Elle redressa la tête, presque timidement, quand Silat lui demanda de se relever. Elle n’avait aucune idée des coutumes à observer quand on était reçus chez quelqu’un, n’ayant jamais eu l’opportunité de les apprendre et de les mettre en pratique. D’instinct, elle avait adopté la posture la plus humble qu’elle connaissait. Mais apparemment, ce n’était pas la bonne. En le voyant penché vers sa petite personne, tendant une main amicale et secourable, la prêtresse ne put qu’obtempérer, glissant ses doigts fins dans les siens pour se redresser avec son aide. Ses prunelles le remercièrent pour elle alors qu’elle semblait avoir perdu sa voix. Un accès rare de timidité. Peut-être que les révélations de l’oriental n’y étaient pas étrangères. Son esprit tournait furieusement. Elle se doutait qu’elle n’était pas la seule prêtresse, que chaque dieux devait en avoir un ou deux, mais en avoir confirmation était un baume pour son cœur. Elle n’était pas seule. Elle avait trouvé refuge dans la ville idéale.
Qu’il apprécie, et estime ainsi sa présence lui mettait du baume au cœur. Les rares personnes qu’elle avait rencontrées, en dehors de sa famille, n’étaient pas aussi accueillantes. Les anciens Dieux n’étaient plus très bien vus, en dehors de cette ville.
« Je l’ai vu, oui. Dans mes rêves. Il m’envoie des rêves dans lesquels il m’explique certaines choses. Je ne l’ai pas encore touché, en vrai, mais il vient presque chaque nuit. »
Elle espérait de tout cœur, d’ailleurs, avoir la chance un jour de poser la pulpe de ses doigts contre la stature divine de son Dieu. Elle lui vouait une admiration sans borne, teinté d’un très grand respect et d’une affection sincère. Elle ne doutait pas qu’il l’aimait aussi, vu qu’il la protégeait des affres du désert, et qu’il lui offrait sa connaissance chaque nuit.
Quand Silat mentionna la cérémonie funèbre, en l’honneur des morts et de Buar, les yeux de Chaïnez s’écarquillèrent légèrement. Pour s’écarquiller encore plus alors qu’il lui proposa d’y assister. Elle en serait évidemment très honorée, et s’apprêtait à répondre positivement quand il ajouta une question. Savait-elle quelque chose des rites funéraires ? Fébrilement, la prêtresse fouilla dans sa mémoire. Elle se souvenait que son Dieu lui en avait parlé, mais il ne lui avait pas encore expliqué le déroulement. Elle avait vu quelques cérémonies, en rêve, sans toutefois avoir retenu beaucoup de choses sur la manière de procéder.
Elle referma alors la bouche, secouant presque misérablement la tête. Elle se sentait coupable de ne pas y avoir prêté plus d’attention.
« Non, je ne… Il m’a montré quelques cérémonies, mais il ne m’a pas encore instruit de la manière de les présider. Je n’ai pas retenu grand-chose des paroles officielles lors de ces visions oniriques. »
Dépitée, elle baissa la tête, gardant les yeux rivés sur le sol. Elle faillit rentrer en collision avec le brun, par ailleurs, quand elle remarqua qu’il s’était arrêté devant une porte. Relevant brusquement la tête, elle s’empêcha de lui rentrer dedans en posant l’une de ses mains sur le bras de l’homme pour se retenir. Quand la porte fut ouverte, et le chemin dégagé, la prêtresse fit quelque pas à l’intérieur avant de se figer. Partout où se portait son regard, elle n’y voyait que de la beauté. Des murs richement décorés, des bassins immenses… Elle n’avait pas une seule fois vu autant de luxe dans sa courte vie. Pas réellement, en tout cas. Certaines visions de son Père pouvaient rivaliser avec les bains du palais, mais aucun de ses souvenirs personnels ne le pouvait.
