Kaori pensait ne pas réussir à se concentrer pour les examens. Elle avait tout simplement trop de choses en tête qui venaient la tracasser. Sa mère, ces étranges rêves, et sa relation avec Ayumi. Elle lui avait dit qu’elle n’était plus vierge, qu’elle avait déjà fait l’amour, et elle avait tenté de lui faire l’amour hier soir. Et ça, Kaori avait beau se forcer à se dire de ne plus y repenser, son esprit, comme figé, bloqué sure cette case, ne cessait de revenir dessus. Elle ne cessait de revenir à ce moment où les deux femmes s’étaient embrassées. Est-ce qu’elle regrettait de l’avoir poussé ? Est-ce que, dans un coin de son esprit, elle se disait qu’elles auraient dû continuer, et que Kaori avait, sous couvert d’une gêne, juste laissé parler ses peurs enfantines ?
Bien sûr ! Elle ne reprochait rien à Ayumi, mais à elle-même. Elle avait adoré chacun des baisers d’Ayumi, mais, quand cette dernière avait commencé à parler de sodomie, et à envisager d’explorer ses fesses, là… Là, Kaori avait craqué. Avec le recul, elle estimait qu’elle avait flippé, car ça avait fait trop pour elle. Et elle, elle était sûre de ne pas avoir rêvé ce moment, ce qui soulevait une autre question, qu’elle reliait à leur vision commune. Que s’était-il passé, ensuite, cette nuit ? Comment avait-elle fait pour se retrouver des toilettes au lit, sans aucun souvenir entre ces deux évènements ? Certes, certes, Kaori savait que, quand on dormait, on ne se souvenait pas des derniers instants précédant le sommeil. On pouvait essayer, Kaori l’avait souvent fait… Tenter de se rappeler, précisément, du moment où le corps sombrait dans l’inconscience… Mais c’était impossible. On avait beau triturer la chose dans tous les sens, on se souvenait tout juste du moment où on allait dans le lit, ou des multiples mouvements où on tourne dans tous les sens quand le sommeil, taquin, se refuse à venir, mais, quand ce dernier vient, la mémoire s’en va.
C’était visiblement quelque chose de similaire qui était arrivée aux deux filles, mais… Kaori ne pensait quand même pas s’être endormie sur le pot des toilettes, si ? En tout cas, elle était alors bien trop perturbée pour, à son sens, être victime de sommeil instantané… C’est donc qu’il y avait quelque chose de pas net, et, de manière très étonnante, cette nuit improbable avait réveillé, chez elle, son envie de comprendre toutes ces phases d’ombre. Autrement dit, les rôles, entre les deux sœurs, s’étaient inversés.
Et, pour l’heure, les examens…
L’examen n’avait pas lieu au lycée Mishima, mais dans un bâtiment proche : un amphithéâtre de l’université de Seikusu, ladite université étant située dans la même zone que le lycée, sur une sorte de grands campus scolaire à l’américaine. Les places étaient déjà attribuées, mais, comme c’était par ordre alphabétique, Kaori et Ayumi se retrouvèrent ensemble. Deux épreuves aujourd’hui.
Le système des épreuves était très compliqué au Japon. Ce qu’il fallait en retenir, c’est qu’il était difficile, et surtout très anxiogène. Kaori n’avait qu’à tourner la tête pour voir la nervosité, palpable. C’était le jour fatidique, un jour qui, pour certains, était préparé dès l’âge de six ans. Il existait, en effet, des écoles spécialisées, conçues uniquement dans le but de cet examen, qui entraînaient les enfants de 6 à 15 ans. C’était une préparation supplémentaire aux cours obligatoires, rallongeant les journées. Kaori sentit donc très vite toutes les autres questions disparaître au profit de la nervosité de l’élève qui était en train de risquer sa vie.
Chaque université proposait son propre concours, mais il y avait aussi, parallèlement, un concours public, destiné aux universités japonaises publiques, le « Daigaku Nyūshi Sentā Shiken », que Koari et Ayumi étaient, de fait, en train de passer. Les étudiants se rassuraient en se disant que ces épreuves avaient baissé de difficulté, car, du fait du faible taux de natalité japonais, les universités étaient face à un gros problème : un manque d’élèves, et donc, par conséquent, un budget réduit. Or, à moins d’espérer une nouvelle génération de baby boomers au Japon, ce qui était fort peu probable, vu le taux de morosité et une croissance qui frôlait la déflation, le meilleur moyen restait encore de diminuer la difficulté des épreuves, et d’accepter plus d’élèves.
Cinq épreuves composaient la journée : l’épreuve de citoyenneté (100 points par chaque sous-matière), se subdivisant en quatre sous-épreuves pour une durée d’une heure, l’épreuve de géographie et d’Histoire (100 points par chaque sous-matière), pour une durée d’une heure également, l’épreuve de littérature japonaise (200 points, 80 minutes), puis, dans l’après-midi, la compréhension écrite des langues étrangères (200 points, 80 minutes), et la compréhension orale (50 points, 30 minutes). Le gros morceau avait donc lieu le matin.
Les examens débutèrent, et, comme à chaque fois que Kaori réfléchissait, on pouvait la voir sucer, entre ses lèvres, le bout de son crayon, un geste qui, à en croire Ayumi, ne manquait pas d’une certaine sensualité. Concentrée, elle se plongea dans l’épreuve de citoyenneté, puis aborda ensuite le reste des épreuves.
La journée qui défila fut donc très studieuse, même pendant la pause, et ce ne fut qu’une fois à la maison que Kaori se mit à soupirer.
Ayumi lui proposa ensuite, non pas de faire d’ultimes révisions, mais de retourner à leur recherche.
« Oh, euh… Oui, ça me semble une bonne idée !
Il fallait qu’elle pense à autre chose que les examens, et repenser au mystère de la disparition maternelle semblait être une bonne façon de le faire. Se déplaçant donc, Kaori commença par retourner dans leur chambre, et alla saisir, dissimulé dans leur placard, un gros classeur, qui comprenait l’enquête personnelle des deux filles sur la disparition de leur mère. Si la police avait dû, depuis longtemps, oublié cette histoire, Kaori, elle, n’avait jamais lâché prise, et avait constitué, avec Ayumi, un solide dossier autour de sa mère, de son passé, lui cherchant des ennemis, ou se renseignant sur ce parc. Revues de presse, blogs, ce classeur était une compilation d’années de recherche, mais sans aucune conclusion… Car il n’y en avait aucune à fournir.
Kaori retourna dans la salle à manger, et posa le classeur au milieu de la table… Puis son portable sonna.
« Oh ! C’est Papa ! »
Elle mit le haut-parleur, et prit l’appel.
« Salut, Papa !
- Salut, mes chéries ! Alors, ces examens ? J’ai pensé à vous toute la journée, j’ai même prié devant un kami ! »
Il n’y avait que lui pour honorer cette vieille tradition superstitieuse…