Enfants, ils avaient été méconnaissables. Valaën et Mireth s’étaient ainsi amusés, jeunes, à échanger leurs rôles. Père aurait toujours voulu que Mireth soit une jeune fille docile, une femme qui serait une artiste, qui aimerait la broderie, la poésie, les arts, comme sa défunte mère. Hélas pour lui, il en avait toujours été autrement. Mireth était une forte tête, à tel point que, quand ils étaient jeunes, et s’amusaient à échanger leurs rôles, c’était souvent elle qui se faisait gronder, car elle faisait les plus grandes bêtises. La règle de succession, au sein de la noblesse, était néanmoins claire. La primogéniture masculine s’appliquait, et, même sans la question du sexe, Valaën était né le premier. Sur ce point, les elfes étaient intransigeants, car c’était à ce prix, certes injuste, qu’on avait pu éviter mettre fin à d’anciennes guerres de succession qui avaient bien failli engloutir Néréthil. Valaën était néanmoins le premier à juger de telles règles absurdes, car, s’il était un guerrier, il se voyait davantage à mener des armées à la bataille, et à laisser à Mireth le soin de gouverner le pays en son absence. Petite, elle avait toujours été une fonceuse, plus adroite que son frère sur les questions politiques, mais, au fur et à mesure que ses formes apparaissaient, les prescripteurs avaient donné à chacun des enseignements différents. À lui les stratégies militaires, à elle la philosophie. À lui les séances d’escrime, à elle la méditation et la prière. Or, c’était lors de ces séances de méditation que Mireth avait commencé à développer d’importants pouvoirs magiques.
Mireth était aujourd’hui l’une des plus puissantes magiciennes du royaume, ce qui, normalement, l’autorisait à rejoindre le front. Cependant, Père avait catégoriquement refusé qu’elle affronte les Orcs, et, en ce domaine comme en bien d’autres, le Roi savait se montrer buté quand il le voulait. Valaën, néanmoins, l’était tout autant, car il avait étudié le droit, et espérait bien réussir à mettre en avant certaines coutumes anciennes pour amener Mireth à régner, au moins pendant son absence. Mais, pour l’heure, au-delà de toutes ces considérations politiques et théoriques, c’était bien autre chose qui le traversait.
*
Mireth...*
De toutes les personnes du royaume, c’était bien Erynith qui connaissait leur lourd secret. Les deux elfes étaient célibataires, et ce n’était pas pour rien. Ils étaient amoureux l’un de l’autre, et Erynith, qui était l’amie d’enfance de Mireth, l’avait rapidement compris. Les deux étaient en réalité très proches, car Erynith était également un véritable garçon manqué, une redoutable tête brûlée, qui avait suivi les mêmes enseignements magiques que Mireth. Elle venait, elle aussi, d’une grande famille, mais n’avait jamais cherché à se marier, et avait fait ses classes militaires avec Valaën. C’est ainsi qu’elle avait compris qu’ils s’aimaient.
L’inceste était mal vu à Néthéril, comme dans bien d’autres civilisations, et Valaën avait craint, à l’époque, qu’Erynith ne les dénonce. Cependant, et malgré son sens aigu du devoir, la jeune femme avait choisi de se taire, et, même, de les aider. Aujourd’hui, Valaën lui faisait conscience, et c’était d’ailleurs Erynith qui allait les couvrir pour cette fois. En voyant sa sœur, Valaën s’élança vers elle, et serra son corps contre le sien, heureux, tellement heureux de revoir sa sœur. Demain, il s’en irait loin, et ça, Mireth le savait très bien, tout comme ils savaient que c’était là son devoir. Néréthil avait des défauts, mais il fallait bien admettre que c’était un royaume magnifique, et que Valaën, ni Mireth, n’avaient envie de l’abandonner aux mains des Orcs, des sauvages anthropophages hideux et monstrueux.
