Était-elle finalement morte ? Flottait-elle dans le Paradis des nekos ? Maîtresse Alaunriina lui avait souvent répété que la mort n’était qu’une répétition de la vie, et que Luna serait toujours son esclave. Même la mort ne pourrait pas la séparer de ce statut. Seule Maîtresse Alaunriina le pouvait, comme elle le disait. Seule elle avait le pouvoir de faire déchoir Luna, de la répudier, d’en faire une femme
libre, soit une moins-que-rien. Une perspective ô combien terrifiante, en réalité. Luna baignait dans l’obscurité la plus totale, sans comprendre où elle était, sans
savoir où elle était. La mémoire, lentement, lui revenait... Le clan, où elle gambadait joyeusement dans la forêt, nue... L’attaque des esclavagistes, le feu, les larmes, les flèches, les lances, les boucliers... Les nekos masculins embrochés et égorgés en essayant de défendre la forêt... Elle qu’on traînait sur le sol... Les hurlements, la peur, la souffrance... Tout tourbillonnait... Maîtresse Alaunriina la pénétrant longuement, Luna assise sur ses genoux... Luna en position de chienne, offrant généreusement ses fesses... Puis l’abandon, le départ, la déchéance... Sa Maîtresse lui avait dit qu’elle serait toujours là pour qu’elle, qu’elle veillerait constamment sur les intérêts de la petite Luna.
*
Mais la Maîtresse est partie, et je ne l’ai jamais revu...*
À la place, Luna avait voyagé : Maîtresse Mirei, puis Maîtresse Hinata...
«
Crois-tu donc que tu pouvais me fuir ? »
La voix, sombre, cruelle, chargée de perversion, évoqua des frissons dans le corps de Luna. Elle sentit, contre son dos, une texture fraîche et douce. Luna ouvrit les yeux, clignant lentement, et reconnut le trône de Maîtresse Alaunriina. Des colonnes en marbre interminables, un tapis rouge s’étalant vers les magnifiques pieds sombres de la Drow. Luna se retrouva à quatre pattes, toute nue, nerveuse, terrorisée, et, en relevant lentement la tête, elle la vit.
Maîtresse Alaunriina Arkenviir, triturant dans l’une de ses mains griffues ses longs cheveux violets, sa légère robe rouge glissant le long de son corps.
«
Maî... Maîtresse... » murmura faiblement Luna, abasourdie.
Maîtresse Alaunriina l’avait-elle finalement retrouvé ? Luna déglutit, et entreprit de s’avancer... Mais ses pattes semblaient comme bloquées dans le tapis, comme si ce tapis était fait d’une colle. Luna essaya de se débattre, de tirer sur ses membres, mais ceux-ci restaient obstinément coincés, bloqués contre le tapis.
«
Maîtresse ! Maîtresse !! »
La panique montait dans son ton. Les yeux de rubis de Maîtresse Alaunriina semblaient l’observer, lorsqu’elle entendit des pas trottiner. À côté d’elle, sans même la regarder, elle se vit s’avancer vers la Maîtresse. Une autre Luna, une autre version d’elle-même, alors que Luna était en train de s’enfoncer dans le tapis rouge, et de sombrer dans l’obscurité, sentant un froid glacial s’emparer d’elle. D’une main délicate, Maîtresse Alaunriina défit sa robe, et, tout en léchant et en mordillant son pied, l’autre Luna, l’
usurpatrice, remonta lentement, le long de sa jambe, jusqu’à se glisser entre ses cuisses.
Maîtresse Alaunriina posa ses mains sur la tête de Luna, ses doigts se crispant contre sa tête, alors que Luna cherchait encore, très inutilement à se débattre. Elle pouvait sentir le souffle du désespoir et de la solitude remonter le long de son échine. L’autre Luna suçait joyeusement le membre tendu de Maîtresse Alaunriina, et l’obscurité la recouvrait intégralement, de plus en plus. Des grains ténébreux heurtaient son corps nu. Luna pleurait, consciente qu’elle était
seule, désespérément
seule, seule et isolée, abandonnée...
«
Maîtresse !! »
Dans l’obscurité, personne ne lui répondit. Le noir dominait intégralement, l’enveloppant totalement. Elle se mit à courir, pleurant, mais personne ne lui répondait. Personne ne répondait à ses cris, à ses hurlements, à ses supplications. Il n’y avait personne.
Personne.
Luna était seule, désolée, abandonnée. La petite neko trottinait dans une obscurité profonde. Le sable fouettait son corps, la meurtrissant, et, au milieu de ce néant noirâtre étouffant, elle s’effondra sur le sol, fermant les yeux... Sans aucune réaction notable. Elle n’en pouvait plus, tout simplement. Ses petites pattes refusaient de la porter davantage, tout son corps pliait sous sa volonté défaillante.
*
Seule, seule... Luna est seule... Seule et triste, avec personne, plus personne pour partager sa souffrance... Minable petit boulet ne pouvant se débrouiller sans aucune aide extérieure...*
Luna ferma les yeux, essayant de retenir ses larmes, lorsqu’elle sentit, sur son visage, un vent d’air frais. En relevant la tête, l’obscurité était toujours là, mais il y avait une sorte de boule lumineuse qui descendait lentement du ciel, laissant dans son sillon des plumes dorées. Luna releva la tête, en clignant des yeux. La petite obule lumineuse était chaude, mais d’une chaleur qui n’était pas étouffante, mais vivifiante, réconfortante.
Une délicieuse voix résonna alors dans son esprit :
«
Réveille-toi, petite neko, réveille-toi ! Tu as bien assez dormir comme ça, à mon goût... »
Luna cligna des yeux, et sentit alors une lueur aveuglante éblouir ses yeux.
C’est ainsi que la neko sortit de son cauchemar. Quand elle se réveilla, sa vision était floue, mais s’accoutuma rapidement.
«
Ah, te voilà enfin réveillée ! »
Luna ne vit pas très bien la femme à la douce voix qui venait de lui parler, et répondit en se redressant brusquement, pour éternuer :
«
Kough ! Kough ! »
Elle constata qu’elle était dans un lit. En se relevant, elle avait dérangé deux chats, qui bondirent de part et d’autre du lit. Luna renifla, sa queue se déplaçant naturellement pour venir frotter son nez.
«
Tu nous as fait une grande frayeur, petite neko ! J’ai bien cru que nous allions te perdre... »
En levant la tête, Luna rougit légèrement en voyant le corps délicieux d’une
mystérieuse femme.
«
Je... Je... Je m’appelle Luna, et je... Je me suis perdue... »
Elle baissa ses oreilles, et sentit alors la femme poser sa main sur sa tête, la caressant. Ses oreilles se redressèrent subitement. La femme se présenta comme s’appelant Téti, et était la prêtresse de Bubastis, vénérant la Déesse Bastet. En entendant ces noms, Luna cligna des yeux, et releva la tête vers la femme.
«
Bubastis ?! Mais... C’est précisément ici que je devais me rendre !! Ma gardienne Jinn devait me présenter à la Déesse Bastet... La Déesse du miaou. »
C’était une manière assez enfantine de désigner les félins, mais Luna avait toujours eu cet esprit délicieusement enfantin et innocent.
Luna se mit alors à agir comme toute bonne neko, et renifla brièvement la femme.
«
Vous... Vous sentez très bon, glissa-t-elle alors.
Vous sentez le chat... Et une bonne odeur... Très, très bonne, même. »