“Il vaut mieux se marier que de brûler.”
Saint Paul
Le regard verdoyant de la Duchesse observait l’horizon. Depuis de longues semaines, plus les jours avançaient, moins elle semblait avoir d’énergie. Elle soupirait, errait parfois sur sa propriété sans vraiment sourire et laissait courir la rumeur d’une maladie qui serait en train de la grignoter petit-à-petit. Elle entendait les on-dit mais n’en avait plus rien à faire. Et ses jeux habituels ne semblaient plus l’intéresser non plus. Apathique petite Duchesse. Le temps défilait trop vite et elle n’avait plus qu’une idée en tête.
S’enfuir. Par n’importe quel moyen. Elle devait quitter Meisa. Mais pour aller où? Sa seule famille encore en vie se résumait par le bâtard de son père - accessoirement le cul sur le Trône, sa sœur aînée adepte du parricide et son autre sœur, mentalement aussi alerte qu’une poupée de chiffon. Et elle ne connaissait presque rien de la vie hors du Palais. Palais, duché… C’est du pareil au même. Serenos avait juste changé sa prison de place. Quoiqu’ici elle avait un peu plus d’options. Comme épouser un homme qu’elle n’avait vu qu’une fois et c’était déjà trop à son goût!
C’était bien ça qui minait la petite depuis ces jours. Dans moins de deux semaines on allait lui passer la bague au doigt et la corde autour du cou. La jeune femme n’aimait rien de ce mariage à venir. Que ça soit le lieu où elle était censée vivre, les conditions du mariage, le fait que c’est sa Mère qui l’avait choisi ou encore - et quelque part surtout - le fait qu’il soit gros et visuellement répugnant. Elle ne l’avait rencontré qu’une fois. Une seule et unique fois. Et c’était - à son sens - bien assez suffisant pour savoir qu’elle ne voulait pas d’une vie avec “ça” au bras. Et la Duchesse était bien trop éduquée pour penser à ce qu’il se passerait dans la suite nuptiale. Elle avait parfaitement saisi le regard pervers qu’il avait posé sur elle tout le long de sa visite et en avait ressenti comme un embarras qu’elle ne savait expliquer. C’était sûrement le sourire gras qu’il avait eu toute l’après-midi qui était à l’origine du malaise. Sûrement.
L’ancienne Princesse soupire en se détournant de l’horizon avant de retourner à son bureau étudier les propositions de constructions, les complaintes de paysans, les invitations, les félicitations pour le mariage. Myrella pince ses lèvres en observant les lettres danser devant ses yeux. Les mots se mélangent et semblent la narguer. Elle claque sa langue d’irritation. “
Tout est fade. ” Sa vie devenait fade, perdait en couleur. Et Myrella déteste le réaliser. Son Monde a été toujours coloré et pétillant. Maintenant qu’il s’étiolait, l’enfant en elle revenait. L’enfant ou cette voix que nous connaissons tous. Ces pensées impulsives, enfantines qui nous ferait gifler des anciens ou blesser des animaux. Ces pensées que nous réprimons tous, que Myrella découvre.
-
Et si je disparaissais? Je prends mon pécule de duchesse, j’envoie la robe valser, trousses et chemises, je prends le premier bateau qui part et ce serait l’aventure!Rien qu’à le dire, seule dans son bureau, elle se trouve idiote. Elle est une Duchesse. Elle ne peut pas délaisser ses terres comme ça. Et puis. L’Actuel Roi a traqué sa sœur aînée pendant des mois en tuant chacun de ses partisans au passage… Il finirait par la retrouver.
Et rien n’excuse ou explique que je me retrouve sous la colère de Serenos.Tout est fade. Elle maugrée un peu avant de s’éloigner du bureau. La jeune femme semble avoir besoin de changer d’air, de changer ses pensées. Alors la voilà en train de traverser son domaine d’un pas lent et léger bien que les plus observateurs soulèvent le manque d’élégance de sa démarche, et lorsqu’elle daigne sortir des murs, la Duchesse réalise que le soleil se couche et que les teintes orangées coloraient à présent les habitations en contrebas. Son regard détaille longuement la vue avant qu’elle ne décide d’aller saluer ses gens qu’elle croiserait sûrement ci et là.
Sans mot, elle laisse ses petits pas l’amener vers son village et, même s’il n’existe aucun mesaiens de Saffran qui ne connaisse la jeune femme, beaucoup s’accorde à dire qu’elle ressemblait trop à l’ancienne Reine pour qu’on ne fasse le rapprochement. Myrella croise sur son chemin deux enfants qui jouent au vilain ver des sables, jeu rafraîchissant qui teinte le regard émeraude de l’Aeslingr d’un doux voile d’envie.
Jamais Mère n’aurait accepté de me voir courir de la sorte. Et quand bien même une folie lui aurait fait accepter… Avec qui aurais-je bien pu jouer?Myrella reprend sa ballade et discute ci et là avec les artisans et commerçants qui l’alpaguent sans honte. Elle était une bonne Duchesse, le peuple l’appréciait. “
Si seulement elle n’était pas la sœur du Roi” Un voyageur donne son avis, de ceux qui parlent quand les autres se taisent, alors que l’ambiance de la taverne le grisait probablement trop. Le garde de la Duchesse - parce que oui, même sans ordre aucun garde ne l’aurait laissé seule - se rapproche de l’impertinent. Ce n’est que parce que Myrella lève la main en souriant que la gorge de l’homme reste immaculée. Certains la voulaient Reine, Myrella le savait pertinemment. Mais les jeux de pouvoirs imposaient un strict respect de certaines règles. La Duchesse se tourne vers son protecteur.
-
Il serait inconvenant de décapiter l’inculte qui parle mais ne sait. De surcroît, Son corps remue à peine, le visage de la petite détaille à présent l’inculte en question.
Je ne pense pas qu’il soit élégant que de juger ce que le Roi ait pu faire de son corps. Ni de qui a pu rejoindre sa couche, n’êtes-vous pas d’accord?La petite main douce se relève et commande un nouveau verre, se permettant même de promettre une tournée si la soirée se passe bien.