Elle finit par suivre, à retard, son guide près de la piscine. Ses pieds nus ne faisaient aucun bruit sur le sol alors qu’elle se rapprochait. Un regard à l’oriental lui apprit qu’il détournait la tête comme pour lui laisser de l’intimité. Elle prit cette marque de respect pour une invitation à se dévêtir et à profiter de l’eau tiède.
C’est d’abord sa longue cape noire, poussiéreuse, qui quitte ses épaules, dégrafée par des doigts agiles, avant de toucher le sol. Sa pseudo cotte de maille cliquète alors qu’elle dénoue les attaches dans sa nuque, laissant tomber le haut-bikini contre la peau ferme et à peine hâlée de son ventre plat. Elle dégrafe les attaches qui retiennent le haut de son habit à sa jupe, et les cliquetis retentissent de nouveau tandis que ce dernier tombe au sol. Dénouant finalement la ceinture de sa jupe de voiles, la prêtresse ondule légèrement les hanches, et cette dernière se retrouve en corolle autour de ses pieds. Nue, à présent, elle enjambe le tas de vêtements, et pose un pied dans l’eau. Un frisson de plaisir la parcourut de part en part. L’eau était à une température vraiment parfaite. Elle pousse donc l’audace à se glisser jusqu’à la taille dans l’eau, appréciant ce contact purificateur après l’intense chaleur du désert. Même si elle ne souffrait pas des désagréments qu’engendre une longue marche, sous un soleil de plomb, elle appréciait malgré tout le réconfort d’un bon bain.
Dans son dos, sa crinière de feu flotte au-dessus de l’eau, formant une mare rougeoyante, comme une traînée de flamme. Elle s’enfonça un peu plus dans l’eau, venant à présent immerger sa poitrine ferme et haute, avant de nager doucement. Comme la queue d’une comète, ses cheveux suivirent le mouvement, s’assombrissant avec l’eau. Quand il lui demanda de raconter son histoire, elle ne sut que dire. Personne ne s’était jamais vraiment intéressée à elle, à part ses parents, et son Dieu. Puis, quand les premiers n’ont plus été de ce monde, il y avait bien cette vieille femme du village, qui lui apportait de quoi se sustenter. En dehors de ces personnages, il n’y en avait pas eu d’autres.
D’abord muette, Chaïnez finit par commencer à parler, d’une voix chaude, lente et sensuelle. Sans même avoir conscience de ce dernier détail.
« Je n’ai jamais connu ce que c’était de vivre dans une grande ville. Je suis originaire de Ghibli, mais mes parents ont quitté la ville pour le désert, avant ma naissance. J’ai grandi dans un abris souterrain, à proximité de la ville. Mes parents m’ont enseigné le peu qu’ils savaient. Et puis, dans mes rêves, mon Dieu a comblé ce qu’il manquait. J’ai vécu pratiquement toute ma vie en solitaire. Quand mes parents sont tous deux morts, il y avait cette vieille dame du village qui m’apportait de quoi manger, et de quoi me vêtir. Elle est morte récemment. Un peu avant que je ne décide de quitter les alentours de tout ce que j’avais toujours connu jusqu’à présent. »
Elle n’avait pas grand-chose à dire, au final. Barbotant tranquillement, distraitement, la rousse réfléchissait à ce qu’elle pouvait ajouter d’autre, avant de soupirer.
« Je n’ai pas vécu grand-chose en fait. Ce n’est pas très intéressant. »
Sa voix était presque dépitée. Elle n’avait rien de passionnant à raconter à son sauveur providentiel. Tournant ses prunelles mordorées vers Silat, elle esquissa un sourire.
« Vou-Tu n’es pas obligé de détourner les yeux. Je n’ai jamais vraiment intégré ce concept de « pudeur ». Je ne vois pas ce qu’il y a de gênant dans la nudité. »
Un fin sourire orne les lèvres de la prêtresse de feu alors qu’elle se prélasse dans l’eau claire et tiède.