La Reine Célène avait en ce jour toutes les raisons d'être anxieuse, car elle était, littéralement, sur le point de devoir négocier l'avenir de son royaume. Elle n'aurait jamais cru, il y a trois ans, en se mariant au jeune roi d'Angarad, qu'elle se trouverait dans pareille situation. Comme la grande majorité des mariages entre grandes familles nobles, le sien n'avait pas été un ariage d'amour, mais purement d'intérêts politiques. Comment d'ailleurs aurait-elle pu tomber amoureuse de son mari, alors que ce dernier fréquentait d'avantage prostituées et courtisanes que sa propre femme ? Néanmoins, malgré ces frasques, Célène était parvenue à tomber enceinte de lui, et à lui offrir un héritier mâle, sécurisant ainsi la succession...de moins l'avait-elle cru jusqu'à il y a quelques semaines.
Son mari était mort d'un accident de chasse. Si comme à son habitude il s'y était rendu avec une escorte, même ses gardes du corps n'avaient pu l'empêcher de vouloir s'attaquer à un ours, et bien évidemment la bête l'avait emportée. Le Roi d'Angarad avait succombé à ses blessures avant même qu'il ne puisse être ramené au château.
Son fils n'étant même pas âgé d'un an, c'était donc à sa femme qu'il incombait de diriger le royaume, jusqu'à la majorité de son fils. Célène ne s'était jamais penchée vraiment dans les affaires du royaume, même si elle se doutait que la situation financière devait être difficile, vu tous les tournois et les banquets que son mari ne manquait pas d'organiser de son vivant. Mais quand elle avait effectivement mis le nez dans les livres de compte, quand les conseillers du feu roi lui expliquèrent la situation qu'ils n'avaient pu éviter, car le roi ne se souçiait jamais de leurs conseils...elle avait bien failli perdre connaissance la première fois.
Les finances d'Angarad étaient semblables à un gouffre sans fond. Si le royaume avait en soit tout ce qu'il fallait pour être stable économiquement, les emprunts que le roi avait contracté pour financer ses fêtes, ses orgies, et ses tournois plombaient cette économie à un point que Célène ne voyait pas beaucoup de solutions à ce problème. Si elle était parvenue à supplier son père de l'aider, notamment pour verser la solde de l'armée, il y avait énormément de secteurs qui allaient, très vite, se retrouver sans financements.
Ce jour était donc très important, car il marquait la visite de Bazzheï Bazhal, le Grand Commerçant le la Compagnie Dorée. Il s'agissait d'une puissance association de cités franches qui formaient un conglomérat financier, le plus puissant et le plus influent du monde connu...et qui était le créancier du royaume d'Angarad. Les sommes que la famille royale devait à cette organisation étaient colossales, et Célène maudissait son défunt mari de l'avoir laissée, elle et son fils, avec un royaume aussi gangréné par des emprunts irresponsables, aux taux d'intérêts absolument incroyables. En l'état actuel des choses, le royaume était donc au bord de la banqueroute, et la Compagnie Dorée n'était pas connue pour plaisanter dans le cas de sommes d'argent aussi importantes...aussi des négociations étaient-elles de mise.
Si Célène n'avait jamais aimée son mari, il n'en était pas de même concernant l'enfant qu'elle avait eu avec lui, son petit Jonas. Célène était une mère très protectrice, telle la lionne qui était l'emblème d'Angarad. Si elle prenait tant à coeur le fait de redresser ce royaume, c'était pour tâcher de le léguer à son fils dans un état stable, qui lui permettrait de régner sereinement dessus. La situation n'était pas inextriquable...pour tous ses défauts, le mari de Célène avait au moins mené des campagnes militaires victorieuses contre des territoires orcs qui bordaient il y a encore peu leurs frontières, qui s'étaient de fait agrandies. Ces nouvelles terres devaient être défichées, colonisées, et exploitées. Riches, elles l'étaient, mais leur exploitation nécessitait de lourds moyens...et pour celà, il fallait de l'argent. Angarad pouvait peut-être se sortir de sa situation désastreuse par ce biais...mais Célène, non seulement allait devoir négocier des délais de remboursement des emprunts contractés par son mari, mais aussi négocier d'autres pour ce projet. La Reine le savait donc pertinement, ce n'était pas en position de force qu'elle allait entamer ces négociations, et elle ne se faisait aucune illusion...le représentant de la Compagnie Dorée le savait également.
*Je vais devoir le convaincre, alors qu'il n'a aucune raison de ne pas juste déclarer Angarad insolvable, et d'en vendre la carcasse au plus offrant...*
Cela était déjà arrivé...et risquait bien d'arriver à Angarad également. Célène était seule dans la salle du trône, assise dessus, car cette audience allait se faire à huit-clos, tant son sujet était de la plus grande importance. Elle était anxieuse, terrifiée même, mais la pensée de faire ça pour son fils lui donnait malgré tout la force dont elle avait besoin pour continuer. Elle le devait, pour lui, pour lui offrir un avenir. Il n'y avait vraiment plus que ça qui comptait à ses yeux.