«
POLICE ! »
Elle pointa son arme, un élégant pistolet surmonté d’une lampe-torche dans le couloir sombre, mais ne vit personne. Le couloir était désespérément sombre, ressemblant à un décor de film d’horreur... Ou à un taudis miteux du Bronx, au choix. Lentement, Pez’ s’avança, le cercle de lumière de sa lampe-torche éclairant un couloir pavé et lézardé. Une forte odeur de moisissure agressait ses narines sensibles, ainsi que d’autres odeurs, plus diffuses, dont elle avait du mal à identifier la provenance... Et dont elle ne voulait pas trop y réfléchir. Des odeurs sournoises, qui étaient sa belle piste, la seule preuve que la plainte qu’elle avait reçu ce matin en sirotant une tasse de chocolat chaud n’était pas un canular destiné à l’attirer aux Angels Heights, l’un des ghettos de Tekhos Metropolis.
Les Heights, comme on les appelait, était un ghetto qui s’était organisé autour de quatre grandes tours en briques rouges, désolées et attristées. Ce ghetto, comme les Caligulas, regroupait une population écrasante de mâles. Les femmes fuyaient généralement les Heights, et la police avait pour habitude de patrouiller en armures, et d’avoir des postes de police aux alentours des Heights. Livrés aux gangs de rues, à la criminalité, et au marché noir, ces ghettos croupissaient de crimes en tout genre, et de légendes locales, un folklore qui tenait parfois du mythe. En somme, il n’était pas vraiment recommandé pour une jeune femme, policière de surcroît, de s’aventurer seule dans un endroit aussi dangereux. Cependant, Pez’ était précisément ce genre de femmes qui aimait faire ce qu’elle n’était pas
supposée faire. Elle était suffisamment têtue pour ça, et l’injustice croissante à l’égard de la population masculine sur Tekhos avait le don de l’énerver. Elle aimait bien Tekhos, une civilisation avancée, bien organisée, et relativement belle, mais ce sexisme effrayant à l’égard des hommes était tout simplement révoltant... Aussi stupide que monstrueux, lui rappelant les pages les plus sombres de l’Histoire de la Terre. Sarah ne pouvait pas changer les choses depuis sa position, mais, si elle pouvait au moins corriger les angles, et apporter à certains individus des Heights l’espoir d’une société égalitaire et juste, elle comptait la saisir.
Ce matin, Pez’ avait reçu une plainte dans son bureau, de la part d’un habitant des Heights. Il avait eu du mal à rentrer, les policières à l’accueil le prenant pour un vaurien, avec son piercing dans le nez, et l’avaient soumis à un contrôle complet : empreintes digitales, scanner rétinien, analyse sanguine pour détecter la présence d’éventuelles drogues... Un contrôle qu’aucune femme ne subissait, et l’homme aurait pua voir un scanner digital complet dans la salle de bains si Sarah n’avait pas débarqué comme une fleur. Étant inspectrice, un grade supérieur aux simples agentes d’accueil, elle avait ordonné que cette mascarade cesse, et s’était entretenu avec l’homme. Elle avait senti sa nervosité alors qu’il entrait dans les locaux du commissariat central de Tekhos.
Lentement, l’homme, se présentant sous le nom de Dwayne, lui avait expliqué qu’il était venu la voir, parce que, dans les Heights, on savait qu’elle avait porté assistance, il y a quelques semaines, à Matt. Matt était un simple zonard qui, en tagguant sous un pont autoroutier, avait été sévèrement battu par sa collègue. Matt avait été tellement roué de coups qu’il avait fini à l’hôpital, et qu’il avait failli se faire amputer. Des blessures graves, que la policière et ex-collègue de Sarah avait justifié en disant que le suspect avait été agressif, et résisté à l’arrestation. Une avocate commise d’office s’était penchée sur son cas. Guère féministe, et croyant, elle aussi, que les mâles étaient des gens comme les autres, elle avait poursuivi la policière devant le tribunal administratif de Tekhos Metropolis, majoritairement constitué de femmes. Bien que le verdict rendu ait été un non-lieu, Pez’ s’était déplacée en personne pour attester que sa collègue avait fait preuve de violence excessive. Sa collègue avait été innocenté, et Pezzini avait fait l’objet d’un blâme, pour «
mauvaise entente au sein de la police ». Elle avait été furieuse, et avait senti le Witchblade rugir en elle. Elle avait réussi à repousser l’inévitable.
«
Il y a... Il y a des rumeurs qui circulent aux Heights, lui avait expliqué Dwayne.
Des disparitions inquiétantes... »
Entre les délires paranoïaques de Dwayne sur une expérience militaire dans les Heights, et ses vociférations contre ce système abusif, Pez’ avait fini par comprendre qu’il y avait, depuis quelques semaines, de sinistres disparitions, et que l’enquête interne des habitants des Heights mentionnait l’existence d’un monstre sommeillant dans l’un des bâtiments des Heights, un bâtiment abandonné, qui servait habituellement de squat, mais qui était désormais vide. Des sentinelles étaient tout autour, surveillant le bâtiment, mais Dwayne lui avait assuré que son gang ne l’attaquerait pas. Connaissant les rivalités sous-jacentes entre les gangs des Heights, Pez’ craignait naturellement de se faire attaquer par les locaux, mais elle avait décidé d’aller voir.
Sa voiture n’avait pas été attaquée, et elle s’était arrêtée devant l’adresse donnée par Dwayne. Elle s’était garée sur la rue, serpentée et sinistre. La porte avant de l’immeuble était condamnée, mais il y avait une entrée par l’arrière. Pez’ avait fait le tour, arrivant dans une ruelle, et était entrée.
Jadis, l’immeuble avait été un bel hôtel, avant que les Heights ne deviennent progressivement un ghetto. Elle avait atterri dans le rez-de-chaussée, luxueux. Un lustre énorme trônait encore au sommet, et elle grimpait les étages, s’avançant dans les couloirs. Sa lampe-torche éclairait les couloirs, alors qu’elle se rapprochait de la sale odeur... Comme de la pourriture.
*
Il y a longtemps que le ménage n’a pas été fait ici...*
Cet hôtel était digne d’une maison-fantôme, alors qu’elle grimpait dans l’escalier, entendant le bois grincer. Elle avait surtout la curieuse impression que des gens la suivaient, l’écoutaient, ce qui l’amenait parfois à répéter plusieurs mots.
«
POLICE ! » répéta-t-elle en atteignant un nouvel étage.
S’avançant dans le couloir, elle vit alors des tâches de sang sur le sol, des traces. Le sang était sec, vieux, formant quelques traînées.
*
Visiblement, il s’est passé des trucs ici...*
Pez’ entendit alors des craquements sur le sol, à proximité, et raffermit sa prise sur son arme.
Ça, ce n’était clairement pas son imagination.
[HRP – Voici la tenue de Sarah Pezzini :
http://nsa33.casimages.com/img/2013/11/11/131111084408944019.jpg.]