Ce fut comme si on venait de lui tirer dessus. Il était difficile de surprendre Mélinda… Mais ce fut pourtant ce qui arriva quand, tournant le dos, elle vit deux vampires arriver. S’il était, en soi, surprenant de voir deux vampires, il était encore plus surprenant de constater que…
*Non ! Impossible !*
Impossible… Mais pourtant, elle était bien là. Mélinda savait que, au sein des vampires, il existait une dichotomie fondamentale entre, d’un côté, les vampires « transmués », et, de l’autre, les vampires « sangs-purs ». Les premiers constituaient l’écrasante majorité des vampires, des humains, des elfes, des nains, ou n’importe quelle autre espèce, qui étaient transformés en vampire. Ces vampires avaient donc eu une précédente vie, comme Mélinda, avant de devenir vampire. Et, si les transmués étaient majoritaires, c’était bien parce que, en devenant vampire, on devenait, dans l’écrasante majorité des cas, inféconds. Il existait, néanmoins, des cas où la stérilité n’était pas absolue. Pour certains vampires, il fallait remonter au tout-premier vampire, Caïn. Si on adhérait à cette théorie, qui découlait du Livre de Nod, Caïn était le premier de tous les vampires, devenu comme tel en ayant tué son frère, Abel, et bu son sang. Mais, là encore, les théories divergeaient. S’il était globalement reconnu qu’Abel et Caïn étaient les fils d’Adam et d’Ève, d’autres soutenaient, au contraire, que seul Abel descendait d’Ève, et que Caïn était en réalité l’enfant de Lilith. Selon toutes ces théories, Caïn était donc né vampire, enfanté à partir du sang de Lilith, et ses enfants étaient donc des vampires purs-sangs.
Ces théories pouvaient prêter à sourire, et elles faisaient sourire Mélinda, mais beaucoup de clans y étaient très attachés. La légende était commune à Terra et à la Terre, et, sur Terra, certains clans se disaient « caïnites », se revendiquant de l’héritage de Caïn. Dans tous les cas de figure, il était admis que les purs-sangs étaient des vampires « purs », leur conférant des qualités exceptionnelles, et une forte autorité sur les autres vampires. Ils étaient aussi rares que précieux, et, dans les mythes vampiriques, on les assimilait souvent à des forces apocalyptiques aux pouvoirs bibliques.
En conséquence, Mélinda fut naturellement surprise en voyant une sang-pure débarquer devant son nez… Et encore plus en sachant que c’était la deuxième sang-pure qu’elle rencontrait. La première, Motoko, avait été découverte par ses filles il y a quelques temps, déjà, dans les sous-sols du lycée, alors qu’elle était prisonnière. Mélinda avait tenu à la délivrer, et, depuis lors, Motoko vivait dans le manoir, luttant peu à peu contre le traumatisme qu’elle avait vécu, et voyant Mélinda comme son nouvel espoir.
Et là, sous son nez, une deuxième vampire, une sang-pur, venait d’apparaître, avec un sang millénaire, ce que Mélinda perçut.
Il y eut donc un léger moment de flottement, avant que Mélinda ne semble se rappeler que cette étrange femme aux longs cheveux argentés lui avait parlé. Elle papillonna des yeux, et répondit :
« Hum… Plutôt 200 ans, en réalité. »
Ce qui, d’un point de vue humain, en faisait une femme très vieille, mais, d’un point de vue vampirique, une femme très jeune.
« Je… Pardonnez-moi, j’ignorais qu’elles étaient vos… Vos ‘‘petites protégées’’. »
Le trouble de Mélinda était nettement perceptible. Tout ce sang, ce sang d’une qualité rare, tout ça l’enivrait considérablement. Elle finit donc par lui sourire, en reprenant peu à peu ses esprits.
« Naturellement, je souhaite juste… M’amuser un peu avec elles. Mais je ne voudrais pas que vous vous fassiez de fausses idées, ma consœur. Les portes de mon manoir vous sont naturellement grandes ouvertes. »
Et pas que celles du manoir.
Kirie devait probablement le sentir en ce moment : la proximité de ce sang était si intense que Mélinda, surprise, prise au dépourvu, était en train d’en mouiller sa culotte.
Quel sang !