Le chant du combat.
Laurelian n'avait jamais oublié cet orchestre ; les armes qui s'entrechoquent, le son des impacts, les gémissements et les suppliques, rythmés par les ondes de souffrance et d'agonie qui lui parvenaient. Serenos l'avait chanté pour elle, plusieurs fois, à chaque fois détruisant une vie pour elle, une vie qui aurait pu s'épanouir sur des décennies, mais qui avait été sacrifié sur l'autel de sa survie.
Elle détestait la violence. Elle l'abhorrait. Elle aurait voulu que chaque arme, chaque forgeron qui y ait prêté sa main, chaque guerrier les maniant n'aient simplement jamais existé. Et pourtant, les armes n'étaient qu'une réponse à la violence de la vie elle-même ; l'homme n'aurait pas eu besoin d'arme s'il n'avait pas eu de prédateur. Même dans la nature, les proies apprenaient à se défendre, certains en développant des défenses, d'autres du camouflage, certains développant même des poisons à même leur propre corps pour dissuader un prédateur.
Heureusement, le chant s'interrompit rapidement. Qui que soient ces personnes, ils n'avaient pas l'intention de faire durer cette rencontre plus longtemps qu'absolument nécessaire. Serenos, pour sa part, avait toujours pris trop grand plaisir, du moins du point de vue de Laurelian, à infliger des souffrances incalculables à ses ennemis, parfois ne leur faisant même pas la grâce d'y mettre fin rapidement pour mieux les torturer plus tard.
Un homme apparût. Dans son état de fatigue extrême, Ser Auguste était baigné d'une lumière. Une douce lumière bleutée qui l'enlaçait. Elle voyait une forme dans cette lumière, les traits indistincts d'une femme qui lui souriait. Elle ne reconnaissait pas cette femme. Elle n'était même pas sûre de ce qu'elle voyait.
Les bras de l'homme la soulevèrent. Il lui dit quelque chose, mais elle ne l'entendit qu'à peine. La lumière l'enveloppa, comme elle l'enveloppait, et l'espace d'un moment, elle aurait tout donné pour qu'il la garde contre lui, qu'il ne l'arrache pas au sentiment de profond soulagement qu'elle lui prodiguait, mais elle n'eut pas la force de prononcer un mot, transférée à une autre paire de bras, et elle sombra dans l'inconscience.
***
Lorsqu'elle revint à elle, la nuit commençait à s'abaisser, et elle remarqua qu'elle était assise sur la banquette d'une diligence. À son côté, la captive qui avait survécu, et qui s'accrochait toujours à la vie, dévorait avec appétit féroce des pêches et des noix mise à sa disposition. Des sacs remplis de vivres étaient posés à même le sol, et les autres se remplissaient la panse.
Voyant qu'elle avait ouvert les yeux, la première lui tendit une coupe remplie d'eau. Elle tenta de lever une main pour l'accepter, mais malgré ses efforts, ses bras refusèrent, obstinément, de faire un mouvement. Incapable d'accepter, mais terriblement assoifée, et incertaine que la jeune femme parlât sa langue, elle se contenta de s'humecter les lèvres avec la langue, lui envoyant une brève supplique du regard.
L'étrangère sembla comprendre son signal, puisqu'elle approcha la coupe et la posa contre ses lèvres avant de verser le contenu, doucement, dans sa bouche. Laurelian déglutit difficilement, l'eau tiède lui faisant un effet d'un éclair brulant dans sa gorge, un sentiment qui fut rapidement remplacé par un profond bien-être alors que sa trachée reprenait de l'humidité. Après avoir bu la coupe, une deuxième lui fut offerte, et elle l'accepta. Après avoir bu, sa nouvelle amie —car comment appeler d'autre une personne qui, sans rien demander, vous nourrissait— lui offrit des fruits, mais réalisant qu'elle était trop faible pour mâcher, elle en prit une bouchée, la mastiqua puis, sans la moindre façon, lui versa la nourriture prémâchée dans la bouche.
L'expérience n'était pas plaisante, mais elle avait dû tolérer bien pire, et bien moins bien intentionné, de la part de bien des hommes, et au moins, elle put avaler la nourriture. Une fois plus ou moins repus, elle émit un léger grognement de gratitude, puis ferma les yeux.
Elle n'ouvrit les yeux que bien plus tard, lorsqu'enfin, la diligence cessa d'avancer. Parce qu'elle ne supportait pas son immobilité, elle se concentra sur son corps et chercha à remuer les doigts. Comme Aldericht le lui avait appris, elle imagina une grande lumière naître dans son cœur, puis la fit monter jusqu'à sa tête, puis de sa tête, l'envoya jusqu'à sa main, et à ses doigts, répétant l'exercice mental, sans se presser, comme de la méditation. Bientôt, elle sentit un petit picotement dans le bout de ses doigts, et un sourire naquis sur ses lèvres lorsqu'elle les vit s'agiter à sa commande.
Lentement, elle se releva, et poussa la porte qui la mènerait dehors, pour y voir une grande étendue de sable. Elle ne savait pas où elle était, mais elle vit que ses compagnons d'infortunes étaient maintenant assis autour d'un petit feu. L'air était frais, mais sec, et la pleine lune illuminait maintenant les grandes dunes. Elle était toujours en Ashnard.