Félicité : tel aurait été le mot qui aurait le mieux pu qualifier l’état d’esprit de Saïl en ce moment même, alors que la douce dame d’albâtre répondait à ses avances câlines par un rire qui aurait pu venir de la gorge d’un chérubin tellement il résonnait magnifiquement, s’égrenant en trilles légères, claires et sans défauts qui rendaient l'homme-loup toujours plus admiratif et attaché à cette jeune personne si unique. Il ne parvenait toujours pas à en revenir de la merveilleuse empathie dont elle faisait montre envers lui, comme si elle avait pu lire directement à travers ses yeux qu’il n’avait en réalité rien de bestial, qu’il restait un jeune homme timide au grand cœur dont les larges mains étaient faites non pour maltraiter mais pour étreindre comme elles le faisaient en ce moment, posées le long du dos si agréablement lisse d’Ellane dont elles épousaient les formes souples et attirantes… une attirance qui se portait aussi sur la croupe de la gente demoiselle dont il aurait également été enclin à sentir les formes s’il ne s’en était pas rigoureusement abstenu, conscient qu’un tel geste aurait été parfaitement digne d’un mufle.
De son côté, sa partenaire paraissait tout autant aux anges que lui, son humeur se reflétant sans laisser beaucoup de place au doute sur le large sourire qu’elle affichait, et qui diffusait un sentiment d’accomplissement teinté d’un bonheur supérieur à tout ce qu’il avait connu jusqu’à maintenant : ce sourire, plissement harmonieux de cette bouche désirable aux dents perlées, lui paraissait la chose la plus merveilleuse au monde ; une splendeur de féminité et de spontanéité qu’il aurait été vain de vouloir égaler ou même reproduire. En même temps qu’il était pénétré de joie, il ne pouvait empêcher de sentir l’arrière-goût d’une émotion plus insidieuse que le contact incomparable de cette humaine instillait en lui : la jalousie. Il se sentait comme un alpha qui se serait vu accordé le privilège incommensurable de la compagnie de la plus splendide louve au monde, et de pair avec la conscience de la valeur de cela venait le désir d’une possession réciproque sans partage, d’un cocon d’harmonie fusionnelle qui aurait pu exclure le monde entier. Oui, comme elle le disait, ce qu’ils échangeaient lui plaisait, elle lui plaisait, et il sentait déjà une profonde accoutumance qui s’emparait de lui ; il avait beau savoir que cela avait très scientifiquement trait à la production d’endorphines provoquée par un jeu complexe de réactions hormonales entre Ellane et lui, il ne se jetait pas moins corps et âme dans cette sensation nouvelle, acceptant avec une audace sans réserve tout ce qui pourrait y avoir trait. Tant que c’était avec Elle, il se sentait prêt à tenter n’importe qu’elle aventure, si risquée fut-elle, tous les obstacles éventuels ne lui apparaissant que comme des complications mineures qu’ils pourraient surpasser sans effort du haut du nuage sur lequel ils semblaient flotter.
Il était ravi ; ravi au sens le plus littéral du terme qu’elle se resserrât contre lui avec si peu de réserve, qu’elle se laissât aller à toucher avec un tel naturel ce corps qui en avait empli plus d’un d’effroi, cette masse de puissance brute dont toute la puissance destructrice ne semblait qu’un souvenir incongru lorsque l’adolescente y passait ses doigts fins, contact le plus étroit que Khral eût jamais connu, et qui ne manquait pas de lui faire éprouver une certaine vulnérabilité dont l’importance se voyait fortement diminuée par celle qui promenait ainsi ses mains sur sa fourrure : si c’était elle, il n’avait rien à craindre. Elle avait toujours ce couteau accroché à sa jambe, mais quand bien même elle aurait été capable de lui percer le cœur de cette lame sans coup férir, il ne se serait jamais méfié d’elle. Après tout, elle accordait bien une considérable confiance à la machine de guerre potentielle qu’il était en restant ainsi à ses côtés, alors le moins qu’il pouvait faire en retour était de baisser ses défenses pour la laisser le détailler autant qu’elle le voulait, d’autant plus que ces attouchements étaient tout sauf désagréables, chaque parcelle de son corps où les pseudo-jambes passaient dégageant comme un bref et délicieux frisson électrique. Quand elle mentionna sentiment d’aise qu’elle éprouvait à son égard, il crut un moment éclater d’une joie incrédule tant il n’aurait pas cru possible que quelqu’un puisse lui dire une chose pareille un jour : lui le rat de laboratoire qui était aussi à l’aise en société qu’un éléphant dans un magasin de porcelaine était parvenu à trouver une telle réciprocité dans ce qu’il ressentait envers une personne de sexe féminin ! Cela dépassait toutes ses attentes… décidément, cette nuit avait un caractère de rêve, et il caressait l’espoir de ne pas avoir à s’en réveiller avec le lever du jour.
A la fois extraordinairement détendu et intimidé, il la laissait faire sans opposer aucune résistance ni manifester aucune réaction particulière, se contentant de la maintenir tendrement contre lui, ses yeux marrons plongés dans ceux à la profonde couleur marine de la beauté dont les appendices manuels fuselés avaient pris prise sur sa gorge, geste contre lequel sa partie animale se montra un instant réticente avant d’en concéder l’exclusivité à cette jeune fille pas comme les autres. C’est que pour un loup, présenter sa gorge à quiconque était la plus grande marque de confiance ou de soumission concevable et, qu’elle en fût consciente ou non, Ellane pouvait se dire qu’elle se voyait accordée là une proximité peu coutumière pour cet homme-loup chez qui la réserve primait en plus de la méfiance.
