moment je n'ai pas été moi-même et je ne sais pas pourquoi. Je compte sur toi pour m'éclairer. Ce qu'il s'est passé n'est pas de mon fait je te l'assure. Maintenant, je t'en veux ... je vous en veux un peu car ton ... alter ego n'avait pas à me traiter de la sorte. Si elle est si forte, elle pouvait savoir que j'étais honnête mais bon ... non, en fait je ne vous en veux pas, tout est arrivé si vite pour nous. L'essentiel est tu ailles bien. Bon ... que vous deux alliez bien. Tu veux bien m'expliquer qui tu es? Et ce qui nous est arrivé s'il te plaît? Et puis ... Enothis, il faut que je t'avoue que j'ai beaucoup d'affection pour toi.
- Je ... »
Tant de choses, et tant d’éléments auxquels répondre. Finalement, elle en fut tellement gênée qu’elle commença par agir avec un ton un peu taquin, cherchant à ironiser sur la situation tout en prenant une voix un peu enfantine, comme si elle se trouvait être une de ces « lolis » dans l’un de ces dessins animés typiquement japonais :
« Dis doooooonc Senpaï, c’est vilain de me dire tout ça après avoir voulu m’arracher ma tenue afin de me faire gémir avec ton gros instrument ! »
C’est à peine si elle ne gesticula pas en même temps en écrasant ses seins entre ses deux avant-bras pour les mettre en valeur. Mais elle ne laissa pas l’amusement et la dérision s’installer. Juste après ce propos, meilleur moyen qu’elle avait eut pour esquiver les dernières paroles de Kaïto dont le sens la gênait encore bien trop pour qu’elle se sente d’y rebondir, elle reprit un air sérieux, ses sourcils se fronçant légèrement tandis qu’elle quitta Kaïto du regard, observant le petit chemin de terre battue à leur pied. Oui, elle s’était décidée à lui avouer les grandes lignes de sa vie, après tout le summum d’étrangeté avait été atteint bien avant et de lui expliquer son propre cas n’était plus qu’une affaire de confiance… Confiance qu’il avait largement gagnée lors de la dernière demi-heure au vue des efforts herculéens qu’il avait fournit pour les tirer du bourbier. Aussi ramena-t-elle ses jambes de manière à s’installer en tailleur, une position qui lui était à la fois naturelle et rassurante, puis tourna-t-elle la tête de manière à observer le jeune homme plein de questions. Comment entamer cette histoire, par quelle question allait-elle débuter ? Elle opta pour ce dédoublement qu’il avait déjà longuement découvert et vécu un peu plus tôt, dans les vestiaires :
« Comme tu l’as compris, je ne suis pas seule dans ce corps. Cohabite avec moi une Djinn, ce que vous nippon appelleriez plus ou moins un Kami. Elle s’appelle Emaneth, et veille sur moi depuis que j’ai sept ans. On ne peut pas dire que nous étions dans les meilleurs termes autrefois, mais avec le temps nous avons apprit à nous connaître, et nous apprécier. »
Elle prit une inspiration, puis observa autour d’elle avant de se munir d’un bâton, avec lequel elle se mit à tracer quelques petits dessins dans la terre battue. Une représentation très grossière de la terre, avec un peu plus de précision pour le Nord de l’Afrique et le Japon, ainsi qu’un graphique, avec lequel elle cherchait à lui représenter les pouvoirs d’Emaneth, afin de répondre à une autre de ses questions :
« Emaneth est très puissante, mais elle souffre de mon éloignement de l’Égypte. Vois-tu, dans le désert, près de son milieu de prédilection, rien n’aurait sut la supplanter, mais nous avons quasiment fait la moitié du globe pour venir au Japon. Désormais, elle est au plus loin qu’elle le pourrait de sa source naturelle de force, ce qui fait que ses dons sont très limités. Sans compter que ... »
Elle passa au graphique, montrant une courbe en quart de cercle qui plongeait de plus en plus vers le bas à mesure qu’elle avançait :
« … Plus elle doit influencer de monde avec ses dons, plus il y a de « spectateurs », et plus elle s’épuise vite. Agir face à toi n’était pas compliqué, tu étais seul… Mais dès que les filles sont apparues, Emaneth a sut qu’à la moindre observation, elle flancherait irrémédiablement, d’où sa fuite soudaine et immédiate. Tout au plus a-t-elle put avoir le temps de porter un coup fatal à l’entité… même si elle s’est débattue par la suite. »
Elle souffla un grand coup. Cela faisait déjà une certaine dose d’information à digérer pour son ami, compagnon et sauveur, mais elle était encore loin d’être entrée dans le détail. Sûrement se trouvait-il actuellement avec encore plus de questions que de réponses, et elle savait très bien qu’elle ne pouvait pas non plus le laisser dans le doute et la confusion. Alors, avec un certain signe de malaise, elle jeta rapidement le petit bâton dont elle venait de se servir au loin, le laissant chuter doucement dans l’herbe proche, puis prit une grande inspiration, avant de longuement souffler. Le but, se calmer avant de raconter à quelqu’un, et ce pour la première fois, son passé. Enothis n’allait sûrement pas donner trop de détail, mais au moins le plus évident, ses raisons pour être partie en urgence de chez elle, et s’être cachée en un lieu si lointain, un endroit où pourtant sa meilleure protection ne pouvait pas toujours être là pour la sauver :
« Quand au… fait que je sois venue ici, le plus loin possible de l’Égypte, et qu’Emaneth m’a aidé pour cela malgré l’effort que ça allait lui demander… C’est parce qu’avant d’être une lycéenne paumée avec un niveau d’étude dégueulasse de médiocrité, j’étais l’Idole d’une secte dirigée par un fada d’occultisme doublé d’un mégalomane patenté. Et qu’il est celui qui a installé Emaneth en moi avant de me faire passer pour une Élue divine aux yeux des membres de la secte, me forçant à faire miracle sur miracle pour engranger adeptes et contributeurs espérant que je les sauve de ce monde en décrépitude. En gros … voilà … Désolé pour le coup de marteau. »