L’avantage d’être une vampire, c’est qu’on n’était pas astreinte, comme les démons, au Pacte qui avait été jadis passé envers les Anges et les Démons. Une convention pour mettre fin au Grand Conflit, et qui n’était tout simplement qu’un pacte de non-intervention entre les puissances démoniaques et les puissances angéliques. Un pacte qui comprenait bon nombre d’exceptions, mais qui, par définition, ne s’appliquait qu’entre les Anges et les Démons. Autrement dit, Ephemera, bien qu’elle vive en Enfer et dispose d’une prison infernale, n’était pas assujettie au respect du pacte, et, en conséquence, vagabondait librement sur Terre.
Seikusu était une ville dans laquelle elle aimait bien se rendre. Lorsqu’elle travaillait, jadis, pour le compte de Kagan, son père, un puissant Maître vampire, il avait profité de ses comptoirs commerciaux en Chine et de ses influences au Japon pour amener Ephemera à former, là-bas, une caste de vampires-ninjas. Ephemera s’était distinguée pendant le massacre de Nankin, où, conformément à la volonté de Kagan, elle avait travaillé auprès de l’Armée impériale japonaise. À ce titre, elle avait participé à l’incident de Mukden, l’une des principales causes de la guerre sino-japonaise, un attentat terroriste prétendument provoqué par les Chinois, et que les Japonais avaient amplifié pour créer, en plein territoire chinois, un État fantoche, le Mandchoukouo. Ephemera avait été une exécutrice formidable, un bourreau qui torturait les paysans chinois sans relâche. La guerre sino-japonaise de 1937 à 1945 avait provoqué, en tout, la mort de 17 millions de civils en Chine, chiffre qui, à l’époque, n’avait été concurrencé que par les Russes, et dont les Occidentaux se moquaient comme d’une guigne.
Sur ces 17 millions, Ephemera avait bien dû en tuer quelques milliers. Une période qu’elle se rappelait souvent avec nostalgie. Maintenant, tuer était beaucoup plus difficile, car les humains étaient devenus plus sourcilleux, et elle-même avait, sur Terre, perdu de son influence, notamment quand son père avait chuté à cause de sa salope de demi-sœur. Ephemera avait trouvé un refuge en Enfer, mais, entre torturer des damnés et des pénitents, et pouvoir massacrer des civils à la pelle, tuer des familles entières en dévorant leurs enfants, il y avait tout un pas à franchir. La Dame des Ombres était nostalgique de cette heureuse période, comme une sorte d’adolescence rêvée.
Maintenant, elle avançait, se dissimulant sous des vêtements civils, et d’épaisses lunettes de soleil noir, dans les méandres de la ville. Elle était maintenant une sorte de « veuve noire », qui tuait les hommes suffisamment fous pour vouloir la séduire. Ephemera ne jouissait que quand elle les tuait, et adorait sentir le corps moribond de la victime jouir en elle, car, usant de ses capacités vampiriques, elle ne tuait que quand son amant était sur le point de jouir. Croyez-en son expérience ; égorger un homme qui était en train de jouir, et sentir ainsi le sperme fuser, ainsi que le sang, il n’y avait rien de plus jouissif. Faites ça à Ephemera, et c’était l’orgasme assuré.
Là, la femme marchait près du lycée Mishima, quand elle perçut quelque chose. Portant une longue robe qui lui donnait un style méditerranéen, elle s’arrêta brusquement, et fronça lentement les sourcils.
*La mort… Je sens la mort.*
Ephemera usa alors de ses pouvoirs, et se téléporta, délaissant ses vêtements, à la surprise des quelques badauds. Vampire dotée de pouvoirs magiques, elle avait appris à maîtriser la magie des Ombres, et utilisait les zones d’ombre pour se déplacer, ce qui l’amena rapidement dans les toilettes, où elle vit rapidement ce qui se passait. Elle arriva en fait quand Ayano massacrait sa petite copine, le sang fusant partout.
*Oh… Miam !*
Judicieusement, la jeune lycéenne psychopathe avait choisi le deuxième étage et l’heure du déjeuner, bien loin du réfectoire. Personne n’entendrait sa camarade griller, mais c’était le seul trait de génie de cette femme. S’inspirant probablement des séries télévisées, elle avait mis des gants blancs en latex afin de masquer ses empreintes, mais Ephemera se décida, malgré tout, à intervenir.
« Tu es une sacrée artiste, jeune fille… Mais tu restes une amatrice. »
Elle venait de se matérialiser, sortant d’une cabine, tel Hanako-San, le fantôme des toilettes du Japon, un mythe local très populaire, celui d’une yurei apparaissant généralement dans le troisième cabinet des toilettes du troisième étage d’un immeuble. Là, pour respecter la symétrie, Ephemera venait de sortir du second cabinet, et se dressa devant la femme, dans sa tenue usuelle : des sangles, du cuir, et des orbites creuses et vides.
« Comment t’appelles-tu, jeune tueuse ? »
Ephemera avançait vers elle, nullement inquiète.
Et elle n’avait aucune raison de l’être, en réalité.