Docile, il savoura pleinement les caresses qu’elle offrait à son large visage velu, rappel quelque peu douloureux de sa condition de paria bestial, mais cela revêtait peu d’importance avec elle, en la présence de qui il se sentait recouvert par une bulle protectrice, par l’aura apaisante qu’elle dégageait. Il sentait qu’elle explorait le haut de son corps, chaque parcelle de sa peau semblant soumise à un examen d’une innocente transcendance, comme si aucun de ses muscles ne lui aurait pu être méconnu. Bien entendu, tel était aussi le cas de Saïl, pour qui le corps humain n’avait aucun secret, mais chez cet être adorablement candide, une telle connaissance semblait instinctive, tout ce qui l’entourait semblant se dévoiler dans tout ce qu’il pouvait révéler à cette princesse à la peau pâle, lui le premier : il voulait ne rien avoir à lui celer pour lui montrer à quel point elle était spéciale à ses yeux.
Il n’en revenait pas de l’harmonie qu’il se sentait avoir avec elle, et qu’elle semblait réciproquement se sentir avoir avec lui d’après la façon dont elle se lova contre lui comme pour chercher une protection qu’il était plus que prêt à lui offrir et que lui-même trouvait d’une certaine manière chez elle : il avait peut-être largement la main haute en matière de force physique, mais niveau force psychologique, elle avait incontestablement l’ascendant sur lui, balayant ses craintes, chassant ses peurs, raffermissant sa confiance en lui...
Il se souvint à ce moment du désir qu’il avait éprouvé lorsqu’il l’avait vue pour la première fois quelques minutes auparavant à peine. A ce moment, de telles aspirations paraissaient éminemment chimériques, mais rien ne semblait désormais pouvoir s’interposer entre leur idée et leur réalisation…
Doucement, aussi précautionneusement que si Ellane eût été en verre fin, il se ramassa en position fœtale, réservant un creux contre son abdomen de manière à ce qu’elle pût y être installée le plus confortablement possible tandis que les longs bras du loup-garou raffermissaient leur enlacement sur elle jusqu’à la maintenir si étroitement que seul un creux la laissait encore apercevoir, tache blanche au sein de ce sécurisant abri rembourré vivant. Il aurait voulu pouvoir l’étreindre plus fortement encore, mais, conscient de sa puissance démesurée, il se contenta de ce resserrement tendre qui lui apportait de toute façon un incroyable bonheur. Son museau désormais au niveau du sommet de son crâne à elle, il ne put cette fois-ci résister à la tentation et embrassa amoureusement et à plusieurs reprises cette étendue de cheveux lisses qui recouvraient une tête si magnifiquement faite, aussi bien extérieurement qu’intérieurement, tandis que ses grandes paluches habituées au manipulations délicates frottaient habilement le dos de sa chère et tendre en des mouvements d’une douce précision qui n’omettaient aucun muscle, ses doigts s’appuyant là où le fallait pour que ce massage exécuté avec une précision toute chirurgicale apportât toute la relaxation possible à celle qui méritait toutes les attentions du monde.
Lorsque son envie de baiser l’odorant chevelure fut –momentanément- rassasiée après une demi-douzaine de bises pleines de chaleur, il s’arrêta un moment sans pour autant cesser de vouer ses bons soins aux parties dorsales de sa douce. Toutefois, une autre pulsion insatisfaite continuait de cogner dans sa poitrine ; quelque chose qu’il redoutait de demander de peur de se le voir refuser tant il était conscient de ce que cela pouvait exiger comme dévoilement de l’intimité tout en sentant qu’il ne pourrait le refouler éternellement. Pour cette raison, il s’enhardit et, sans oser hausser le ton pour éviter que sa grosse voix ne rompît l’harmonie sonore des lieux, prit son courage à deux mains pour demander ce qu’il n’avait presque jamais osé demander à une fille :
« Elly…est-ce que tu serais d’accord pour… »
Sous un élan soudain de timidité, sa résolution vacilla un instant. Qu’allait-il lui demander là ? Quelque chose qu’elle aurait été bien en droit de refuser étant donné qu’ils se connaissaient depuis si peu de temps ; d’autant plus qu’il était un énorme loup-garou, et se livrer à pareil exercice aurait par conséquent été pour le moins inconfortable…
Et pourtant, la certitude sourdrait dans son âme que s’il voulait le faire avec quelqu’un, c’était bien avec Ellane, et que, peut-être, elle en avait elle aussi envie. Il ne se sentait plus de reculer davantage le moment d’une telle proposition, comme si le désir qu’il en avait eût été sur le point d’exploser : il le voulait à ce point qu’il ne pouvait faire autrement que s'essayer à telle suggestion, même au risque d’essuyer un refus !
« …pour que je t’embrasse ? » Termina-t-il en un murmure embarrassé.
Hé oui, Saïl était fleur bleue ! Qu’aviez-vous cru ?