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...Citoyens, citoyennes, soldats, soldates, nobles sujets de l’Empire d’Ashnard, en ce jour solennel, je me dois de vous exprimer ma particulière fierté à l’occasion de cette rencontre, cette cérémonie... Elle est la preuve que tous les préjugés, tous les clichés, et tous les mensonges répandus sur notre bien aimé Empire, ne sont rien de plus que ce qu’ils prétendent être : des calomnies. Aujourd’hui, nous ne célébrons pas que le fait d’armes héroïque d’une jeune femme. Aujourd’hui, nous célébrons le rêve d’ordre, d’unité, et de diversité qui a toujours caractérisé l’Empire, ce même ordre qui fait si cruellement défaut aux autres puissances refusant de croire dans les bienfaits et les vertus de la discipline. La liberté, voyez-vous, est autant une bénédiction qu’un fléau. Un danger qu’il faut limiter, qu’il faut restreindre, afin que ses fleurs puissent librement s’épanouir, et que leurs pétales embrassent en leur sein chacun des bienheureux citoyens appelés à y séjourner. Aujourd’hui, nobles compatriotes, nous célébrons l’exploit d’une femme qui n’est ni humaine, ni démone, et qui, pourtant, reçoit de la part du Conseil, représentant l’autorité de l’Empereur, et dont je ne suis moi-même que l’humble dépositaire, la plus prestigieuse de nos distinctions militaires. Une femme qui... »
Le discours d’
Emhyr Var Emreis confirmait, encore une fois, tous les talents d’orateur de l’homme. Derrière son pupitre, l’homme parlait d’une voix forte, de stentor, face à une foule amassée dans l’une des salles des fêtes officielles du Palais Impérial. Une grande pièce entourée de colonnes en marbre, de tableaux, et de statues impressionnantes. Derrière l’estrade sur laquelle Emhyr se livrait à son discours introductif, une immense fresque murale représentait un impressionnant fort entouré de menaces sinistres et de créatures grotesques. Ashnard face à ses ennemis. La propagande impériale à l’œuvre.
Emhyr parlait, suivant un long discours et structuré. La première partie évoquait les exploits de Nihal. Elle avait réussi à renverser l’hérésie du baron Morteimberg. Morteimberg avait choisi, il y a quelques mois, de se rebeller contre le Conseil Impérial, contre les taxes qu’il estimait trop lourdes, arguant que le cœur de l’Empire était corrompu, et que leurs taxes ne servaient pas l’effort de guerre. Morteimberg avait mené une fronde, rejoint par ses vassaux, ainsi que par d’autres barons de la région dans laquelle la révolte avait éclaté. Ashnard, qui veillait à toute insurrection, avait réagi, et avait envoyé ses troupes. Pendant des mois, les Ashnardiens avaient repris les seigneuries, faisant parfois des exemples auprès de populations locales qui refusaient totalement de leur obéir, alternant entre le bâton de la cruauté et la carotte du pardon. Morteimberg avait fini par se réfugier dans son fort, Lavoir, un solide château solidement fortifié, et hérissé de multiples protections magiques. Après quelques essais infructueux, l’armée ashnardienne, menée par le Maréchal Coehoorn Van Emreis, frère d’Emhyr, avait choisi de mener un siège à l’ancienne, en encerclant le fort de Morteimberg, et en coupant toutes les voies d’approvisionnement.
Malheureusement, Morteimberg avait encore du soutien au sein de la région, des seigneurs locaux dont la loyauté était remise en question, et des bandes de pillards et d’assassins qui rôdaient dans la zone, attaquant les messagers dans la forêt, les caravanes isolées, contraignant les forces de Coehoorn à se livrer à une guerre de guérilla pour trouver les camps des rebelles. Coehoorn avait alors appris que les Écureuils aidaient les rebelles, Morteimberg leur ayant probablement délivré des armes et de l’aide. Les Écureuils étaient le surnom donné à une organisation terroriste mondiale non-humaine sévissant aussi bien à Nexus qu’à Ashnard, la Scoia’tael. Elle se composait d’elfes, de nains, de Terranides, et d’autres espèces, et prétendait vouloir réinstaurer dans les sociétés humaines l’égalité entre toutes les espèces. Elle prétendait combattre le racisme des humains à l’encontre des non-humains, mais avec une telle extrémité que, pour beaucoup, la Scoia’tael ne faisait qu’inverser le racisme prétendu en voulant restaurer les anciennes sociétés terranes, ces époques ancestrales où les elfes étaient l’espèce dominante. Coehoorn avait utilisé cette alliance pour faire entrer dans Lavoir plusieurs elfes travaillant pour l’Empire, en se faisant passer pour des Écureuils. Nihal avait fait partie de cette escouade, et c’était elle qui avait réussi à briser le dôme magique, permettant aux dragonniers de Coehoorn d’incendier le fort, et de vaincre Morteimberg. Le baron était actuellement dans des geôles, attendant d’être jugé pour haute trahison, et très probablement exécuté.
En conséquence, le courage et le talent de Nihal se devaient d’être récompensés, et Emhyr avait organisé une importante cérémonie, une célébration visant à remettre à Nihal une médaille ashnardienne, la Croix de l’Empire, une médaille récompensant un soldat pour d’héroïques faits d’armes. Emhyr en profitait pour féliciter l’ajout de troupes non-humaines et non-démoniaques au sein de l’Empire d’Ashnard. Après son discours d’intronisation, ce fut au tour de son frère, Coehoorn, de s’exprimer, en vantant les mérites du soldat Nihal. Un discours plus bref, prononcé avec une voix plus rauque, plus grave, confirmant le statut de militaire du Maréchal. La cérémonie était aussi l’occasion, pour les Emreis, de rappeler leur statut montant au sein de l’Empire. Emhyr présidait une séance qui, en temps normal, devait être présidée par l’Empereur, car il s’agissait d’une cérémonie
militaire. Le fait qu’il soit là, à en parler, était un message politique fort pour ses adversaires et ses concurrents, message qui n’échappa nullement à Mélinda W rren, assise à côté de Nihal, et qui était évidemment fière de sa petite elfe.
C’était Mélinda qui avait éduqué Nihal, qui l’avait récupéré, et qui l’avait formé, veillant à son éducation auprès des plus hautes personnes. Elle avait initialement juste voulu l’échapper pour en faire une autre esclave sexuelle, mais la vampire avait rapidement compris quelle erreur ce serait... La preuve maintenant. La belle elfe avait réussi un mince exploit, et ce à un âge relativement jeune.
«
Je suis très fière de toi, ma chérie » lui disait-elle ainsi, afin de la féliciter.
Elle le pensait sincèrement, et pencha sa bouche près de son oreille, pour murmurer quelques mots :
«
Une fois que tu auras reçu ta médaille, et que nous aurons assisté au cocktail, je te promets une récompense particulièrement grosse, car tu l’as bien mérité. »
Le succès de Nihal rejaillissait naturellement sur celui de Mélinda, même si cela en crispait certains... Ce qui ne faisait que l’amuser davantage.