« Gale ! Dépêche-toi, on doit rejoindre le poste frontière dans une heure! »
Gale avait horreur de ces matinées. C’était au tour de sa division. Tous les trois jours, la 2nde division devait se rendre au poste frontière, et passer la journée à patrouiller les environs pour arrêter des clandestins. Et des clandestins, il y en avait à la pelle.
Des réfugiés politiques d’Ashnard, des immigrants venus des archipels du Nord. Les postes frontières de Northcliff étaient bien les seuls points militaires du Duché qui soient réellement débordés. Gale, lui, travaillait dans la garnison du Grand Est, et surveillait donc le Poste situait au même point cardinal.
Les contrées qui s’étendaient par delà ces bordures étaient relativement pacifiques, et les problèmes étaient assez peu fréquents. Une simple petite démonstration de force suffisait bien souvent à apeurer les réfugiés et autres clandestins illégaux, qui regagnaient une autre frontière. Northcliff était un Duché riche et dirigé par un homme étrange, extrêmement stricte et peu avenant.
Aussi la région toute entière devait-elle se trouver dans un état absolument irréprochable, et les étrangers n’étaient les bienvenues qu’en de rares circonstances. Pour Gale, ça se résumait surtout à laisser passer les plus agréables clandestines plantureuses après les avoir sauvagement troussées, et à se faire payer grassement par les immigrants les plus fortunés.
Le chef de la garde s’était donc prestement vêtu d’une armure de fer. Il avait rarement besoin de recourir à la force, mais cela le démangeait. Un peu de piment dans son ennuyeuse vie de Capitaine.
« J’suis prêt, on y va. » Annonça le chef à ses hommes, qui attendaient à la sortie de ses quartiers.
Comme toujours, la route était longue et ennuyeuse, ponctuée par les ragots sur les militaires de l’autre division, et les récits de ce qu’avait fait chacun lors de son temps de permission. Gale y participait avec peu d’enthousiasme, bien qu’il n’ait aucune autre distraction sur le chemin.
Au bout du voyage, il y avait le poste frontière. C’était un bâtiment d’une assez grande taille, au milieu d’une muraille de pierre taillée. Il trônait au sommet d’une colline, offrant une vue stratégique sur les champs qui s’étendaient au loin. On voyait venir n’importe qui, de très loin.
Et aujourd’hui, la rumeur enflait parmi les hommes. La rumeur qui affirmait que le Duc viendrait rendre visite à ses hommes du poste frontière. C’était un évènement qui briserait la monotonie, pour sûr. Aucun membre de la 2nde division n’avait déjà rencontré le Lord Belmont. Il fallait bien dire que le noble n’avait obtenu son titre qu’assez récemment, et qu’il passait plus de temps dans la Capitale que sur ses terres.
Gale n’était pas trop certain de ce que signifiait la venue d’un haut placé. L’ancien Duc n’avait jamais fait ça, de toute sa vie. Et, en tant que capitaine de la garde, le militaire serait celui qui aurait le plus à converser avec cette énigme qu’était le Lord Belmont.
Lorsqu’enfin la troupe arriva, Gale eut tout le loisir de constater que le poste était aussi peu animé qu’à l’accoutumée. Il salua le capitaine de la 1ère division, qui quittait les lieux en direction des zones de garnison, puis il prit son poste. Une première inspection s’imposait aux bords des remparts. Aussi Gale sélectionna-t-il une unité de cinq autres hommes, pour partir en chevauchée.
Tous enfourchèrent leurs destriers, et se rendirent sur les pans au Nord de la muraille. Comme toujours, il suffisait de vérifier l’état du rempart, et de s’assurer que personne ne tenter d’escalader les points les moins hauts.
« Eh ! Gale ! Par là ! » Cria la voix d’un autre des gardes.
Gale tourna la tête, lentement. Ses yeux fatigués mirent plusieurs minutes à saisir ce qu’il se passait. Il y avait, en bas de la colline, plusieurs caravanes. Elles étaient joliment décorées, et dans un goût tout à fait raffiné. Ce n’étaient clairement pas là les véhicules de saltimbanques. Gale était persuadé de pouvoir glaner quelques pièces d’or contre le passage.
Alors, les six gardes dévalèrent la pente, afin de se rendre au niveau du premier véhicule. De là, ils se présentèrent comme la patrouille des frontières de Northcliff. Sans grand tact, et immédiatement, le Capitaine s’introduisit dans l’une des cabines.
« Alors, on cherche à passer la frontière ? Ecoutez moi, que vous soyez des rois en exil ou des paysans, peu importe ! Si vous voulez passer, ‘faudra payer. » Annonça le chef en balayant l’endroit du regard. Il s’arrêta sur une charmante elfe aux cheveux blonds. « Mais si vous voulez, vous pouvez nous laisser vos femmes quelques heures, on s’occupera bien d’elles, et vous pourrez passer ! »
Gale ponctua son outrageuse proposition d’un rire gras et lourd qui lui seyait à merveille.