Les choses se tassaient enfin avec cet espèce de fils de pute menaçant qu'était Connor. Jared se félicitait intérieurement d'avoir élévé la voix tout en roulant des mécaniques, puisque le texan avait semblé rapidement revenir à de meilleurs sentiments quand son vis-à-vis avait joué les durs. Pour Nomak, Connor avait seulement l'habitude de sortir sur numéro à quelques jeunes qui s'y laissaient prendre et avait pour la première fois trouvé de la résistance à son jeu de scène certes bien rôdé mais finalement assez fragile. Il avait donc suffit que Jared fasse le gros dos pour que Stephen réalise qu'il avait affaire à un de ces gars à-qui-on-ne-la-faisait-pas, ce qui lui avait coupé l'herbe sous le pied.
Voilà en substance comment le garagiste s'expliquait le changement d'attitude de Connor. Quant aux ombres qui avaient clairement dansé sur les murs, Jared préféra estimer qu'il été simplement trop fatigué pour s'enfiler une grosse rasade de bière comme il l'avait fait et que ça lui jouait des tours. C'était une raison somme toute bancale, mais Jared n'avait pas besoin de plus.
Néanmoins, Connor avait de la suite dans les idées et avait enchaîné sur une petite tirade à la con comme on pouvait en lire dans les romans ou en entendre dans les films. J ared, que son manque d'éducation et d'intêret pour des choses un peu éloignées de son quotidien très ordinaire avait rendu très rationnel, n'accorda aucune espèce d'importance au discours. Pourtant, sans qu'il ne le comprenne, les paroles de Stephen sonnaient justes. Comme si c'était quelque chose qu'il savait déjà ou que d'une certaine façon il avait envie d'entendre. Si Stephen avait le loisir de continuer à dégueuler ses sentences sybillines, il aurait été possible que Jared se prenne à les écouter avec une attention non-feinte. Mais les autres mécanos étaient arrivés et si l'inconscient de Nomak avait un instant basculé vers le Seuil entre le réel et l'astral, leurs voix fortes et leurs présences imposantes l'avaient ramené fermement sur Terre. Même les visions de ses cauchemars s'étaient alors dissipées et l'ex militaire avait retrouvé une contenance dont il était coutumier, bien qu'une sensation détestable lui vrillait encore l'estomac.
- T'sens pas obligé de revenir, fils. Pigé ? Le ton était menaçant, comme l'atitude de Jared. Quant à ses collègues, ils le connaissaient assez pour comprendre que Nomam ne proférait pas ce genre d'avertissement voilé sans raison. Leurs postures à ses côtés indiquèrent qu'ils se rangeaient avec lui et surtout qu'il était temps pour Connor de foutre le camp.
Il ne lâcha la Yamaha des yeux que lorsqu'elle disparut au coin de la rue, ramené à la réalité par quelques tapes amicales sur son épaule. D'ici quelques jours, Nomak aurait oublié l'incident même si le regard flamboyant de Connor n'aurait de cesse de lui revenir en tête tandis qu'il cauchemarderait plus fort que jamais.
D'un geste mécanique, Jared rangea la Béhérith sous son haut et aida ses collègues à fermer le garage. Une légère mais entêtante odeur de soufre le poursuivrait néanmoins tout le reste de la soirée, lui laissant le ventre noué.
******San San Beach était, de l'avis de tous les convives, une des plus belles plages de Jamaïque. L'île était assurément un paradis pour touristes dès lors qu'on en louait un petit bout et c'était tout à fait ce qu'avaient fait la bonne centaine de personnes qui se pressaient ce jour là autour des quatre généreux barbecue qui crépitaient sous un soleil radieux et un ciel des plus cléments tandis que les enceintes crachaient du reggae sur la plage où couraient quelques mômes joueurs. Jared était à mille lieux de Seikusu et des événements du garage, qu'il avait d'ailleurs oublié depuis un moment. Deux ans à préparer ce séjour en Jamaïque avaient aidé à passer outre un passage de sa vie que le garagiste avait décidé de classer comme "anecdotique" dans l'une des cases de sa mémoire.
Tout avait pourtant commencé un peu après le passage de Connor chez Todd's, quand il avait rencontré une délicieux brunette au hasard d'une sortie en ville. Les deux avaient rapidement sympathisé pour que finalement leur bluette romantico-sexuelle ne devienne une affaire des plus sérieuse, au point que Nomak était tout bonnement tombé sérieusement amoureux de la donzelle. Elle avait accepté ses nuits agitées et son manque de fantaisie tout en le poussant reprendre contact avec la plupart des gens qu'il avait rencontré durant ses pérégrinations autour du globe. "Pourquoi pas ?" avait pensé Jared avant que le projet ne se construise de plus en plus sérieusement pour déboucher sur un séjour de retrouvailles générales en Jamaïque. Aidé par sa compagne, tout avait semblé incroyablement facile pour Jared et la vie lui avait semblé un peu plus douce. Lui qui se contentait toujours de peu s'était surpris à vouloir toujours plus : le flirt ne lui avait rapidement plus suffit et il avait insisté pour passer à la vitesse supérieure, puis avait trouvé que son appart' était trop petit, sa vie trop miteuse. Il enviait la jeunesse des autres alors que sa quarantaine s'écoulait toujours un peu plus, il avait envié l'argent de celui-là, le talent de celui-çi... C'étaient là les affres de son Péché, que Jared avait œuvré à combler à force d'efforts qui s'étaient avérés payants. Sa situation s'était améliorée de façon assez conséquente et il estimait que tout allait pour le mieux pour lui.
D'amérique, du Japon, d'Europe et parfois d'ailleurs, ses amis avaient répondu à l'invitation de cette semaine de rêve. Tout un coin de plage leur avait été dédié et quelques maisonnettes accueillaient les invités et leurs familles, quand tout le monde ne se réunissait pas pour les repas et autres activités de groupe. La belle vie, à n'en pas douter.
C'était d'ailleurs ce qu'il évoquait dans le baiser qu'il imposa à sa compagne tandis qu'il lui ramenait une salade composée avant de s'ouvrir une bière pour trinquer avec les personnes alentours dans de tonitruants éclats de rire. Le pantacourt en lin et la chemise ouverte lui allaient mieux que le bleu de travail, même si la Béhérit était à la vue de tous. Bah, il disait simplement qu'il s'agissait là d'un bijou fantaisie, ce qui n'était d'ailleurs pour lui pas tout à fait faux.
- Je n'échangerais tout ça pour rien au monde, glissa t'il à sa brune en lui caressant tendrement la nuque.
Pour rien au monde. Cette résolution, bien qu'il était à des lieues de s'en douter, aurait bientôt à être vérifiée.