La cuvette des toilettes était d'une blancheur immaculée. Elles étaient tout en céramique, jolies et surmontée d'une lunette ovale, également d'un blanc impeccable. À mi-profondeur du bassin d'eau claire, un petit tuyau destiné à lâcher un jet marquait leur conception japonaise. L'accoudoir, commandant le mécanisme par le biais de plusieurs boutons colorés, était situé à gauche et paraissait en parfait état. Un petit bloc bleu marine diffusait une odeur iodée discrète mais agréable.
D'un geste brusque Ike ouvrit la porte du cabinet et tomba aussitôt à genoux devant la cuvette. La propreté maniaque du bassin prit fin quelques secondes plus tard lorsque pris d'un spasme, le jeune homme régurgita son dernier repas. Il parvint cependant à ne pas trop déborder.
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C'est bien, t'as assuré ce soir, fit un homme en costume gris qui se tenait debout derrière lui.
Tu leur en as mis plein la vue. J'ai discuté avec le maire, il est très content qu'on soit passés.Le chanteur ne répondit pas de suite, et subit un second hoquet fut plus violent, qui couvrit la céramique d'une mousse brun clair.
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Même pour les petites salles ça te fait ça ? Seikusu c'est pas non-plus le Fukuoka Dome de Tokyo.–
Ce sont les… petites les… pires… quand tu peux compter les regards… c'est le pire.
Essoufflé, il cracha encore, mais ce ne fut plus que de la bile et de la salive : il ne restait plus grand-chose dans son estomac. Les yeux rouges, il appuya sur le bouton commandant à la chasse d'eau et se releva.
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C'était le dernier, tu n'as plus de concert prévu les deux prochaines semaines. Tu vas pouvoir souffler un peu.Ike hocha la tête. L'agent se dégagea de l'entrée de la cabine pour le laisser sortir. La porte de la loge était juste adjacente. L'adolescent retira sans attendre son tee-shirt – un habit blanc pailleté barré de deux grands éclairs au niveau du torse -- qui était collant de sueur. Le reste de ses habits finit aussi vite à ses pieds. À présent complètement dévêtu, il bouscula de la main plusieurs cintres accrochés en hauteur sur une barre métallique.
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Je me doucherai à l'hôtel, ici c'est juste trop naze, fit-il en saisissant un débardeur rouge.
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Tu vas pas à l'hôtel directement. T'as une rencontre ici avec un fan.–
Oh sérieux ? Fais chier.Le chanteur grimaça un instant sous le coup de la frustration, et se retourna avec un regard noir pour son agent, son habit à la main.
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Fais chier. Qui est le connard qui m'a collé ce truc ?–
Moi. C'est la campagne de pub avec NewsGroup Japan. Le label touche 70 000$ rien que pour cette soirée.–
T'es un sacré connard JK. Un sacré connard cupide.–
Tu te plaindras à ton père gamin, je touche zéro là-dessus.JK combinait en quelque sorte les deux difficiles métiers qu'étaient agent artistique et gouvernant pour star adolescente. C'était un grand asiatique, sévère de visage et assez carré d'épaules, et qui dans le même contexte pouvait facilement passer pour un garde du corps.
Ike poussa un long soupir en enfilant le débardeur.
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J'ai dix minutes ?–
Deux : je vais le chercher.L'agent tourna les talons et sortit de la loge. L'heureux fan élu avait dû recevoir comme consigne d'attendre devant l'entrée des artistes après le concert – elle se trouvait à l'arrière du grand bâtiment circulaire. Elle devait être gardée par un ou deux gorilles ; mais il n'y avait ensuite qu'un couloir à traverser pour se retrouver en face de la loge.
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TE PRESSE PAS ! lui cria l'adolescent en refermant la porte derrière lui.
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Quelques minutes plus tard, on frappa à cette même porte.
Ike s'était entièrement changé. Il portait toujours le débardeur coquelicot et avait opté pour un jean slim serré et noir assez simple. Les fans appréciaient généralement de le voir dans des habits plus simples que lors de ses apparitions publiques, le chanteur l'avait remarqué. Ils se sentaient plus intimes avec lui. Pour accentuer le côté naturel (et parce qu'il n'avait pas eu le temps), il avait aussi renoncé à se démaquiller. De près, le make-up violet et noir de ses yeux bleus paraissait un peu excessif, mais c'était nécessaire pour les faire ressortir sur scène.
La loge s'était aussi rangée comme par miracle. Outre le classique trio miroir, coiffeuse, chaise tournante – et les nombreux vêtements accrochés en hauteur, elle ressemblait à un petit salon. Trois poufs cylindriques recouverts de cuir blanc étaient disposés sur un côté, en face d'une longue banquette à l'air douillet (sur laquelle l'adolescent était assis, les jambes croisées) et autour d'une table basse, ronde, en verre. Une grande photographie sépia de Seikusu était encadré sur le mur opposé. Dans un coin, un petit frigo. Le sol était une moquette crème qui se mariait bien avec les tons beiges et marrons de la salle.
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Yes, entre ! lança le chanteur avec enthousiasme.