La liberté que le père d’Alice accordait à cette dernière était, en réalité, toute relative. Elle était fortement limitée, dans la mesure où Alice avait toujours quelqu’un qui la surveillait. Les Commandeurs la surveillant avaient ce talent unique d’être toujours invisible, comme s’ils n’existaient pas, mais Alice savait qu’ils étaient là. C’était un brin paranoïaque, mais c’était une chose qu’elle comprenait, et que, dans une moindre mesure, elle acceptait. Elle savait toute l’importance qu’elle représentait pour Sylvandell. Elle était l’héritière du trône, et, contrairement à Tywill, Alice était incapable de se défendre toute seule, ce qui nécessitait une protection renforcée. Elle avait grandi dans un univers étouffant, constamment surveillé par les gardes, et avait, dès lors, toujours cherché à se soustraire à leur vue, avec un succès plus ou moins fort. Depuis lors, la Princesse avait grandi, ses gardes du corps s’étaient continuellement multipliés, mais le seul qui, à ses yeux, méritait vraiment ce titre, était son brave Hodor. Le demi-géant ne répondait presque qu’à elle, et, quand il était là, Alice se sentait totalement en sécurité. Certes, Hodor était un peu rustre, et avait parfois tendance à s’énerver quand il paniquait, mais c’était aussi un homme bon. Alice ne parvenait pas à se l’expliquer, mais, face à lui, elle se sentait extrêmement sereine. Sans doute parce qu’il était là depuis qu’elle était toute petite, et qu’il lui faisait des câlins... À sa manière. Des câlins un peu bourrus, certes, mais, au moins, l’intention y était.
Revenant au moment présent, elle écouta la suite du discours de l’homme. Liandra... C’était donc ainsi que se nommait l’elfe qu’il avait du abandonner. C’était là quelque chose de triste. Alice compatissait, mais sa compassion était limitée à sa simple empathie : elle n’avait jamais vécu une telle chose, et elle ne pouvait donc, fort logiquement, pas se mettre à sa place. Sakura l’aimait, elle l’aimait, et elles étaient toutes deux mariées.
« Mon union n’a pas tant dérangé les esclavagistes, que mes autres prétendants. Quantité de gens voulaient ma main, uniquement dans le but d’utiliser Sylvandell pour leur profit personnel. Mon père ne s’est jamais marié, et ma mère était une prisonnière de guerre. Les montagnards ont leur propre fierté, nous refusons d’entrer dans le jeu politique des clans ashnardiens. Le mariage ne doit pas nous priver de notre autonomie et de notre indépendance. Les dragons ne répondent qu’à celui dans les veines de qui bat le sang d’Erwan Korvander... Et, ma foi, avoir une armée de dragons dorés à son service, voilà qui motive bien des clans. »
La valse des prétendants pour conquérir le « Joyau » avait ressemblé à ces contes de fées sur un amour impossible entre une Princesse et un vagabond. La Princesse vivait dans sa tour d’ivoire, et voyait inlassablement le nombre de prétendants se succéder, essayant de l’appâter par leurs richesses, leurs fortunes, les précieux joyaux, les belles robes, sans comprendre que la Princesse voulait tout simplement qu’on la considère avant tout pour ce qu’elle était, une femme, et non pas pour sa fonction. Un mariage ne consistait pas à épouser une fonction, mais une personne. Alice avait épousé Sakura pour ça : ce n’était pas le choix d’une Princesse, mais celui d’une femme. Il ne remettait naturellement en rien en cause la succession, car Alice et Sakura pouvaient tous les deux procréer. La technologie tekhane et la magie permettaient ce genre de choses, et les deux femmes ne s’en privaient pas. Lorsque Sakura revenait de ses voyages, ou de ses longs entraînements dans la montagne, Alice et elle copulaient pendant de longues heures.
La Princesse remua un peu son dos.
« Les esclavagistes continuent à faire du commerce avec nous. Sylvandell reste une nation guerrière, et nous leur offrons nos prisonniers de guerre. Ils finissent ouvriers, artisans, majordomes... Ils contribuent à l’économie de l’Empire, et ont une nouvelle vie. Ce n’est pas forcément mieux que leur ancienne vie, mais c’est ainsi que ça marche. Sans cette économie, Sylvandell s’appauvrirait considérablement. Notre royaume n’est guère riche. »
L’esclavage était l’une des raisons économiques ayant conduit Sylvandell à rejoindre les Ashnardiens. En rejoignant l’Empire, ils bénéficiaient d’avantages en étant affranchis de certaines taxes fiscales, ce qui, mine de rien, n’était pas négligeable. Alice émit un petit soupir.
« Je suis sûre que vous finirez par trouver chaussure à votre pied. Terra est un monde vaste et très diversifié, les elfes ne s’y trouvent pas partout. »