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« le: dimanche 02 juin 2013, 23:01:51 »
La Forêt avait mauvaise réputation. Cette bordure d'arbres qui entourait la montagne du Village était dense et dangereuse, même pour les combattants qu'étaient les tengu. Il y logeait toutes sortes d'atrocités que la vie avait gracié sans que l'on sache comment, et qui partageaient toute un appétit féroce.
Ces bois avaient au moins une fonction utile : celle de nettoyer la zone. Des marchands d'esclaves ou des aventuriers passaient en effet régulièrement par ici, pensant trouver un agréable raccourci. Ils étaient vite éliminés, ou finissaient par périr sans trouver aucune sortie. La localisation du Village restait ainsi dans le secret, comme le souhaitaient les occupants.
Si la chance souriait à ces égarés, on forçait de toutes façons la main du destin en envoyant une escouade qui aidait en apparence les pauvres bougres. En réalité, ils indiquaient les plus mauvaises directions possibles, et surtout celles qui étaient loin de leur patrie. Et si un tengu excellait dans quelque chose en particulier, c'était la comédie. Ils n'avaient donc pas à insister en général, même si la plupart des bestiaires écrits sur Terra et mentionnant leur race conseillaient aux voyageurs qui en croisaient de ne surtout pas écouter leurs paroles.
La caravane qui traçait la route dans la Forêt depuis plusieurs heures avait amplement eu le loisir de se faire observer par les êtres à plumes, bien dissimulés à travers les branches. La télépathie étant l'un des pouvoirs de ces divines créatures, le silence était de mise, tandis qu'ils communiquaient et décidaient ensemble de l'heure de l'attaque.
Ukiyoe les compta une dernière fois, et laissa un des rares rayons de soleil courir sur son visage masqué par le bois de son masque. Après un dernier appel, les muscles de ses compagnons se tendirent, froissant plusieurs feuilles et faisant bouger quelques branches d'arbres.
La caravane, déjà méfiante, s'arrêta à ce son. Maintenant qu'ils se savaient observés, ce n'était plus le moment de reculer.
Des plus hautes cimes des arbres surgirent alors les tengus, qui atterrirent avec rudesse sur le sol dans une pluie de plumes de toutes les couleurs. Ils étaient une dizaine, à encercler la caravane et les deux marchands d'esclaves qui conduisaient le cortège.
Ukiyoe n'était là que parce que comme à chaque fois, ce serait elle, en tant que Princesse, qui déciderait du sort de ces deux imbéciles et du reste de leur marchandise.
Cela dit, cette fois-ci, quelque chose permit de faciliter amplement sa décision.
Des glapissements de surprise attirèrent son attention, alors qu'elle observait deux de ses sujets maîtriser les marchands. A l'arrière de la caravane maintenant ouverte, quelque chose semblait désorienter les tengu. La divine vint les rejoindre, ouvrit en grand les portes arrière du véhicule qui s'étaient refermées une fois lâchées par ses congénères sous la stupeur. Puis ce fut à son tour d'ouvrir grand les yeux.
Dans la caravane, quelques terranides. Quelques humains, dont deux enfants. Tous semblaient lessivés, épuisés et hagards. Mais ce n'était pas eux qui avaient choqués la communauté de tengu. La raison se tenait tout au fond, prés de la minuscule fenêtre, et elle arborait une paire d'ailes couvertes de plumes d'un rose doux, ainsi qu'une longue queue aussi blanche que la neige. Ses serres dorées se recroquevillaient, suivant le mouvement de ses jambes.
Ukiyoe n'avait pas mis longtemps à constater l'horreur de ce spectacle. Car elle s'était vite fait son scénario, comme tous les tengu présent par ailleurs. Dans la cage, elle voyait une congénère, une villageoise qui avait dû se faire embarquer sur le chemin et qui devait être trop faible pour ne pas s'être débattu en les retrouvant. L'idée que d'autres races de terranides oiseaux existent en Terra ne lui avait même pas effleuré l'esprit.
Après le choc, la colère vint, et elle rejoignit ses camarades qui lançaient des regards plus que noirs aux deux esclavagistes. La haine se lisait clairement dans leurs yeux. Eux qui d'habitude n'accordaient que peau d'importance aux lois et aux tracas du monde extérieur, avait fait ici de cette histoire d'esclavagisme une affaire personnelle.
Ukiyoe se rapprocha en tremblant des deux mécréants, avant de leur asséner sans aucune explication un violent coup de serre dans les côtes à tous les deux. Une fois à terre, elle prit le temps de les assommer à coups de griffes et de serres jusqu'à ce qu'ils perdent conscience. Dés qu'elle fut épuisée, elle se releva, ne prenant même pas compte de la terre incrustée dans ses genoux et de la sueur sur sa peau. Elle poussa ensuite les esclaves pour aller récupérer celle qui l'intéressait, la hisser sur son épaule pour la faire sortir, et la poser enfin au milieu du cercle de tengu, laissant à chacun le soin de l'observer à tout loisir.
La jeune blonde ne parlait pas, ne regardait personne. Ukiyoe ne se rappelait pas l'avoir déjà vu dans les rues du Village. Cependant, si elle se vantait de beaucoup de choses, celle de connaître toute sa population n'était pas dans le lot. Aussi, tout en continuant à observer cette inconnue, interpella-elle ses semblables aux alentours :
"Est-ce que quelqu'un, parmi vous, la connait ?"
De nombreux regards dubitatifs furent échangés, mais personne ne répondit. Chacun semblait attendre que l'intéressée ne clame sa position au sein du Village... mais le silence régnait.