Dans sa
robe végétale, l’une des dernières inventions de sa ruche, Pamela avait un sourire sur les lèvres en voyant le spectacle s’offrant à elle. Elle se tenait dans les profondeurs de son antre, et, sous ses yeux, dans une espèce de bulle végétale, un homme, nu, se contorsionnait faiblement.
*
La transformation est bientôt achevée, songea une Ivy heureuse en caressant, avec sa main, la surface de cette bulle aqueuse.
C’est un homme nouveau, alerte, qui en sortira...*
Cet homme était ici depuis deux ou trois jours, maintenant. Ses proches devaient sans doute s’inquiéter, et seraient heureux de le revoir. Il assurait normalement une profession de routier, voyageant généralement entre Seikusu, Kyoto, et Tokyo, livrant et ramenant du matériel pour des usines et des entreprises. Jito, puisqu’il s’appelait ainsi, était un homme assez enrobé, qui, pour le coup, avait maigri, et qui ne se souviendrait pas de son passage ici. Ivy l’avait capturé quand il était venu au port de Seikusu, afin de convoyer du matériel de chantier vers Kyoto. Elle n’avait eu aucune difficulté à le capturer, et, depuis les égouts, il avait rejoint l’antre d’Ivy, pour se retrouver, nu, dans cette bulle, qui se situait dans une grande pièce cylindrique.
Il y avait d’autres bulles, chacune comprenant plusieurs couches de peau végétales. Quand Ivy se rapprochait d’une bulle pour en inspecter l’intérieur, elle n’avait qu’à forcer un peu, et les surfaces externes de la couche se retiraient, permettant de voir l’intérieur. Hommes ou femmes, petits ou grands, ils plongeaient tous dans cette substance, mais, selon les âges, le traitement était évidemment différent. Dans le cas de Jito, les tentacules s’enfonçaient dans ses parties intimes, mais tous avaient un tentacule enfoncé dans la bouche, qui remontait jusqu’au cerveau. Ce n’était pas très beau à voir, mais, comme ils étaient inconscients, ils n’avaient pas de raison d’être choqués. Le tentacule reliait alors l’esprit de la cible à celui du refuge d’Ivy, à ses plantes, et elle commençait alors à implanter ses idées en eux.
Jadis, Ivy aurait tué quelqu’un comme Jito, un homme qui urinait sans hésitation sur les fleurs, ou balançait ses cannettes de bière par la vitre de son camion. Un homme qui ne respectait pas la Nature. Jadis, elle l’aurait tué, ou transformé en esclave asservi à sa volonté. Maintenant, elle avait évolué. Elle l’avait capturé, certes, mais il ne tarderait pas à être libéré, modifié. À lui de trouver une histoire convaincante auprès de la police pour expliquer pourquoi il avait disparu pendant quelques jours. Elle n’avait fait sue légèrement modifier son esprit, afin de le rendre plus sensible à la cause écologique. Les petites victoires de Pamela contre la domination de l’industrie agroalimentaire et contre l’insouciance de la population. Il y avait aussi de jeunes enfants ici, mais eux n’étaient pas pénétrés (du moins, sauf dans la bouche), et la transformation était plus courte, vu leur jeune âge.
Toute la pièce, comme le reste de son antre, était recouvert d’un mucus végétal verdâtre, formant comme une agréable pelouse chaude et douce recouvrant, non seulement le sol, mais aussi les murs et le plafond. Il y avait des fleurs un peu partout, ainsi que des tentacules qui grouillaient sous ce mucus, ressortant parfois pour décorer les murs. C’était un repaire s’étalant dans une grande structure abandonnée depuis des années, un ancien centre de traitement des eaux usées. Il datait d’avant la construction du lycée Mishima, et, quand cette dernière était arrivée à Seikusu, et avait trouvé ce refuge, elle en avait pris possession, y installant ses plantes. Les plantes avaient recouvert une bonne partie de l’usine, et il y avait plusieurs moyens d’entrer dans cette dernière. On y entrait, soit par les égouts, soit depuis les hauteurs.
Depuis les égouts, on accédait à un moment à une galerie du métro recouverte de tentacules, et, généralement, les tentacules vous agrippaient ensuite pour vous amener à ce qui ressemblait à un quai. C’était ici que, jadis, l’eau usagée venait pour être traitée.
Depuis les hauteurs, il y avait un accès depuis les souterrains du lycée Mishima. Néanmoins, pour atteindre l’usine, il fallait plutôt bien se perdre, et atteindre, en effet, les anciens souterrains, datant de l’époque où Seikusu avait été bombardée par les Alliées durant la Seconde Guerre Mondiale. Il fallait donc passer par des portes qui étaient théoriquement fermées à clef, mais qui avaient été fracturées depuis longtemps, et continuer à descendre, jusqu’à atteindre un escalier qui vous conduisait alors au centre de traitement des eaux usées. Il arrivait parfois que certains élèves s’y perdent, mais ce n’était pas non plus particulièrement fréquent.
Les cours étaient terminés, et Pamela aspirait à se reposer. Elle s’observait dans sa belle robe, qu’elle venait justement de confectionner dans son refuge. Comme sa tunique verte, elle n’était constituée que de fibres végétales. Même pour elle, qui n’avait, avec ses phéromones, aucune difficulté à obtenir des amants, il était important de se sentir belle. Comme quoi, Ivy avait encore des réflexes typiquement humains. Elle s’attendait à passer une soirée tranquille, en observant ses «
prisonniers »,e t en surveillant l’état floral de Seikusu. Pamela utilisait en effet son antre pour relier, depuis les égouts, toute la flore de Seikusu, que ce soit les parcs, les simples arbres le long des rues, ou les jardins privés. Un exercice de longue haleine, et qui n’était pas encore terminé, loin de là. Ainsi, elle pouvait se renseigner sur l’état de la flore, et savoir où intervenir pour sauver de pauvres fleurs en perdition.
Elle était loin de se douter que ce quotidien allait être brusqué sous peu.