Jamais je ne me serais attendue à un caractère si... doux ? C'est le cas de le dire. Mon interlocuteur était avenant, calme, peut-être même un peu trop serein. Je ne savais pas quoi en penser puisque son apparence le faisait passer pour une arme de destruction massive sur pattes, mais qu'il se montrait actuellement si... humain. Comme quoi l'habit ne fait pas le moine.
Je prends le temps de m'installer en face de lui, sur une chaise bien plus normale que la sienne étant donné que je n'étais pas de taille colossale, moi. Sans gêne, je lève et baisse les yeux plusieurs fois pour l'observer, me faisant la réflexion que je ne serais sans doute pas sereine à la vue d'un tel titan si j'avais été purement humaine, ou tout simplement mortelle. En dépit de son caractère plutôt calme, il restait un monstre massif mêlant biologie expérimentale et technologie futuriste qui ferait peur à plus d'une personne.
Pleinement dans mon rôle de princesse, je passe la plupart du temps à sourire et m'entiche de manières légères, délicates et princières, notamment en saisissant l'argenterie qu'on me proposait et en la disposant devant moi de façon particulière. J'en profite pour écouter mon interlocuteur, toujours aussi avenant, manquant de glousser lorsqu'il dit qu'il me servira pour m'aider à sortir d'ici, indépendamment de l'issue de nos négociations. J'étais bien parvenue à rentrer dans la cité en évitant toute forme de contrôle. Repartir n'était qu'une formalité pour moi. Mais soit. Je préfère encore qu'il me voie comme plus faible que je ne le suis.
« J'accepte l'invitation, commencè-je d'une voix douce et calme, et également votre aimable proposition d'escorte. »
Je marque une pause le temps de passer ma propre commande, n'exige qu'un simple cocktail et quelques hors d'oeuvres. Les employés des lieux, ou plutôt esclaves si on se fiait à leurs bracelets d'acier, apportent alors ces quelques plats et verres et y ajoutent même des chichas. Formée aux us et coutumes d'ici, je n'hésite pas un instant pour m'emparer de l'une d'entre elles et commence à fumer sans la moindre gêne. Cela ne me fait pas plus de bien que ça, mais c'est un petit extra que je ne refusais pas. De toute manière, refuser aurait pu être interprété comme une preuve d'innocence, chose que je ne désirais pas pour le bon déroulement de nos négociations, ou comme de l'impolitesse, qui était tout aussi indésirable. Au contraire, je dois lui montrer que mon royaume et moi, nous sommes sûrs de ce que nous voulons, et que nous l'obtiendrons. C'est pour ça que malgré mon attitude légère et royale, je ne laisse aucune nuisance fuiter. Je ne grimace pas aux quelques aperçus de son corps exotique, je le regarde dans les yeux et prends mes aises sur ma chaise en guise de confiance.
« Nous ne sommes encore qu'un petit royaume mais notre expansion est réelle, notamment grâce à notre réseau d'informateurs qui a su vous débusquer. »
D'une gestuelle élégante, j'apporte le bec de la chicha à mes lèvres, j'aspire la fumée parfumée, gonfle mes narines et libère doucement en dégageant et ouvrant ma bouche. Je prends même le temps de m'amuser à donner des formes de disque à la fumée que je recrache. Après ces quelques secondes de battement, je reprends la conversation où je l'avais laissée.
« Mais en tant que petit royaume, nous manquons encore cruellement d'effectifs. Même si nous avons développé notre arsenal magique à un niveau plus que décent, nous recherchons de puissants alliés capables d'assurer la protection de notre territoire contre une compensation à la hauteur de ces efforts. »
D'ordinaire, c'est à ce moment que je joue un peu de mes charmes pour que mon interlocuteur se montre un peu plus enclin à négocier. Cependant, je me retiens de le faire dans le cas présent, me demandant si ce titan pouvait au moins entretenir des rapports charnels sans tuer accidentellement son partenaire au cours de l'acte. Heureusement, mon maître avait toujours quelque chose à offrir en retour si jamais je ne suffisais pas, ce qui était très souvent le cas. Charmé ou pas, un homme influent n'en devient pas pour autant stupide et demandera toujours quelque chose en retour, même si la séduction me permettait souvent de m'en sortir à moindre frais.
Soudain, je glisse une main sous la table et longe ma cuisse jusqu'à atteindre une lanière de cuir qui y est fixée. Dans cette lanière sont cousus quelques petits compartiments capable d'abriter des petits objets. J'attrape l'un d'eux que je reconnais immédiatement au toucher, remonte ma main et dépose l'échantillon sur la table. Il s'agit d'une petite pierre transparente au coloris violet pâle que l'on pourrait presque confondre avec de l'améthyste. Cependant, cette pierre-ci est très légère et semble parfois luire d'un éclat mystique lorsque certains corps s'approchent d'elle.
« C'est de la magicithe. Cette pierre a la particularité de pouvoir abriter de la magie en elle et lui sert d'amplificateur. Notre royaume possède le secret de son excavation et de son utilisation, et c'est ce qui nous permet de nous étendre. »
Pour le moment, je lui révèle rien d'affolant et me contente simplement de siroter le cocktail alcoolisé que j'avais demandé. D'un geste de la main, je lui indique qu'il peut prendre la pierre en main et l'observer si le coeur lui en dit.
« On peut aussi bien s'en servir pour créer des objets utiles au quotidien, comme des magicithes de lumière capables de gérer l'éclairage d'un logis, ou même des magicithes de feu pouvant faire chauffer l'eau, la nourriture... On peut aussi la changer en arme. Par exemple, cette petite pierre pourrait contenir suffisamment d'énergie magique pour tirer un laser capable de perforer une couche d'un centimètre d'acier, pour exploser et déclencher un incendie, ou même pour alimenter un vaisseau unique pendant une heure. Bien sûr, celle-ci n'est qu'un petit modèle. Il en existe de plus gros faisant la taille de mon buste, et dont le potentiel semble illimité. »
Je dépose mon verre après avoir pris une nouvelle gorgée, croise mes mains au dessus de la table et penche mon buste par dessus le meuble, non pas pour mettre en avant ma poitrine bien que je le faisais indirectement, mais pour instaurer un climat plus intime et discret. Je baisse d'ailleurs le volume de ma voix pour reprendre ma tirade.
« Les humains ont tendance à sous-estimer de quoi nous, les terranides, sommes capables. Ils nous voient comme du bétail abruti incapable de développer sa propre technologie. Pourtant, celle-ci les effraierait s'ils apprenaient son existence. Cette pierre d'apparence inoffensive peut devenir une arme dissuasive, ou même de destruction, si vous l'entendez ainsi. Il se pourrait donc que nous soyons en mesure de partager les secrets de cette découverte avec les quelques alliés qui nous prêterons main forte. »
Bien évidemment, je ne comptais pas mentionner la façon dont mon organisation s'approvisionnait en magicithe. Contrôle la ressource la plus convoitée et tu contrôleras le monde, disait mon maître.