Siège de la Citadelle de Longplain Sire Roderick Mahmër s’avançait avec fierté dans son nouveau domaine, sa nouvelle forteresse, sans s’intéresser outre mesure aux multiples gardes jonchant les allées, les murs et les couloirs de la Citadelle. Le siège avait été aussi intense que rapide, Mahmër ayant déployé une vaste armée, un ost comprenant beaucoup d’armes de siège, de golems, de Trolls, et de chevaliers ashnardiens expérimentés. Le baron ashnardien avait brisé les défenses redoutables de la Citadelle de Longplain. Cette élégante forteresse était à l’embouchure des frontières extérieures ashnardiennes, une citadelle militaire et artistique bâtie à l’entrée d’un long et large canyon serpentant entre les montagnes, et conduisant directement aux Contrées du Chaos. La Citadelle était le centre du pouvoir de la maison Wernberg, dont les Mähmer avaient historiquement été les suzerains. Las, le duc de Wernberg n’avait plus que l’éclat de sa gloire passée. Le duché s’était considérablement appauvri sous l’effet de multiples crises alimentaires d’épidémies et de conflits avec d’autres provinces locales.
Roderick Mahmër était un baron sévère, qui avait suivi avec succès ses classes militaires. Las, il n’avait plus d’héritiers. Sa première femme avait été atteinte de la syphilis, sa deuxième femme avait été tuée lors d’un accident de cheval, et il avait perdu ses enfants, soit à la guerre, soit dans des beuveries idiotes en ville. Mähmer avait dépassé la cinquantaine sans héritier, ce qui était d’autant plus préoccupant que, sous son règne, sa maison s’était considérablement enrichie. En vertu des règles de succession, c’était son jeune frère, un incompétent notoire, qui hériterait de la baronnie, ce que Roderick ne pouvait accepter... Ou l’un de ses bâtards, ce qui n’était pas non plus acceptable. Roderick avait alors demandé au duc de Wernberg la possibilité de se marier avec sa fille, une doucereuse pucelle venant d’avoir ses floraisons, et qui était très appréciée du peuple : la belle
Maëlle Wernberg. Une jeune fille sensible, qu’on disait être une grande mécène, protégeant les artistes, mais aussi les animaux, la forêt... Le duc était fou de sa vie, car lui aussi avait perdu sa fille, et s’était juré que sa fille ferait un mariage d’amour.
Pour Roderick, une telle position était inacceptable. Il voulait que sa maison soit à la tête du duché, et savait que le Conseil Impérial n’y était pas défavorable. C’était une question de politique interne, et la Légion n’interviendrait pas. Au-delà de ses aspirations personnelles, Roderick était aussi, à sa grande surprise, très amoureux de cette femme. L’Homme-De-Fer avait eu un véritable coup-de-foudre en voyant la douce Maëlle, et lui avait fait la cour. Sa déception avait été de taille, car cette jeune impertinente s’était catégoriquement refusée à lui, ne voyant en Roderick qu’un boucher, un meurtrier, un seigneur cruel qui torturait ses gens. Publiquement humilié, Roderick était reparti de la Citadelle, et sa colère n,’avait fait qu’enfler. Il avait enchaîné les prostituées et les maîtresses, mais repensait à chaque fois au corps de Maëlle. Il ne jouissait qu’en battant ses partenaires, ce qu’il faisait déjà auparavant, mais avec encore plus de violence. Cruel, Roderick l’était. C’était même un sadique et un pervers, et sa cruauté était connue sur le champ-de-bataille. Il n’avait pas hésité à empaler tous ces prisonniers de guerre une fois, et le savait laissé sur la plaine, en souvenirs pour les renforts ennemis.
«
Pitié ! Pitié !! » hurla un homme en sortant brusquement d’une maison.
Un carreau d’arbalète le transperça soudain à la poitrine. À l’intérieur de la maison, d’autres hurlèrent, tandis que, sous contrôle d’un intendant, les soldats massacraient méthodiquement une bonne partie de la population. Cruel, oui, mais pas sauvage. Roderick était au contraire très organisé, et avait ordonné que tel pourcentage de la population de la Citadelle soit tuée, et leurs corps regroupés. Les autres seraient asservis, et travailleraient dans leurs carrières. Toutefois, Roderick avait demandé un sort particulier pour la famille ducale et pour leurs servants, qui étaient regroupés au sommet de la Citadelle.
Roderick grimpait les marches y menant. Après son humiliation, il avait décidé de régler le problème à sa façon. Depuis des années, Mahmër prévoyait un putsch, et avait rallié à sa cause la majeure partie des bannerets du duc. Il avait ensuite mené l’ost, et, quand le duc avait demandé à des renforts de venir, ceux-ci, qui avaient en réalité juré allégeance pour le redoutable Roderick, avaient trahi les forces ducales, et ouvert la porte, tandis que les armes de siège de Roderick ébranlaient la forteresse. Celle-ci était redoutablement défendue, avec une succession de murailles internes, de miradors très hauts placés... Roderick avait perdu beaucoup d’ hommes, mais, finalement, son drapeau s’était hissé au sommet de la Citadelle.
Il rejoignit ainsi le Cœur de la Citadelle, un grand jardin ovale entouré d’alcôves, avec plusieurs arbres, une fontaine au centre... Et la jeune Maëlle. Il avait ordonné qu’on ne touche pas à elle, pas même qu’on la gifle. Elle portait ainsi une belle robe, ses bras ligotés dans le dos, et au sol. Derrière elle, on avait réuni de multiples individus : ses serviteurs, mais aussi sa famille, y compris son père, qui avait la bouche en sang, et ses jeunes frères.
Roderick s’avança lentement, savourant ce moment. Ses chiens de guerre aboyaient également, et l’un de ses hommes releva le visage de Maëlle en tirant sur ses cheveux, puis la força à voir Roderick.
«
Alors, jeune Duchesse ? Vous fanfaronnez moins, maintenant, n’est-ce pas ? Votre précieuse citadelle est à moi. L’heure des Wernberg arrive à son terme ! » claironna-t-il, victorieux.
Mais, pour Maëlle, elle allait vite comprendre que la vengeance du Baron serait terrible...