Les Loving étaient une famille aristocratique nexusienne qui avaient toujours eu un goût immodéré pour l’archéologie. Le manoir familial, de fait, fourmillait de malles, de coffres, et d’anciens artefacts, tous plus poussiéreux les uns que les autres. Une passion qu’on devait surtout au grand-père de la famille, William I, que son fils, William II, avait repris, mais pas le dernier descendant cette famille, William III. Lui avait choisi de devenir docteur, et, entre-temps, les trésors archéologiques contenus dans le grenier des Loving avaient commencé à prendre la poussière. Parmi ces artefacts, il y avait quand même bon nombre de breloques et d’antiquités poussiéreuses et rutilantes, sans grand intérêt. Il y avait en effet beaucoup d’arnaques, ou des talismans déchargés, de sorte que tout cela apparaissait comme étant fait de bric et de broc.
Aujourd’hui, William III devait retourner au manoir familial. Il avait récemment été prévenu par l’étude Codringher & Fenn, juristes de Nexus, du décès de ses parents. Une mort naturelle, accidentelle, alors que les deux prenaient des vacances sur un bateau. Une tempête avait brisé la coque du bateau, et leurs cadavres avaient été retrouvés. Codringher & Fenn, étude regroupant à la fois des avocats, des huissiers, et des notaires, avait donc invité William III, en tant qu’unique héritier, à se rendre sur place, afin de procéder à l’inventaire, aux fins d’établir la succession par la suite.
Toutefois, parallèlement à cette invitation, le notaire remit à William III un testament olographe, rédigé par sa mère, enregistré aux minutes de l’étude il y a plusieurs années :
« Mon Cher William,
Si tu lis cette lettre, c’est que je ne suis malheureusement plus de ce monde. Je sais que cette nouvelle devra t’attrister, mais sache que je n’ai rien à regretter, car j’ai mis au monde le plus brillant des enfants, toi. À l’heure où j’écris ces lignes, tu angoisses à l’idée de passer le concours pour devenir médecin, mais je sais que tu y arriveras. Tu as hérité de toute l’intelligence de son père, et, même si ce dernier aurait aimé que tu reprennes la marche de son entreprise, je suis heureuse que tu aies choisi de mener ta propre voie. J’espère sincèrement que, quand tu écriras ces lignes, tu seras toujours avec Annie. Je sais que j’ai eu quelques mots avec elle, mais, à la sagesse de la nuit, je réalise que j’étais juste jalouse de voir que mon fils allait me quitter...
Outre te souhaiter tous mes vœux de bonheur, je souhaite aussi que tu fasses attention à mes vieilles breloques, comme tu les appelles si bien. Je sais que tu n’as jamais autant cru que moi à la magie, et que tu as toujours préféré croire en la science. Étant morte quand tes yeux se poseront sur cette lettre, je veux que tu saches que j’ai toujours voulu ce qu’il y avait de mieux pour toi, et que je ne désespère pas que, un jour, tu croiras, toi aussi, à la puissance des arts mystiques. Je suis une sorcière, Willie. Je n’ai jamais cessé de suivre le culte de Sha, et je te demande de ne pas l’ébruiter, car tu sais comme moi combien ces cultes et ces rites sont mal perçus auprès de l’intelligentsia locale, notamment ces fanatiques de l’Ordre Immaculé... »
La mère de William, qui était, au demeurant, et à l’exception d’Annie, la seule personne au monde à l’avoir appelé «
Willie », avait toujours été accusée d’être une sorcière. Sa redoutable beauté, son appétit sexuel... Elle était une devineresse, ce qui avait toujours été source de conflit avec son fils, lui qui était bien plus cartésien.
« Ne me pleure pas, car, si je meurs, ce n’est que pour revenir sous une autre forme.
Je te demande juste, quand tu vendras mes biens, de conserver auprès de toi l’un de mes artefacts. Il est très puissant, mais je l’ai gardé pour toi. S’il ne réagit pas à ta présence, c’est que je m’étais trompée sur ton compte, mais, dans tous les cas, TU DEVRAS LE CONSERVER AVDC TOI ! Quoi qu’il arrive, ne laisse pas Maître Fenn l’inclure dans la succession, car, si l’Ordre Immaculé venait à avoir connaissance de son existence, tu serais, je le crains, soumis à la question.
Tu trouveras dans ma chambre ma boîte à musique. Il y a un double fond comprenant une clef. Prends cette clef, et rends-toi au grenier. Derrière le tableau familial, celui près du vieux fauteuil à bascule, tu verras un petit coffret rouge. L’artefact se trouve à l’intérieur. Prends-le avec toi, et dors avec lui une nuit. S’il ne se passe rien, alors tu pourras te dire que tu avais raison, et que je me suis trompée sur ton compte. Dans tous les cas, tu mèneras une vie qui ne sera pas dénuée d’amour.
Je t’aime, Willie. Je te souhaite le meilleur pour toi, que ce soit avec Annie, ou avec n’importe qui d’autre. Tu es mon fils, et rien ne changera jamais cet état de faits, pas même la mort.
Je t’aime, William. »
La boîte à musique était bien là. Cette vieille boîte avec laquelle Amara, la mère de William, endormait régulièrement son fils, une boîte qu’elle avait indiqué tenir de sa mère, et de sa mère avant elle... Et, dans un coin de la boîte, il y avait un petit crochet qui permettait de l’ouvrir, révélant ainsi un pendentif en forme de cœur, avec la clef à l’intérieur. Une délicate clef en argent, finement taillée.
Dans le grenier, un capharnaüm poussiéreux et moisi, il y avait le vieux fauteuil à bascule, sur lequel la grand-mère de William aimait coudre, et accueillait son fils sur les genoux. À côté, un vieux tableau, une «
infâme croûte », selon les termes de William II... Et, derrière, sous plusieurs cartons abritant des papiers jaunis, le délicat coffret. Un coffret rouge, qui scintilla légèrement quand William le toucha, les sceaux autour de lui se retirant...
...Et à l’intérieur, un étonnant cristal rougeâtre à la forme profilée :