C’était la décision la plus difficile à prendre pour le souverain de l’île de Santorin, le légendaire Roi Minos. Tout le monde connaissait Minos, bien entendu. Un Roi réformateur, juste, qui avait accompli de grandes réformes sociétales pour pacifier l’île, et unir les différents villages, ainsi que les autres îles, et qui avait réussi à pacifier un vaste archipel, et à établir de saines relations commerciales, parvenant à résoudre les litiges entre insulaires de manière pacifique. Nul ne tarissait donc d’éloges sur le Roi Minos, mais, chaque année, il était nécessaire d’accomplir un acte qui le répugnait plus que tout autre, mais qui était, hélas, nécessaire.
Chaque année, il fallait honorer une bête effroyable et cauchemardesque. Minos avait déjà tout tenté pour la tuer. Jadis, elle régnait sur une île entière, et, quand les marchands avaient appris son existence, ils avaient réussi à en rapporter la preuve à Santorin. Alors, Minos avait envoyé une expédition militaire, afin de libérer les villages opprimés par le monstre, mais les expéditions avaient échoués. Il en avait envoyé d’autres, avec des guerriers plus aguerris, et avait même été, quand son règne commençait à devenir assurer, par y déployer une armée entière. Il avait encerclé l’île, fait plusieurs camps, mais, à chaque fois, la bête, le Minotaure, tuait ses patrouilles. Elle se terrait dans de profondes grottes, en réalité, si profondes qu’elles s’enfonçaient sous la mer, tout en étant bardées de pièges. Et le Minotaure, qui connaissait ces grottes mieux que personne, s’en servait bien évidemment pour les piéger.
Faute de pouvoir le vaincre, Minos avait fini par trouver une autre solution, en scellant en une nuit toutes les grottes, enfermant le Minotaure à l’intérieur. Hélas, pendant qu’il perdait son temps à affronter le Minotaure, des ennemis en avaient profité pour l’attaquer, et il avait dû repartir, en laissant une garnison assez faible pour surveiller toutes les grottes. Évidemment, le Minotaure avait réussi à s’échapper, et, quand Minos avait reçu des nouvelles de l’île, après avoir pacifié son royaume, il était revenu. Le Minotaure avait étrangement choisi d’épargner ses hommes. Minos avait depuis longtemps compris, au vu des pièges du monstre, qu’il était redoutablement intelligent. Le Minotaure, en réalité, avait compris que, si Minos l’enfermait dans la grotte, il mourrait. Mais, d’un autre côté, Minos devait lourdement surveiller chaque entrée du réseau souterrain, de sorte qu’il devait laisser bien trop d’hommes en garnison. Autrement dit, le Roi et le monstre étaient tous les deux bloqués dans un sacré dilemme.
Le Minotaure lui avait alors fait sa proposition. Il laisserait les habitants tranquille, tant qu’on lui offrirait à manger, et accepterait même de sceller toutes les accès de sa tanière, sauf une... Car il avait surtout une ultime exigence que Minos refusa dans un premier temps, tant elle lui faisait horreur... Puis, après en avoir discuté avec ses conseillers, il finit par accepter. Cette ultime exigence portait sur un
sacrifice. Chaque année, le Minotaure voulait qu’on lui envoie une amante, à la condition qu’elle soit belle, et vierge. Il était très pointilleux sur ce point, et, la fois où Minos avait essayé de l’entourlouper, le Minotaure avait ravagé l’un de ses camps, massacrant tout le monde, et ne laissant que la tête décapitée de la fille, au milieu du camp.
Cette année, le choix s’était porté sur la jeune
Coria, une vulgaire esclave. Elle avait été nettoyée, parfumée, sélectionnée sur une liste de choix potentiels, et avait longuement pleuré, avant de se retrouver embarquée sur l’île. Orpheline, Coria n’avait jamais connu ses parents, ayant seulement grandi avec sa grande-sœur,
Myrion, une redoutable guerrière, mercenaire au service du Roi Minos, qui était toutefois loin en mission quand la garde avait décidé de la saisir.
«
Je... J’ai peur... sanglota-t-elle en débarquant sur l’île.
-
Allez, avance ! » s’agaça l’un des gardes en la poussant.
Ils approchèrent de l’entrée du Labyrinthe, ainsi qu’on l’appelait maintenant, une énorme porte en acier, que des hommes ouvrirent lentement. Elle déglutit en voyant l’entrée du Labyrinthe, une grotte ressemblant à une bouche de l’enfer. En voyant cela, ses yeux s’embuèrent encore de larmes, et elle se retourna.
«
Pitié, je ne veux pas y aller ! -
Allez, dégage, on t’a dit ! »
Nerveux, le garde dut la traîner par les cheveux, et la balança à l’intérieur de l’enceinte, puis ordonna qu’on referme les portes. Coria, dans un réflexe de survie, se précipita alors vers ces dernières, et tambourina dessus, hurlant, suppliant pour qu’on la laisse sortir. Qu’avait-elle fait ? Qu’avait-elle fait, par les Dieux, pour mériter un tel sort ?! C’était... C’était profondément
injuste !
«
Casse-toi, putain ! -
Mais j’veux pas ! -
Rentre là-dedans, sale conne ! -
Laissez-moi sortir !! »
Elle tambourina encore sur la porte, en pleurant et en hurlant... Quand une flèche la loupa de près, se fichant dans le sol, lui coupant légèrement l’oreille, et la fit couiner.
«
Tu rentres là-dedans, maintenant. Ou je t’assomme moi-même, et je t’y balance la tête la première ! »
Coria les regarda, paniquée, commençant à comprendre que rien ne viendrait la tirer de ce cauchemar... Et que les gardes étaient sans doute encore plus effrayés qu’elle de ce qu’il y avait là-dedans... En d’autres circonstances, elle aurait sans doute su que jamais un soldat n’oserait lui faire du mal, mais, comme d’autres flèches se mirent à tomber, et que les archers la huèrent, l’insultèrent, elle se mit à courir, paniquée, désorientée, sans même réfléchir, et fila dans la grotte, espérant se briser le crâne sur un gros rocher pour en finir avec la vie... Tout, plutôt que de vivre avec le Minotaure, tant les histoires qu’on racontait sur lui étaient
affreuses !