«
Toi, Mireth, tu as peur ? Diable, c’est donc que cette journée est vraiment exceptionnelle... »
Valaën avait toujours eu un sens de l’humour plus accru que sa sœur. Avec l’âge, leurs différences, tant physiques que mentales, s’étaient accentuées. Valaën, par exemple, avait eu des yeux verts un peu plus vifs que sa sœur, ce qui était progressivement apparu.
«
Mais les furolucioles sont sorties ce soir, Mireth... Elles nous protègent, et j’ai entendu Mère dire qu’elle me protégeait. »
Simples phénomènes atmosphériques pour certains, pour d’autres, les furolucioles étaient la manifestation des âmes des morts. Quand un elfe mourait, son corps retournait à la poussière, mais son âme, elle, était scellée dans l’écorce de l’arbre, et remontait à l’air libre, se manifestant alors en une sorte de luciole incandescente. On disait que, certains soirs, on pouvait voir, à travers les furolucioles, la manifestation d’êtres chers et morts. Une simple illusion d’optique, en réalité, car iles furolucioles étaient, avant toute autre chose, des phénomènes magiques. Chacun des Arbres géants de Néthéril sécrétait de la magie, le long de son écorce, de ses fruits. Et les furolucioles faisaient partie des arbres, comme la dernière étape du cycle de la vie et de la mort. Mireth avait le pouvoir de les utiliser, et, il y a de cela quelques années, elle avait mené la Danse de Lumière sur le Lac. Au coucher du soleil, elle s’était tenue sur l’eau, un bâton magique dans la main, et, devant une grande assemblée d’elfes, avait dansé, invoquant les furolucioles. Valaën se rappelait encore de cette scène, transcendante de beauté et de majesté, où le corps de Mireth flottait au milieu de ces boules de lumières qui tourbillonnaient lentement autour d’elle, s’envolant dans les cieux.
La Danse de Lumière était un rituel important pour les mages, qui marquait, symboliquement, la fin de leur formation. Sur ce point, Mireth avait été la plus jeune elfe à mener ce rituel. Au-delà de ça, néanmoins, la Danse était aussi un phénomène très important pour Néthériel, car les furolucioles, en ce qu’elles étaient le vecteur entre la vie et la mort, devaient aussi être guidés dans les cieux. Autrement, elles restaient sur place, et pouvaient donner lieu à des malédictions, ou à des monstres. Ainsi donc, quand une guerre approchait, il fallait danser pour guider l’âme des morts vers les cieux, et c’était là le rôle premier des magiciens. Pour toutes ces raisons, Valaën espérait bien amener Mireth à avoir un rôle important.
En somme, il fallait retenir des furolucioles qu’elles étaient centrales, aussi bénéfiques que potentiellement maléfiques. Chaque soir, autour du Lac de l’Étoile, les prêtres envoyaient dans les cieux les âmes des personnes mortes, et c’était à cette occasion qu’on priait, afin d’avoir la bénédiction des morts, les elfes devenus des Esprits, et qui veillaient sur les vivants et sur leur héritage.
Mireth proposa alors à Valaën d’aller dans le bosquet, et ce dernier hocha la tête. Erynith choisit ce moment pour intervenir :
«
Vous n’aurez qu’à me suivre, je connais le chemin pour éviter les gardes. »
À Néréthil, les
Légionnaires avaient tous une armure à peu près similaire, comprenant, soit une arme de combat, soit un arc. Toutefois, dans les hauteurs, les légionnaires étaient remplacés par les
Gardes royaux, et il était largement préférable que Valaën et Mireth ne soient pas repérés par eux lors de leur escapade vers le bosquet.
Valaën remercia donc Erynith, et, tandis que la femme se mettait en marche, il posa une main sur l’épaule de sa sœur, la retenant.
«
Attends... Il y a encore une chose que je dois faire, et je ne saurais m’y soustraire. »
Et, en lui souriant, il posa alors une main sur ses cheveux, et se pencha vers elle, scellant sur ses lèvres un tendre baiser.
Une étape indispensable avant d’envisager le reste, assurément.