Le prince
Nazir avait chevauché toute la nuit. Il était fourbu, mais un sourire satisfait flottait sur ses lèvres charnues ; aujourd'hui serait un grand jour pour la tribu El Nashra ; l'alliance entre le peuple nomade et celui des plaine allait être scellé par son mariage avec la fille du souverain de Boréalis. Contrairement à ses ancêtres, d'impitoyables razzieurs, le
roi Malik prêchait depuis des années l'entente
cordiale avec leurs voisins des plaines. Le vieux guerrier avait cessé d'envahir les villages frontaliers du Désert, lorsqu'il avait compris qu'un jour ou l'autre, le peuple des plaines, plus nombreux et avancé que les tribus des sables, risquait de les détruire. Et s'il avait une chose à laquelle tenait particulièrement son père, c'était la survivance de sa race. Des peuples dits nomades, la tribu Al Nashra était l'une des plus redoutée. Ses guerriers, vifs comme le vent, apprenait à manier le sabre dès l'âge de six ans, et assistaient leurs aînés sur le champ de bataille à onze printemps.
« Halte. » Nazir ralentit la course de son cheval du trot aux pas ; la gigantesque porte fortifiée de
Boréalis se dressait devant ses yeux ébahis. La cité se dressait sur une colline, à une centaine de kilomètres de l'orée du désert. Le climat y était plus clément et l'herbe y poussait drue.
« par Hazir, cette cité est imprenable, je comprends mieux les résolutions de mon père », grogna-il en avisant les remparts et contreforts qui entouraient la ville.
« les remparts de Boréalis sont l’œuvre du roi Primus Ier, dit le bâtisseur, il y a trois cent ans. On raconte qu'il en aurait dessiné les plans lui-même », intervint
Thélos en s'arrêtant à sa hauteur. Le vieil homme arborait un sourire amusé. «
Te voici de retour à la maison, vieil homme. Qu'en dis-tu ? Devrais-je t'affranchir ? », lui rétorqua Nazir, goguenard. Thélos en effet, était issu du peuple des plaine. Il avait été capturé alors qu'il n'était qu'un jeune prêtre en pèlerinage. Il était rapidement devenu le confident de Malik puis l'un de ses conseillers, refusant même de recouvrer sa liberté lorsque cela lui fut proposé. La raison en était simple : l'amour. Thélos s'était en effet épris de sa tante,
Amalya. Celle-ci était veuve et si le droit en vigueur dans la tribu n'autorisait pas le remariage, ils vivaient depuis bien longtemps en époux et deux enfants étaient né de leur union. Le vieil homme avait éduqué le jeune prince Nazir depuis son enfance, et ce dernier lui vouait une grande affection et un profond respect.
« Plutôt mourir. Les femmes des plaines sont placides comme des ruminants. », ironisa-il, alors que les gardes de la poterne qui surplombait le portail sonnèrent du cor et que les deux battant s'ouvrirent lentement.
Nazir haussa un sourcil inquisiteur.
« N'est-ce pas là le comportement attendu d'une bonne épouse ? »Le prince était un fameux guerrier, mais par certains aspect, un niais. De taille moyenne, il avait une silhouette athlétique aux muscles saillants et noueux, la peau cuivrée une chevelure indisciplinée qu'il camouflait sous son turban et de beaux yeux verts. La courte barbe qu'il arborait le vieillissait de quelques années. Il avait eu plusieurs amantes, notamment des courtisanes, qu'il troussait avant de les prendre vigoureusement, sans préliminaires. Son mariage, quelques années plus tôt, avec une fille d'une tribu rivale était tombé à l'eau. Depuis ce jour, Malik travaillait à l'unir à Thalia, de cinq ans sa cadette, fille du roi de Boréalis, qu'il n'avait jamais vue et dont il se souciait comme d'une guigne ; seul le
résultat lui importait : l'alliance de leurs deux peuples.
« Mon cher Nazir, vous êtes un imbécile. Seul les vieillards et les invertis se satisfont des épouses trop dociles. J'ose espérer que vous comprendrez bientôt pourquoi. » Le vieil homme eût un sourire énigmatique, alors que la petite troupe pénétrait dans la ville, le prince des Sables en tête. «
La princesse Thalia est loin d'être une cruche, vous aurez fort à faire », s'amusa-il, alors que Nazir, agacé, haussait les épaules, agacé. Le sexe était pour lui un besoin physique pressant, au même titre que manger ou boire, mais n'avait pas la portée récréative que Thélos semblait lui donner. En effet, après la cérémonie, son mariage devait être «
consommé », lui avait appris Thélos. Ce qui signifiait que tant qu'il ne couchait pas avec sa femme – en l'
engrossant si possible – le mariage n'avait aucune valeur juridique et pouvait être, sous quinzaine, annulé à la demande de quiconque y avait un intérêt. Les règles juridiques des plaines étaient complexe, mais Nazir en comprenait la logique ; il fallait assurer la lignée royale coûte que coûte.
Une bonne vingtaine de minutes plus tard, dépouillé de ses armes, Nazir entrait dans la
salle du trône , Thélos à sa droite. A son arrivée il avait été prié de faire sa toilette, mais il avait refusé d'un geste du revers de la main. Le bain attendrait. Les six guerriers qui l'accompagnaient jetaient des regards autour d'eux, sidérés par la richesse des lieux, la hauteur des plafond et la beauté des dorures. Peut-être avait-ils l'impression de n'être que de vulgaire rustres au milieu d'une telle magnificence... C'était en tout cas ce que ressentait Nazir, qui s'efforçait de rien laisser paraître, le regard fixé sur le fond de la pièce ou trônait le couple royal et... Sa
promise, que la distance ne lui permettait pas encore de bien voir. Agacé par les chuchotements incessants de la foule immobile, massé de chaque côtés de l'allée pavée, Nazir serrait les dents.
« Lorsque vous serez à huit pas, vous devrez vous agenouiller devant le siège du souverain, et ne vous relever que lorsqu'il vous en donnera l'autorisation », lui glissa Thélos d'une voix inquiète.
« Je sais tout cela, vieil imbécile », grogna-il entre ses dents. La vérité était qu'il rechignait à ployer le genoux devant quiconque, souverain ou pas. Cependant à huit pas, il s'agenouilla avec raideur, la pointe de son sabre recourbé heurtant le marbre du sol.
« Monseigneur, je me présente aujourd'hui devant vous pour requérir la main de votre fille, la princesse Thalia de Boréalis. »Nazir avait parlé d'une voix claire et forte, mais avec un accent à couper au couteau. Si sa connaissance du langage des plaines était assez bonne, il avait des difficultés à le prononcer correctement. Voyons cette petite gourde. Contrevenant au protocole, Nazir releva légèrement le menton et tourna la tête sur sa gauche. Juchée sur un siège surélevé un peu en retrait, la princesse l'observait d'un air singulier. Avec ses yeux bleus, son teint d'albâtre, sa longue chevelure de jais et son port altier, elle était
magnifique.